Emma Ponthieu, capitaine de l’équipe de France féminine de hockey sur gazon, et Marion Allemoz, capitaine de l’équipe de France féminine de hockey sur glace, se sont prêtées au jeu de l’interview croisée. Une occasion unique de comparer les deux disciplines avec un point commun évident : sur gazon comme sur glace, le haut niveau féminin demande d’énormes sacrifices !
Par Vanessa Maurel
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.13 de juillet-août-septembre 2019
Emma Ponthieu, 23 ans. La capitaine de l’équipe de France féminine de hockey sur gazon tient cette passion de son père, ancien joueur lui aussi en équipe nationale. C’est donc à 3-4 ans qu’elle a commencé à fréquenter les terrains en baby-hockey. Aujourd’hui, son sport lui demande de nombreux sacrifices. Elle a, entre autres, décidé de quitter la France pour évoluer dans un club en Belgique.
Marion Allemoz, 30 ans. Capitaine de l’équipe de France depuis 2009 et première joueuse française repêchée en ligue professionnelle nord-américaine, Marion Allemoz a toujours vécu hockey. Chez elle, impossible de passer au travers. Alors que ses deux grands frères et deux grandes soeurs sont tous hockeyeurs, c’est naturellement qu’elle s’est dirigée vers ce sport.
WOMEN SPORTS : Avez-vous toujours joué avec des filles ?
Emma Ponthieu : Jusqu’au niveau cadet j’ai joué avec des garçons, on n’était que deux ou trois filles dans l’équipe. C’est seulement à partir de 15 ans que les équipes deviennent exclusivement féminines ou masculines. Je n’ai jamais senti de discrimination au milieu des garçons parce que j’étais une fille, du moins je n’y ai jamais fait attention, sûrement parce que j’étais jeune.
Marion Allemoz : Non, il n’y a pas assez de filles pour constituer des équipes féminines. Du coup, jusqu’à mes 18 ans, j’ai principalement joué avec des garçons à Chambéry, même si à 14 ans j’ai intégré une équipe féminine à Grenoble. Ensuite, j’ai intégré le Pole France à Chambéry où j’ai joué majoritairement avec des filles pendant quatre saisons.
Les joueuses de l’équipe de France sont-elles professionnelles ?
E.P : Non, en hockey sur gazon nous ne sommes pas payées. Par contre, être en équipe de France demande beaucoup d’investissements. Pour concilier la vie professionnelle à la vie sportive, cela demande beaucoup de sacrifices. C’est mon cas, car d’abord j’ai décidé de jouer à Bruxelles dans un championnat où le niveau est plus élevé qu’en France, mais aussi car j’ai décidé de ne pas travailler pendant un an pour me consacrer au hockey. J’ai privilégié ma passion.
M.A : Non, enfin pour la plupart. Il y a très peu de filles, même dans le monde, qu peuvent vivre du hockey sur glace. Moi je joue actuellement en Suède et j’ai un contrat mais ça reste vraiment précaire. On va parler davantage d’aides que de rémunération. Par exemple, le club nous fournit un logement, nous aide à trouver un travail à côté, etc. Mais je ne peux pas en vivre.
Est-il difficile de concilier vie professionnelle et vie sportive ?
E.P : Très ! En période de championnat, donc toute l’année, je m’entraîne trois fois par semaine avec mon club belge, et j’ai un match tous les dimanches. À cela, je dois ajouter un entraînement par semaine avec l’équipe de France à Wattignies. Par contre, lorsque les grosses compétitions avec l’équipe nationale arrivent, nous devons parfois faire des stages de préparation pendant plus d’un mois avec l’équipe. Comment voulez-vous qu’un employeur accepte ça ? C’est possible, mais difficile à trouver, je pense. L’année prochaine, je devrai trouver un travail, et je sais par avance que ça s’annonce compliqué !
M.A : C’est un assez gros problème oui. En fait, il faut faire des choix, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’en France, nous perdons régulièrement beaucoup de bonnes joueuses qui décident d’arrêter pour se consacrer à leur vie professionnelle. Après, pour concilier les deux, il faut faire preuve d’une très bonne organisation, et trouver le rythme pour pouvoir s’entraîner et travailler. Mais parfois, notre emploi du temps effraie les employeurs et il est compliqué d’être embauchée en sachant qu’on va être souvent absente. Par exemple, je m’entraîne quatre fois par semaine sur la glace, sans compter la préparation physique, ainsi que les deux matchs par week-end. Et pour l’équipe de France, nous avons un regroupement de longue durée avant les grosses compétitions comme les championnats du monde…
Est-ce que cela a été aussi difficile avec les études ?
E.P : Ça dépend pour qui. Beaucoup d’universités ou écoles supérieures essaient d’être conciliantes avec les sportives et sportifs de haut-niveau. Personnellement, j’ai fait des études en psychomotricité, et mon école acceptait mes absences dues aux compétitions ou de déplacer ponctuellement mes dates d’examens. En fait, la Fédération française de hockey envoyait des courriers pour moi en justifiant mes absences et en affirmant que je devais aller jouer. Et puis, désormais, il y a les CREPS Wattignies, qui permet aux filles, collégiennes, lycéennes, de faire leurs études là-bas et de pouvoir aussi s’entraîner au même endroit.
