« La vie de footballeuse n’est pas toujours un long fleuve tranquille et ce n’est pas Chloé N’Gazi qui dira le contraire. À 28 ans, la gardienne internationale algérienne a récemment posé ses valises à l’Olympique de Marseille. Mais avant de fouler les pelouses de la cité phocéenne, son parcours a été jalonné de péripéties. Voici son histoire. PAR MANO BOUVIER. Extrait du WOMEN SPORTS N°37.
À deux, trois ans, on retrouve déjà des photos de moi avec un ballon au pied», sourit Chloé N’Gazi, en cet après-midi ensoleillé au sein de l’OM Campus. À peine plus haute que trois pommes, la petite fille attrape très tôt le virus du foot. Son grand frère joue au club de Meudon, et elle ne rate jamais une occasion d’aller l’encourager. À la maison, elle s’improvise déjà joueuse en jouant au ballon avec son père dans le jardin.
Il lui faudra pourtant attendre ses sept ans pour obtenir sa première licence. « Je voulais commencer dès mes 5 ans, mais mes parents étaient un peu réticents. À l’époque, il n’y avait pas beaucoup de filles qui jouaient au foot, c’était encore rare », raconte-t-elle. Persévérante, Chloé finit par convaincre sa famille. Elle fait alors ses premiers pas sur les terrains du club de Meudon, comme son frère avant elle. Nous sommes en 2004, et le football féminin français en est encore à ses balbutiements. Pendant un an, elle évolue aux côtés des garçons, faute de section féminine. Loin des cages, c’est sur le terrain qu’elle s’illustre, déterminée à se faire une place dans un univers encore très masculin. Une situation qui inquiète ses parents. Ils acceptent qu’elle poursuive l’aventure mais à une condition : qu’elle rejoigne un club avec une équipe féminine. Direction Bagneux, où elle peut enfin évoluer parmi d’autres filles et continuer à rêver, ballon au pied.
Une gardienne… par défaut
Après plusieurs années passées à courir sur le terrain, un événement inattendu va bouleverser le destin de Chloé N’Gazi. À Bagneux, la gardienne de l’équipe claque la porte sans prévenir. Le poste reste vacant. Faute de mieux, les joueuses se relaient tour à tour dans les cages. Jusqu’à ce que Chloé, presque naturellement, y trouve sa place. Et ne la quitte plus jamais. « Je ne me suis pas vraiment posé de questions. J’y suis allée, et j’ai adoré », nous raconte-t-elle. L’instinct de gardienne, le goût du défi : tout la pousse à s’installer dans les cages. Encouragée par un entraîneur bienveillant avec qui elle tisse un lien fort, Chloé s’épanouit pleinement dans ce rôle. C’est le début d’une histoire d’amour avec un poste qu’elle n’avait pourtant jamais envisagé.
« En classe de seconde, j’ai eu un déclic »
À ce moment-là, le football reste un hobby. Rien de plus. « J’ai toujours rêvé d’être infirmière », confie-t-elle. « Mais le foot me prenait trop de temps, je n’ai jamais pu entamer d’étude ». Le virage décisif arrive au lycée. En seconde, elle intègre le Pôle Espoirs Féminin de Liévin. Un tout nouveau monde s’ouvre à elle. « C’est là que je me suis dit : en fait, pourquoi pas moi ? », se souvient la joueuse.
Pour la première fois, devenir joueuse professionnelle ne semble plus si irréaliste. Son talent saute aux yeux, sa progression est fulgurante. Très vite, une opportunité en or s’offre à elle : le PSG.
Chloé rejoint le pôle formation du club parisien. Elle partage alors le quotidien de jeunes pépites comme Marie-Antoinette Katoto, Grace Geyoro ou Perle Morroni, toutes appelées à briller en équipe première. Mais son destin suivra une autre trajectoire. « Après trois ans avec les U19, je n’ai pas eu la chance d’aller plus loin, confie-t-elle sans détour. À l’époque, je faisais cela pour m’amuser. J’arrivais en retard, même quand on s’entraînait avec les pros. Je ne prenais pas le foot au sérieux. » Son aventure parisienne s’achève sans contrat pro. Un coup dur ? Pas de quoi la décourager en tout cas.
