Voici peut-être l’un des derniers tabous du sport féminin : les règles. Comme toutes les femmes au monde, les sportives n’échappent pas à cette période particulière du mois. Qu’elles soient amatrices ou athlètes de haut-niveau, toutes tentent tant bien que mal de concilier sport et menstruations. Mais les questionnements demeurent nombreux. Peuvent-elles vraiment tout faire ? Quel impact sur la performance ? Quelles adaptations possibles ? Des réponses ont déjà été apportées à ces interrogations. Mais les idées reçues ont parfois la vie dure… Dans cette enquête, nous allons tenter de démêler le vrai du faux grâce aux travaux de Carole Maître, gynécologue à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP), et aux explications avisées de Gwenaëlle Madouas, médecin du sport et de l’équipe de France féminine de cyclisme.
Par Floriane Cantoro
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.11 de janvier-février-mars 2019
Règle d’or : en matière de règles, il n’y a pas de règles !
Chaque femme est différente et vit donc différemment cette période particulière des menstruations. Certaines vont avoir des règles abondantes et douloureuses, et d’autres de tout petits saignements. Le tout est de s’écouter, d’écouter son coprs et de ne surtout pas hésiter à consulter un médecin ou un gynécologue si nécessaire.

La Dr. Gwenaëlle Madouas, médecin du sport à Brest et de l’équipe de France féminine de cyclisme a accepté de répondre à quelques unes de nos questions sur la thématique des règles chez les sportives.
▶︎Quand les règles sont peu douloureuses ou peu abondantes, il n’y a aucune raison d’arrêter ou de réduire la pratique.
VRAI
Bien essayé les filles, mais ça ne prend pas ! Vos mots d’excuses au professeur d’EPS pour échapper aux séances de sport en raison d’une indisposition ne sont pas crédibles. Car aucune raison médicale ne contre-indique la pratique d’une activité sportive pendant la période des règles. Au contraire même : « En cas de sensations faibles ou modérées, il vaut mieux faire du sport, expliquait Carole Maître, gynécologue à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP), dans les colonnes de Elle en mars 2017. Au bout d’une demi-heure d’activité, les petites douleurs disparaissent grâce à la sécrétion d’endorphines, les hormones du bonheur. Un entraînement régulier permet même d’élever ce seuil de sensibilité à la douleur et de rendre les règles moins pénibles. »
Malgré tout, on peut prévoir quelques ajustements dans ses entraînements.
« Ce qui est important, c’est d’adapter la pratique en fonction des spécificités et des symptômes de chacune », nous précise Gwenaëlle Madouas, médecin du sport et de l’équipe de France féminine de cyclisme. Aussi, si on a mal au ventre et qu’on se sent un peu ballonnée, il est préférable de s’orienter vers des disciplines où le poids du corps n’est pas ressenti tels que le vélo ou la natation, pour éviter les chocs au niveau du ventre. « Le premier jour, je me sens très fatiguée. Je vais plutôt faire des séances de renforcement musculaire pendant lesquelles j’évite les abdos, ou alors des sorties running à allure modérée plutôt que du fractionné », témoigne Anne, coach sportive et auteure du blog Anne & Dubndidu dans un article posté fin 2016.
▶︎ Lorsqu’on a ses règles, on est moins performante.
FAUX
Le cycle féminin est constitué de deux phases qui encadrent la période d’ovulation : la phase folliculaire (pré-ovulatoire), pendant laquelle les femmes ont leurs menstruations, et la phase lutéale (post-ovulatoire). Des études ont été réalisées pour savoir si les performances étaient plus élevées au cours de l’une ou de l’autre des deux phases du cycle. En 2007, lors de la 4e édition de la Conférence nationale médicale interfédérale, Carole Maître expliquait déjà que, « depuis 2000, il a été établi qu’il n’y avait pas de modification de la force musculaire, ni d’incidence sur le métabolisme énergétique entre la première et la deuxième phase du cycle ». Hormis les cas spécifiques de règles abondantes (risque d’anémie et de fatigue) et douloureuses, les menstruations n’ont pas d’effets sur les performances.
