Il y a Benjamin, Gary, Laurent, Jérémy, Nicolas… puis il y a Séverine. Depuis deux ans, Séverine Meunier, est la seule femme pilote du Championnat de France de drift. C’est en 2014 que cette secrétaire comptable de 37 ans, mère de deux enfants, se découvre une passion insoupçonnée pour la voiture, la vitesse et l’odeur des pneus cramés. Depuis, avec son mari David qui l’a initiée, elle passe la plupart de son temps à sillonner les circuits de France et d’ailleurs à la recherche de sensations et d’adrénaline. Nous l’avons rencontrée lors de la finale du Championnat de France 2018 à Albi, dans le Tarn, en octobre dernier. Entre deux vrombissements de moteur, elle nous fait découvrir son univers.
Par Floriane Cantoro
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.11 de janvier-février-mars 2019

Quand on arrive au circuit d’Albi, on se dit que trouver Séverine Meunier ne devrait pas être trop compliqué. Il suffit de repérer la seule femme du paddock ! En effet, depuis deux ans, elle est l’unique représentante du sexe féminin dans cet univers très masculin du sport automobile (un fait plutôt amusant pour celle qui nous confiera plus tard pratiquer un autre sport, pour le coup très girly : le pole dance). Finalement, c’est elle qui vient à notre rencontre dans sa combinaison blanche et rose, un large sourire sur le visage. « On vient de finir les essais », explique-t-elle. Elle nous conduit vers l’emplacement où est sagement garée sa Nissan S14A jaune. À l’arrêt, moteur éteint et pneus refroidis, on ne se doute pas un seul instant que le lendemain, cet engin de 300 CV crissera de toute sa puissance sur le circuit bitumé d’Albi pour la finale du Championnat de France de drift, Séverine au volant.
Mais au fait, c’est quoi le drift ?
« C’est un sport automobile qui mélange glisse et dérapages. La discipline provient du Japon. Le principe est simple : des pilotes lancent leurs voitures sur une piste bitumée et le but est de garder la glisse d’un point de départ jusqu’au point d’arrivée, en faisant une succession de virages (portion de piste d’environ 1,5 km). C’est un peu comme du patinage artistique sur bitume ou du ski : il y a des mouvements droite-gauche, de la glisse et des dérapages sauf qu’on ne parle pas de « slalom » en drift, mais de « manji ». C’est un peu ce que l’on voit dans la série des films Fast & Furious. »
La voiture :
« On utilise des voitures propulsions, c’est-à-dire des voitures qui avancent avec les deux roues motrices arrières. Elles sont spécifiquement adaptées par les pilotes pour le drift : le pont est soudé pour que les roues accrochent et « grippent » bien, le braquage avant est également souvent modifié. Les voitures font entre 300 et 1.200 CV pour les engins les plus puissants. Elles sont biplaces mais le drifteur est seul en compétition (le second siège étant généralement utilisé pour faire des baptêmes). »
Un run :
« Le drift est un sport de notation. Plusieurs points sont pris en compte par les juges, notamment la vitesse, la précision (car il faut aller chercher en des endroits précis sur le circuit), la fluidité et le style. La moindre erreur et c’est zéro pointé, par exemple une roue qui sort de la piste ou un « re-grippe », c’est-à-dire le fait de ne plus faire glisser la voiture sur quelques mètres. »
Le Championnat de France :
« Il y a trois Championnats de France de drift : Élite, pro et loisir. Je concours en Élite. Ils sont organisés entre avril et octobre et comprennent généralement six ou sept manches. Chaque manche se déroule de la même manière. Il y a d’abord un run de qualification qui permet d’établir un classement. Seuls les 32 meilleurs pilotes se qualifient pour l’étape suivante, celle des battles. Ces derniers mettent deux voitures en concurrence, sur deux runs différents : un run en tant que leader, et un run en tant que suiveur. Le drifteur leader se lance sur la piste tandis que le drifteur suiveur s’attache à reproduire ses mouvements à l’identique, côte à côte. Le but étant d’être le plus serré possible, sans toucher l’autre voiture. Il faut faire les mêmes gestes et les mêmes trajectoires aux mêmes moments. C’est comme si c’était une danse en miroir. Une première note est attribuée aux deux pilotes. Ensuite, les rôles sont inversés : le pilote qui était suiveur sur le premier run devient leader sur le second. Celui qui obtient la meilleure note (moyenne des deux passages) est qualifié pour la suite de la compétition. On obtient un top-16, puis un top-8, des demi-finales et une finale. Pour le premier tour des battles, c’est le 32e pilote au classement des qualifications qui affronte le premier, et ainsi de suite. »
Les qualités d’un bon drifteur :
« Il n’y a pas de qualités particulières. C’est une histoire de ressenti avec la voiture. Le drifteur doit connaître sa voiture par coeur, savoir comment elle réagit. Il faut aussi un peu d’agressivité, ne pas s’endormir au volant, car s’il n’y a pas de vitesse cela ne marche pas. »
Comment devient-on pilote de drift ?
