Quelques jours à peine après son dernier voyage au long court en solitaire à moto, Mélusine Mallender défait ses bagages quelques instants pour nous raconter son excursion, sa vision de la femme, de la liberté, du voyage, de son éducation et de son enfance… Cramponnez-vous, elle décoiffe ! Par Léa Borie
Fiche de la voyageuse : Mélusine Mallender
Mélusine Mallender, 38 ans, 5 voyages en solitaire à son actif d’au moins 4 mois, soit environ 150 000 km et « 2 ans ½ le cul posé sur ma moto », et la production de longs-métrages – Ne te dégonfle pas, Les routes d’Asie et d’Orient, deux films de Mélusine Mallender et Christian Clot (Un jour, il faut partir & Les routes persanes), Darwin Production (diffusés sur la chaîne Voyage).
- Un dernier voyage de 8 mois
Fin février, Mélusine revient tout juste de son dernier trip solo en Amérique latine. Partie à Santiago du Chili en juin 2018, elle est revenue par Los Angeles. De toutes ces grandeurs, elle en garde des souvenirs immuables. « Le Mexique est gigantesque, il a fallu faire des choix. Au début, on se dit qu’on a le temps, et à la fin, on se retrouve à courir pour tout boucler ». Son voyage fera l’objet de plusieurs films documentaires qui sortiront d’ici 2020.
- Un goût du voyage dans le sang
A 5 ans, Mélusine Mallender rêve d’être hôtesse de l’air. D’un père anglais et d’une mère française, elle est habituée très jeune aux déplacements. « Je percevais mes parents un peu comme des hippies, pas très voyageurs mais extrêmement curieux. »
Après un voyage en duo avec son compagnon en 2009 – 2 mois à pied, 3 mois en kayak – elle a voulu partir seule. Son conjoint la rejoint sur de courtes portions de ses voyages pour couper ces longs mois éloignés l’un de l’autre. Elle en profite pour se faire aider dans le tournage de certaines scènes, et tenter des routes plus risquées. Mais elle admet rechercher cette aventure solitaire : « J’aurais du mal à être avec quelqu’un d’une équipe de tournage 24h/24. En étant seule je ne fais pas les mêmes choix, je n’ai pas la même appréhension des choses. J’ai une plus grande facilité d’accès aux domiciles des gens… Mais à 2 on va plus loin. »
Elle entretient une relation particulière avec son tout premier voyage en solitaire en Iran en 2011, « parce que j’avais moins de connaissances et plus de liberté. Je partais de manière personnelle, et cette histoire a beaucoup d’importance à mes yeux. Je suis motarde depuis toujours, mais là, j’ai réalisé le coup de foudre que j’avais pour ce type d’aventure. »
Un recul sur le monde qui nous entoure
Asie, Afrique… Ses excursions sont aussi une évolution, constate Mélusine. « Chaque voyage me transforme. » En cause, les terrains et les personnes à qui elle se confronte. Sans oublier la culture, les us et coutumes du pays : « L’Asie, le Bengladesh notamment, a été très dur à vivre pour moi, en tant que femme. » De retour d’Amérique latine, c’est l’injustice sociale qui l’a frappée. En dehors des gens et des paysages, il y a aussi la tenue de route en elle-même : « Le Népal et la Mongolie restent mes plus beaux souvenirs en termes de conduite ».
- Un autre voyage en tête ?
Contente d’être rentrée après 8 mois passés sur la route et 25 000 km parcourus, Mélusine se dit que ce sera peut-être sa dernière longue expédition en solitaire. « J’ai toujours envie d’aller ailleurs, mais plus forcément sous la forme d’une grosse expédition ». Elle évoque sa vie personnelle, ses amis, son conjoint, sa famille, difficilement conciliables avec une vie sur la route, à la longue. « J’aime me retrouver avec moi-même, mais j’aime aussi les autres ! » (rires). Malgré tout, elle garde plein de projets en tête et « toujours plusieurs casseroles sur le feu » : des idées plus sport, de randonnée, la découverte du Moyen-Orient…
- Des difficultés climatiques… et humaines
Sur le plan physique, pendant ses aventures, Mélusine a beaucoup souffert des grosses chaleurs, avec 56°C en Iran. Ce qu’elle a le plus redouté ? La déshydratation sous son équipement de moto sans ombre, malgré l’apparente ventilation que pourrait procurer la moto en circulation. Son dernier voyage l’a confrontée à des conditions extrêmes difficiles : -10°C en Bolivie, de grosses pluies en Colombie, et une forte chaleur en Amérique centrale.