Mais la performance ne repose pas que sur des facteurs physiologiques. « En fait, ce ne sont pas les règles qui dérangent, mais la semaine qui les précède, celle du syndrome prémenstruel », précise Gwenaëlle Madouas.
Le syndrome prémenstruel est un ensemble de symptômes physiques et émotionnels qui surviennent habituellement 2 à 7 jours avant les règles et qui prennent fin avec l’arrivée de celles-ci ou dans les jours qui suivent. Les symptômes les plus courants sont la fatigue, les seins tendus et gonflés, la rétention d’eau, les jambes lourdes, le gonflement du bas ventre, les maux de tête et de l’irritabilité.
« Chez certaines femmes, le syndrome prémenstruel est extrêmement marqué, jusqu’à s’apparenter à une mini-dépression », ajoute le médecin de l’équipe de France féminine de cyclisme. Il toucherait plus de 70% des femmes et, parmi elles bien sûr, des sportives. Dans une étude menée par l’INSEP sur 363 sportives en 2008-2009, 83% ont déclaré souffrir de ce syndrome. 64% des sportives interrogées estiment qu’il diminue significativement leurs performances.
▶︎À très fortes doses, le sport peut modifier le cycle jusqu’à faire complètement disparaître les règles.
VRAI
C’est quelque chose qui est très fréquent dans le sport de haut-niveau, mais également chez les amatrices qui ont une pratique intense ; celles qui courent entre 3 et 4 fois par semaine peuvent être concernées. Ce phénomène se nomme la « triade de la femme sportive ». Gwenaëlle Madouas nous explique : « Face à la quantité d’entraînement, la prise nutritionnelle n’apporte plus assez de calories par rapport à la dépense énergétique. Cela entraîne une baisse de la masse grasse. Et comme les oestrogènes, qui sont les hormones responsables de l’arrivée des règles, sont fabriquées en partie dans les tissus graisseux, elles aussi diminuent de fait. Cela va de l’oligoménorrhée (peu de règles) jusqu’à l’aménorrhée (absence totale de règles) ».
Elle met en garde contre ce phénomène. « Souvent, le motif de consultation est l’absence de menstruations chez la jeune sportive. Mais il n’est pas rare qu’on soit face à un début de trouble du comportement alimentaire, voire d’une anorexie mentale ».

▶︎Les sportives qui n’ont pas leurs règles en raison d’une pratique physique intensive ne doivent pas s’inquiéter, c’est courant.
FAUX
« La diminution de la sécrétion d’oestrogènes, qui sont des hormones dont l’os a besoin, a un impact sur la densité minérale osseuse », précise le Dr. Madouas. Il y a quelques années, ce phénomène d’absence de règles était mal connu ; les sportives n’en parlaient pas parce que finalement, ça les arrangeait de ne pas avoir leurs règles. Mais ce côté pratique est balayé par les risques à moyen et long terme. « L’absence de règles a de graves conséquences sur le tissu osseux. Elle peut aboutir à de véritables catastrophes osseuses, pour le coup irréversibles. Il y a des risques pour ces sportives de se retrouver à 35 ans avec une ossature de femme ménopausée, parce qu’elles font de l’ostéoporose très intense ».
Face à un cas de « triade de la femme sportive », les médecins essaient dans un premier temps de faire reprendre 1 ou 2% de masse grasse à la sportive. Ainsi, parfois, les choses rentrent naturellement dans l’ordre. Si tel n’est pas le cas, ils lui proposent des moyens de contraception qui permettent un apport artificiel d’hormones. Le taux d’oestrogènes remonte et les os sont protégés.
▶︎Enchaîner deux plaquettes de pilule pour décaler ses règles à l’approche d’une compétition n’est pas déconseillé.