« Pour ma part, complètement par hasard. Personne dans ma famille ou dans mon entourage n’était dans le sport automobile. C’est mon mari, David, qui s’est mis au drift avec la saga Fast & Furious. Un jour, il m’a dit que je devrais essayer, moi aussi, mais ça ne m’attirait pas du tout ! Le suivre sur les circuits m’allait très bien ; être moi-même au volant, bof… Finalement, j’ai essayé et je n’ai plus jamais lâché la voiture depuis ! J’ai adoré la sensation de vitesse, le ressenti, l’adrénaline. Au départ c’est compliqué car malgré les apparences, c’est un sport très technique. Mais quand on commence à faire quelques glissouilles, la sensation est formidable ! On avait une voiture dans le garage qui n’avait aucune utilité. Mon mari s’est proposé de me l’équiper. C’était il y a 4 ans. Aujourd’hui, je participe au Championnat de France de drift. Qui l’eut cru ?! »
Le loisir d’un mari… devenu une véritable passion
« Avant les week-ends, on faisait les magasins, on se promenait. C’est finit tout ça ! Aujourd’hui, on passe nos samedis et dimanches au bord des circuits des quatre coins de la France et d’ailleurs. D’abord, il y a les 6 ou 7 manches du Championnat auxquelles nous participons. Bien souvent, il faut également compter un jour précédent (le vendredi) et un jour suivant (le lundi) pour assurer les déplacements. Heureusement, je travaille dans une entreprise familiale arrangeante en terme de congés. Ensuite, via notre association la « French Drift Community » (FDC), nous organisons des week-ends de roulage à destination des pilotes débutants ou de ceux qui ont déjà leur voiture. D’autres week-ends, nous faisons des journées baptêmes et découvertes. Enfin, nous voyageons également en fonction du drift pour aller voir des manches de championnat européen. Le drift, c’est ma vie aujourd’hui, une vraie drogue ! »
« J’ai décroché mes premiers sponsors alors que je n’avais aucun résultat et que ma voiture était d’origine ! »
La gestion du risque :
[Même en tant que journalistes, nous avons dû fournir une attestation de responsabilité civile pour pouvoir nous promener sur le paddock du circuit d’Albi ce week-end-là, histoire d’être couverts en cas de pépin. Pas très rassurant…]
« ll ne vaut mieux ne pas y penser…. Sinon on n’avance pas et on ne tente jamais rien. C’est difficile aussi car je suis plutôt perfectionniste et donc je me mets beaucoup de pression. Arrivée sur la ligne de départ, quand c’est l’heure des battles, je perds tous mes moyens. Je me souviens, pour mes premières participations au championnat de France, j’avais les jambes qui tremblaient et j’étais au bord des larmes dans la voiture tellement j’étais angoissée… C’est quelque chose qui se travaille. Aujourd’hui, je le vis mieux. »
Objectifs des futures saisons :
« J’aimerais bien tomber contre mon mari aux battles, ce serait marrant même si je perdrais très certainement. Je ne cherche pas le podium, pas encore. Gagner des battles et sortir quelques garçons, pour l’année prochaine, ça m’irait très bien. »

Le coût, premier frein à la participation des femmes en drift
Depuis deux ans, Séverine Meunier participe au Championnat de France de drift (Elite) avec une particularité : celle d’être la seule femme. « Personne n’est venu me dire ouverture « qu’est-ce que tu fous ici, tu n’as pas ta place », mais c’est vrai que les regards étaient beaucoup tournés sur moi. Finalement, je me suis bien intégrée ». Certains pilotes viennent lui donner des conseils et elle n’hésite pas non plus à aller demander.