L’American Dream
Alors qu’elle vit sa dernière année à Paris, un agent repère Chloé N’Gazi et lui propose un défi aussi inattendu qu’audacieux : partir quatre ans aux États-Unis pour un double projet, à la fois sportif et universitaire. Une idée folle ? Pas pour ses parents, qui l’encouragent à saisir cette opportunité unique. Chloé, elle, fonce. « Cette expérience s’est très bien passée. Je pense que c’était la meilleure période de ma jeunesse », confie-t-elle avec un grand sourire. Là-bas, elle découvre une autre manière de vivre le football. « J’ai découvert une nouvelle culture footballistique, et j’ai pu décrocher un diplôme en communication ». Loin de tout ce qu’elle a connu en France, Chloé grandit, s’émancipe, se construit.
Mais à son retour, en 2019, un autre défi l’attend. À 23 ans, elle n’a encore jamais goûté au monde du football professionnel et elle n’est plus sur aucun radar. Les clubs ne l’attendent plus. « C’était dur. J’étais un peu oubliée ».
Heureusement, son nouvel agent croit en elle. Il lui décroche un essai à Orléans, club de D2 féminine. Là-bas, elle signe comme gardienne numéro 2. C’est modeste, mais pour la première fois, elle touche un salaire pour jouer au football.
« Je me suis dit : c’est pas mal comme boulot », rigole Chloé. Très vite, Chloé gagne du terrain. Sa régularité, son sérieux et sa détermination lui permettent de s’imposer dans les cages des Guêpes. Et bientôt, ses efforts finissent par porter leurs fruits…
Les (presque) débuts en sélection nationale
Après deux saisons pleines à Orléans, Chloé N’Gazi s’impose comme une titulaire indiscutable sous les ordres de Farid Kebsi qui lui a donné sa chance. Son sérieux et ses performances attirent enfin l’attention au-delà des frontières françaises. En mars 2020, pour la première fois de sa carrière, elle est appelée en équipe nationale d’Algérie.
Bien qu’elle ne soit allée qu’une seule fois, à l’âge de sept ans, dans le pays de sa mère, elle en conserve un lien unique. Chloé n’hésite pas une seconde. La décision est instinctive, presque naturelle.
« Ma cousine était une ancienne internationale algérienne, plusieurs filles d’Orléans avaient déjà joué avec les Fennecs. Tout le monde me poussait à accepter cette convocation. Alors je l’ai fait », explique-t-elle.
Sa carrière est prête à prendre un nouveau tournant. Mais c’était sans compter sur la pandémie mondiale. Le Covid-19 balaie le calendrier sportif, et avec lui, la Coupe d’Afrique des Nations 2020, finalement annulée. Une douche froide. Chloé devra patienter avant de connaître ses premiers instants en vert.
Il faudra attendre le 20 octobre 2021 pour qu’elle honore enfin sa première sélection avec les Fennecs. Et pas n’importe comment : titularisée face au Soudan en éliminatoires de la CAN 2022, elle participe à une victoire historique, 14-0, entrée directement dans les livres de records.
L’éclosion en D1
Pendant ce temps, Chloé N’Gazi poursuit sa montée en puissance. Après trois saisons solides à Orléans, elle sent qu’il esttemps de viser plus haut. À l’été 2022, une opportunité s’ouvre enfin : elle va découvrir pour la première fois l’élite du football français, la D1 Arkema. Mais rien n’a été simple. Trouver un point de chute s’apparente à un véritable parcours du combattant. Finalement, elle signe à Fleury… comme gardienne numéro 3.
Un rôle de l’ombre, sans garantie de temps de jeu. Les débuts sont frustrants. Et puis, un petit miracle va tout changer.
