Blessures, douleurs chroniques… Peur d’avoir mal : est-ce de la kinésiophobie ?

Non, la kinésiophobie, ce n’est pas la peur d’aller consulter un kiné ! C’est ce phénomène sournois d’auto-verrouillage, parfois après blessure avec ou sans opération, motivée par la crainte de se faire mal. Or, cette phobie peut amener à un cycle infernal de douleur et d’immobilisation, et ainsi à une chronicisation des maux. On vous explique ce phénomène encore assez méconnu et pourtant très répandu hélas.
Par Léa Borie, Extrait de Women Sports magazine n°37 – juillet-août-septembre 2025

Comment s’installe la kinésiophobie ?

Floriane s’est fait mal au ge­nou sur un pivot au foot il y a deux ans, entendant un “crac”, après une première entorse du genou en 2018. Depuis, elle est incapable de rechaus­ser ses crampons, ou même d’échanger quelques balles avec ses amies. Par mé­canisme de défense et de protection, sa peur l’a conduite à éviter son activité fé­tiche, comme si, en la pratiquant, elle al­lait inévitablement avoir de nouvelles dou­leurs. Elle n’en n’a pas encore conscience et pourtant, Floriane limite ses mouve­ments, par peur d’avoir mal. Résultat, cela crée chez elle un déconditionnement mus­culaire. Pire, ça chronicise ses douleurs en TMS*! Les professionnels de santé qui l’entourent le lui rappellent constamment : il n’y a pas de corrélation notable entre la douleur ressentie, la gravité des lésions et sa peur du mouvement…

La peur qui fait peur

Soyons clairs. Ici, pour Floriane, ça touche son genou, pour d’autres, ce sont les lom­baires, la coiffe des rotateurs, la cheville… Ce phénomène affecte 51 à 72 % des pa­tients souffrant de douleur chronique.

Il ne faut pas accabler notre douleur. Elle est bien souvent une amie préventive : la peur d’aller chez le dentiste, de se foutre les fesses par terre en patin à glace, ou de sauter à l’élastique (quelle idée !). Cette peur-là, proportionnelle à la menace, est une réponse normale à un stress connu ou compréhensible. Cependant, il peut arriver que cette bonne conseillère oriente dans la mauvaise direction, en prenant des pro­portions complètement démesurées.

Hypervigilance

Pour prévenir l’apparition de la douleur, on évite certains gestes, voire on aban­donne certaines occupations. Pourtant, les professionnels de santé militent pour un maintien du mouvement. La peur prend le dessus, pouvant mener jusqu’à l’inhi­bition motrice si l’évitement se prolonge dans le temps. On comprend pourquoi ce phénomène peut apporter avec lui son lot de stress, prolonger le temps de guérison, diminuer ses capacités physiques, et ap­porter un certain isolement voire un état dépressif.

Interview de Charlène Chéron

Vice-présidente de l’AFC (Association française de chiropraxie), chiropracteur titulaire d’un Doctorat en science du sport et du mouvement humain

Women sports : Dans la kinésiophobie, on exagère sa douleur ?

Charlène Chéron : L’IASP (asso­ciation internationale qui promeut la re­cherche pour la connaissance et la gestion de la douleur, NDLR) a fait évoluer la défi­nition de la douleur en 2020 pour l’expli­quer comme : “une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle.” Donc… la lésion n’existe pas forcément. Raison de s’inquiéter ? rarement. Cette peur est excessive, parfois irrationnelle, dispropor­tionnée, contrairement à la fibromyalgie qui est liée à un dysfonctionnement des voies de la douleur. Le mouvement per­met d’améliorer la situation d’un “kinésio­phobe”, mais souvent, il s’enferme dans ce mécanisme.

C’est dans la tête ?

C’est souvent un problème d’ordre psy­chologique, favorisé par une expérience physique passée douloureuse, mais aussi par de mauvaises croyances ou des infor­mations alarmantes qu’on aurait reçues.

Tout le monde peut être touché ?

D’une manière globale, bien souvent, les sportifs connaissent bien leur corps et aiment se dépasser. Ce ne sont pas les plus exposés. Mais en cas de blessure, il est important d’être accompagné et de travailler sur l’aspect psychologique d’une chute notamment.

Quelle approche d’après vous pour faire disparaître cette peur ?

Il faut briser ce cercle de l’évitement. D’au­tant plus s’il n’y a pas de lésion “réelle”, la reprise se fera sans trop de difficulté sur le plan physique, à condition qu’elle se fasse en douceur. Le kinésithérapeute joue un rôle important, en travaillant sur la réassurance du geste.

Alors on fait quoi, on continue de souffrir ?

C’est paralysant, n’est-ce pas ? Rien qu’à lire ces quelques lignes, on s’enfonce dans son siège, nuque raide. Chacun trouvera une réponse, en acceptant déjà ses blocages. L’aide peut venir d’un kiné, d’un chiropracteur, d’un psychologue, d’un psychiatre, d’un coach sportif, d’un ergothérapeute… Cette équipe pluridis­ciplinaire apporte des clés en matière d’éducation thérapeutique et de gestion de la douleur. Car il faut apprendre à vivre avec la douleur et surtout apprendre à la soulager.

Pour sortir de ce cercle vicieux :

Vers la reprise du mouvement : 6 conseils pour reprendre

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