Elle a aussi eu quelques « coups de chaud » d’ordre humain lors de ses diverses traversées. « J’ai eu des moments de vulnérabilité. 30 personnes autour de ma moto et moi. Un passeport confisqué pour des raisons de contrôle soi-disant, alors que le douanier attendait autre chose… Dans des régions où les petites amies n’existent pas – les hommes sont soit mariés, soit ils voient des prostituées – ils se disent qu’une femme seule recherche forcément des ‘aventures’. Je dois leur rappeler que je suis juste là pour voyager. Les hommes tentent. Le fait d’être étrangère aide, dans des pays où le « non » venant d’une femme n’est pas accepté, comme en Inde, au Bengladesh, au Pakistan… »
Mélusine Mallender a fait les choses en écoutant son instinct : « C’est du bon sens, comme de ne pas se balader seule en pleine nuit en mini-jupe à Sarcelles, tu ne gares pas ta moto s’il n’y en a aucune autre de garée à cet endroit ».
Mais cette crainte est vitale pour la voyageuse car elle lui permet de rester sur ses gardes : « La peur est toujours là, constante, mais n’est pas anesthésiante. Il faut qu’elle reste présente car elle est essentielle à ma vigilance, pour enclencher le réflexe de peur et le cerveau reptilien de secours. Il ne faut pas se dire qu’on risque de se faire violer à chaque instant, mais ça permet de penser à cocher toutes les cases vitales – est-ce que j’ai assez de nourriture et d’eau pour vivre, est-ce que ce terrain de cactus ne me fait pas risquer la crevaison ? »
- Toujours, un amour de la liberté
« Ma mère a élevé ses trois enfants en tant qu’individus avec des personnalités. On était ses enfants, mais aussi des êtres externes. On a eu la chance de pouvoir choisir notre voie, de nous tromper… comme nous l’on prouvé nos parents en reprenant leurs études sur le tard. C’est de là que j’ai eu envie de prendre mes propres décisions, de tracer mes propres chemins. C’est donc en voyageant que j’ai compris la notion de liberté. Avant, je voulais être moi, puis j’ai voulu être libre. »
L’Iran a été une belle entrée en matière pour commencer à traiter de la question, dans un pays où la liberté est «diffuse», «complexe», «plus grise que la définition qu’on en a en France». Et en rentrant en France en plein soulèvement populaire des gilets jaunes, Mélusine s’interpelle sur des mots forts utilisés pendant les manifestations et prend du recul.
Questions flashs à Mélusine Mellender
- Qu’est-ce qui t’aide dans tes voyages ?
La musique punchy m’aide à rouler et à penser à autre chose, ou à penser à rien dans des moments un peu down. Je peux même chanter de manière un peu bête. Comme certaines odeurs, ça te ramène quelque chose de positif, quand tu n’as pas un morceau de chocolat à portée de main.
- Quel est ton matériel ?
Ce dernier voyage, je suis partie avec une Tiger 800 de 2018, un excellent modèle de route équipé pour l’aventure à long court. J’ai même les poignées chauffantes. On devient vraiment confort ! (rires) Pour le reste, ma moto a son vanity (compresseur, chambre à air…). Et quand j’ai un peu de place, j’ai des affaires à moi.
- Pourquoi fais-tu des films de tes voyages ?
L’idée, ce n’est pas de montrer forcément tout du pays visité, mais la diversité de pensées sur un endroit qu’on ne connait pas toujours très bien. Souvent, on nous montre le dramatique : le Mexique ce serait les féminicides et les narcotrafiquants, mais il y a aussi des gens qui rêvent, qui vivent… Et si ça peut encourager des spectateurs à y aller pour se faire leur propre idée, tant mieux.
Enfin, voyager à moto c’est encore mieux ! C’est aussi une façon de montrer qu’il est possible pour une femme de partir seule. Souvent, c’est dans la tête qu’on se bloque, mais le monde n’est pas si dangereux finalement.