« Je suis passée numéro 2 parce que la gardienne devant moi n’acceptait pas vraiment son statut. Mais même là, je n’avais toujours pas ma chance », se souvient-elle. En décembre, lassée de cette situation figée, elle envisage de quitter le club. Une offre venue d’Arabie saoudite la tente. Elle connaît de nombreuses joueuses épanouies dans ce championnat et aimerait bien tenter l’aventure. Chloé ne veut qu’une chose, jouer au football et elle a ici la possibilité de retrouver ce bonheur.
Et puis, le destin s’en mêle. Une semaine plus tard, la gardienne titulaire se fracture le pouce. Chloé est propulsée sur le devant de la scène. Sa chance est enfin là et elle ne la laissera pas filer.
La révélation
Alignée pour la première fois en D1,Chloé N’Gazi enchaîne les performances de haut vol. Concentrée, décisive, régulière, elle s’impose rapidement comme l’une des révélations de la deuxième partie de saison. Jusqu’à être nommée parmi les meilleures gardiennes aux Trophées UNFP, une consécration inattendue, mais amplement méritée.
Pourtant, à la fin de la saison, l’aventure avec Fleury s’arrête. Son contrat n’est pas renouvelé. Malgré ses excellentes prestations, son avenir a mis du temps à se décanter. « Après une saison comme celle-là, je pensais que ce serait plus simple… mais rien ne s’est passé comme prévu », avoue-t-elle.
À l’été 2024, Chloé N’Gazi espère vite trouver un point de chute. Épaulées par ses nouveaux agents, Elena et Steve, plusieurs clubs s’intéressent à son profil, notamment Le Havre. Après une légère tergiversation, Chloé décide d’accepter, elle est prête à relever ce nouveau défi. Elle s’engage donc avec les “Ciel et Marine”, désormais comme doublure. Mais rien ne se passe comme espéré. Les relations avec le coach sont tendues, le courant ne passe pas, et l’environnement ne lui permet pas de s’épanouir. Après six mois seulement, elle tire un trait sur cette aventure. Dès l’hiver, elle est en quête d’un nouveau départ.
Ses agents l’aident à sortir de cette passe difficile et lui proposent une opportunité séduisante : l’Olympique de Marseille, en D2 féminine, cherche à renforcer son effectif. Et cette fois, le choix fait sens tant humainement que sportivement.
« Mon père est Marseillais, il a grandi ici. Pour lui, que sa fille joue à l’OM, c’est un rêve. Une sorte de revanche après mon passage à Paris », confie-t-elle en souriant, vêtue de la tenue floquée du club olympien. « Et pour moi, L’Olympique de Marseille est un grand club. C’est une fierté de porter ce maillot ».
Et l’internationale algérienne réalise des débuts canons avec l’OM. Titulaire en fin de saison sous les ordres de Frédéric Goncalves, elle a participé au titre de championne de D2 glané par le club cette saison. Une excellente nouvelle au niveau sportif puisque Chloé N’Gazi va avoir la possibilité de retrouver l’Arkema Première Ligue. Des débuts parfaits qui vont lui permettre de voir arriver le défi estival avec sa sélection de manière sereine.
Une première !
La CAN féminine s’est déroulée au Maroc du 5 au 26 juillet 2025. Pour Chloé N’Gazi, un moment crucial de sa carrière. Gardienne titulaire des Fennecs, elle y défendait pour la première fois les couleurs de son pays dans une grande compétition internationale. Avec seulement 11 sélections à son actif, c’est un tournant pour la joueuse marseillaise. L’Algérie est partie avec comme objectif d’aller le plus loin possible et de pourquoi pas réaliser un petit exploit. Mais au-delà du sport, cette compétition représente aussi un moment charnière pour Chloé N’Gazi, qui, par son parcours unique, incarne la force d’une génération montante du football féminin algérien. En portant ce maillot, elle ne défend pas seulement les couleurs de son pays, mais toute une génération prête à briller sur la scène internationale.