M.A : Pour ma part, cela semble moins compliqué car les écoles sont assez conciliantes avec les sportifs et sportives de haut-niveau et acceptent facilement d’aménager leur programme. Le plus difficile c’est pour le travail à côté de l’école, comme les devoirs ou les révisions, qu’il faut arriver à concilier avec les entraînements.
« Les gens s’attendent à voir le même jeu et sont sans cesse dans la comparaison. » – Marion Allemoz, capitaine de l’équipe de France féminine de hockey sur glace
Constatez-vous des différences de jugements entre le hockey féminin et le hockey masculin ?
E.P : Jusqu’il y a peu de temps, un ou deux ans, je trouvais que le hockey féminin n’était pas du tout reconnu par rapport au hockey masculin. On entendait beaucoup « les femmes jouent moins bien » ou encore « c’est moins sympa à regarder ». Mais depuis, je ne sais pas pour quelle raison, je trouve qu’il y a eu un réel déclic ! Le hockey féminin commence à prendre de l’ampleur, encore grâce au fait que la Fédération essaie de nous mettre au même niveau que les hommes. Et puis, le fait que les Jeux olympiques de 2024 se déroulent à Paris a vraiment réveillé tout le monde. On a envie de miser sur le hockey sur gazon et par conséquent de développer notre sport. En tout cas, c’est vraiment important pour nous cette reconnaissance. On en a besoin, ça prouve que nous ne travaillons par pour rien.
M.A : Oui, mais ce n’est pas spécifique au hockey sur glace mais vraiment au sport en général. Il y a toujours eu des différences entre le sport féminin et le sport masculin, car les gens s’attendent à voir le même jeu et sont sans cesse dans la comparaison. Alors que ce n’est juste pas comparable. C’est un autre style de jeu, par exemple au hockey sur glace, c’est également rapide mais moins physique…
Que pensez-vous de la médiatisation de votre sport et notamment les compétitions féminines ?
E.P : C’est un assez gros problème ! Même le hockey sur gazon masculin, qui est plus reconnu que le hockey sur gazon féminin, n’est pas assez médiatisé. Mais j’ai espoir. On peut voir que le hockey commence à faire sa place en France, notamment grâce à la Fédération qui fait beaucoup d’efforts pour mettre le hockey, et notamment le hockey féminin, en avant. Cela passe par les réseaux sociaux, ou d’autres actions comme « Le Printemps du hockey féminin », et ça marche ! D’autre part, j’ai vu qu’une chaîne de télévision allait être consacrée aux sports les moins médiatisés (ndlr, lancée par le Comité olympique et sportif français), ce serait vraiment bien !
M.A : Le hockey sur glace, qu’il soit féminin ou masculin, est trop peu médiatisé. Notre sport est encore méconnu, il ne faut pas se le cacher. Même si on commence de temps à autre à voir un peu de hockey, ça reste moindre. Après, je pense que si nous nous rendons plus visibles, que les gens s’intéressent à nous, alors les médias suivront. Mais surtout, je pense que le jour où nous participerons aux Jeux olympiques et que nous obtiendrons des résultats, on prêtera plus attention à nous.
Quels sont vos objectifs personnels et avec l’équipe de France ?
E.P : Personnellement, je souhaite poursuivre ma carrière le plus longtemps possible et surtout au meilleur niveau. Avec l’équipe de France, l’objectif principal est Paris 2024. Pour le moment, on espère juste faire le meilleur résultat possible. On doit encore évoluer et beaucoup travailler pour espérer des médailles et avoir un niveau compétitif à Paris. Mais c’est sûr qu’on ne va pas y aller juste pour participer.
M.A : Mon objectif personnel est lié à celui de l’équipe de France. J’ai 30 ans et je pense que si je veux participer aux Jeux olympiques ce sera en 2022, car je serai déjà proche de la fin et qu’en 2026 ce sera trop tard pour moi. En ce qui concerne spécifiquement l’équipe de France, et étant donné que nous sommes redescendues en Division 1 cette année au Mondial, nous avons vraiment l’objectif de remonter dans le Top 10 le plus rapidement possible, et réintégrer le championnat élite.
Question pour Emma , capitaine de l’équipe de France de hockey sur gazon : que pensez-vous du hockey sur glace ?
Quand je tombe dessus à la télé, je regarde ! Je suis déjà allée voir un match quand j’étais en vacances aux USA et je trouve ce sort très impressionnant, surtout au niveau physique ! Au niveau de l’intensité, de l’impact athlétique, et le fait d’allier patinage et technique de hockey.
Question pour Marion, capitaine de l’équipe de France de hockey sur glace : que pensez-vous du hockey sur gazon ?
Je pense que nous avons le même combat et que la discipline est peut-être même moins bien lotie que la nôtre au niveau médiatisation. Alors vive le hockey sous toutes ses formes !