VRAI / FAUX
« Ce qui n’est pas bon, c’est de ne pas avoir ses règles naturellement en raison d’une chute du taux d’œstrogènes (ndlr, cf. « triade de la femme sportive »), précise Gwenaëlle Madouas. En revanche, enchaîner deux plaquettes de pilule et donc empêcher artificiellement l’arrivée des règles, n’a aucun effet nocif pour la santé. »
Cependant, la spécialiste en médecine du sport n’est pas favorable à l’utilisation constante de cette pratique. « En période de grandes compétitions, si la sportive ne veut pas être gênée au niveau des douleurs, si elle veut être au top de sa liberté de mouvement sans ressentir le moindre petit stress de protection périodique, pourquoi pas. Mais je ne suis pas pour dérégler constamment artificiellement le cycle. Aucune étude n’a jamais été faite sur le sujet, c’est vrai, mais on peut penser que perturber sans cesse les cycles de fabrication naturelle des hormones, à terme, peut avoir une incidence sur la fécondité. Certaines femmes qui n’ont jamais trafiqué leurs règles éprouvent parfois des difficultés à tomber enceinte alors si on a passé 10 ans de sa vie à perturber les hormones, ça risque de ne rien arranger. »
Dans le cas d’une sportive emmenée à décaler souvent ses règles par l’enchaînement de deux plaquettes de pilule, elle préconise de s’orienter vers d’autres moyens de contraception : notamment une pilule seasonnique qui permet de réduire le nombre de saignements menstruels à quatre épisodes programmés par an ; ou un stérilet faiblement dosé en progestérone qui diminue considérablement les flux et qui est parfaitement adapté aux jeunes filles qui n’ont jamais eu d’enfants (contrairement aux stérilets d’antan souvent réservés aux femmes mamans).
▶︎Les variations hormonales du cycle menstruel ont un impact sur l’activité physique, ce qui fait qu’on peut intelligemment adapter ses séances de sport.
VRAI
Pendant la première phase du cycle, appelée phase folliculaire (du 1er au 14e jour), le profil hormonal des femmes est dynamique : « c’est un moment propice aux efforts explosifs et au développement musculaire », précise la médecin. Ensuite, lors de l’ovulation (au 14e jour du cycle), le dynamisme est ponctué de coups de fatigue qui augmentent les risques de blessures. Enfin, l’augmentation du taux de progestérone et la diminution des œstrogènes au cours de la seconde phase du cycle, appelée phase lutéale (du 14e au 28e jour), en font un « moment idéal pour faire des efforts d’endurance ».
▶︎Les entraîneurs et éducateurs ne sont pas suffisamment formés et informés sur ces questions des menstruations.
VRAI
C’est un sujet qui n’est pas évoqué dans les formations d’entraîneurs et d’éducateurs. Et c’est un sujet dont les sportives n’aiment pas trop parler avec leurs entraîneurs non plus, surtout que ceux-ci sont souvent des hommes. Olivier Krumbholz, sélectionneur de l’équipe de France féminine de handball, le confirmait d’ailleurs dans L’Équipe Magazine du 18 février 2017 consacré au sujet : « Les choses se régulent en direct avec le médecin. À moi, elles n’en parlent pas. C’est de l’ordre du médical. Je n’ai jamais eu une discussion à ce sujet avec une des filles. On essaie d’avoir de la complicité avec les joueuses, mais on a une limite, qui est l’intimité. » Ce qui fait que cela devient un sujet qu’on évite, dont on fait presque abstraction.
Sauf que, pour le Dr. Gwenaëlle Madouas, il est important que les entraîneurs puissent connaître ce qu’il se passe chez leurs sportives au niveau du cycle menstruel, afin de mieux comprendre les différences avec les hommes en termes de fonctionnement, de physique et de psychologie.
Dans l’idée d’optimiser les performances et dans la mesure où cela fait partie de la vie des femmes, il est nécessaire de dialoguer avec son entraîneur, que l’on pratique du sport à haut-niveau ou en amateur, de s’écouter et de planifier les séances de sport en fonction du cycle. Tout le monde y est gagnant.
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