Un argument pourrait expliquer la faible présence des femmes en drift : le prix. Car, comme tous les sports mécaniques, c’est une discipline onéreuse. « Je n’ai jamais chiffré le budget d’une saison, ça me fait trop peur… », admet Séverine. Heureusement, les compétences de son mari en mécanique et le dévouement de ses amis lui permettent d’économiser un staff technique. Malgré tout, elle n’échappe pas aux frais d’inscription des manches du Championnat de France, qui sont d’environ 250€ par étape (soit 1.500€ l’année), aux frais de déplacements (souvent plus élevés pour les pilotes qui viennent du nord de la France comme elle, originaire du Mans, le championnat ayant lieu majoritairement dans la partie sud de l’Hexagone) et à l’achat des pneus, « inconsommables » pour les drifteurs. « Il y a beaucoup de drifteuses en France, nous explique-t-elle, mais souvent ce sont des femmes de pilotes ce qui implique de multiplier par deux tous les postes de budget. Financièrement, c’est un gouffre d’être deux drifteurs dans une même famille. » Elle est bien placée pour le savoir. Aussi, beaucoup de femmes se servent de la voiture de leur mari de temps en temps, pour se faire plaisir sur les circuits. Mais faire du drift leur sport à elles reste matériellement difficile.
L’intérêt d’un championnat féminin :
Un championnat automobile uniquement ouvert aux femmes va voir le jour cette année avec des voitures de type Formule 3. Cette nouvelle, annoncée il y a quelques mois, a littéralement divisé le monde du sport auto. Certains y voient un moyen de briser le plafond de verre et de permettre une meilleure représentation féminine dans les sports mécaniques quand d’autres, au contraire, dénoncent un regrettable pas arrière dans une des rares disciplines où la mixité est de mise. Interrogée sur le sujet, Séverine donne son avis : « Ça pourrait être intéressant, à condition bien sûr de ne pas fermer les portes des championnats mixtes. Je parle pour moi, en drift évidemment, mais c’est compliqué, face à 50 garçons, d’accrocher un podium. De part ma voiture (une Nissan S14 A de 400 CV, en cours d’évolution) et de part mon expérience. Puis sans faire de généralités, les hommes ont quand même plus d’agressivité. Pour parler familièrement, ils sont globalement plus bourrins, plus fonce-dedans et c’est bon pour le drift. » De fait, elle n’a jamais réussi à gagner un battle en championnat, son meilleur résultat étant une qualification dans les 32 meilleurs pilotes. « Il y a quelques années, on avait la Ladies Drift Cup, qui a depuis disparue. Ce n’était pas un championnat officiel mais des compétitions organisées entre une dizaine de drifteuses et il y avait une vraie concurrence entre nous. C’était intéressant, pour une fois, d’avoir l’impression de se battre à armes égales. » Le problème d’un championnat 100% féminin, c’est qu’il faut trouver des drifteuses qui ont leurs propres voitures. Le serpent qui se mord la queue, en somme.
La chouchou du public et des sponsors

C’est un paradoxe bien connu : les sports automobiles sont majoritairement masculins, les champions sont tous des hommes (toujours) et, pourtant, ce sont les femmes les vraies stars des paddocks. « J’ai déroché mes premiers sponsors alors que je n’avais aucun résultat, que ma voiture était d’origine et que je n’avais rien demandé à personne », se souvient Séverine. Le côté bankable de la femme au volant. D’autant qu’elle a tout pour plaire aux partenaires : elle est jeune, jolie et féminine jusqu’aux bouts des ongles vernis en rose. N’en déplaise à certains, c’est une réalité dans le sponsoring sportif. « C’est l’image qui plaît car c’est encore rare de voir une femme sur les circuits. Mais ça joue plutôt en ma faveur alors je ne vais pas m’en plaindre. » Aujourd’hui, trois sponsors majeurs l’accompagnent sur le Championnat de France : KD Racing, site spécialiste de l’entretien et de l’équipement automobile, la boisson énergisante Dark Dog et la French Drift Community, son association. Ils l’aident à financer ses inscriptions aux manches du championnat de France, l’achat de certaines pièces mécaniques et des pneus.
Côté public, c’est encore elle la coqueluche. Il ne se passe pas une étape sans qu’elle ne soit félicitée. « Parfois ç’en devient presque gênant…, confie Séverine. Toutes ces attentions simplement parce que je suis une femme. » Malheureusement, cet engouement autour d’elle ne lui permet pas encore de vivre de sa passion. « C’est trop tôt pour le drift de manière générale, et pour les femmes encore plus ». Mais elle a bon espoir pour sa fille de 13 ans qui, comme papa et maman, est tombée dans la marmite drift. Son rêve : devenir professionnelle.