Directrice des Sports d’Eurosport France depuis quatre ans, après 15 ans passés à l’antenne, Géraldine Pons est la première femme nommée à un tel poste dans le PAF. Un parcours exemplaire et inspirant… mais encore trop rare ! Les hommes doivent-ils « faire de la place aux femmes » au sein des rédactions sportives ? Pas forcément… Pour Géraldine Pons, la société a évolué et toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour que son cas ne soit pas isolé. Et si, finalement, l’autocensure et le manque d’audace étaient les véritables ennemis de la journaliste sportive, bien plus que le sexisme. PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID TOMASZEK. Extrait du WOMEN SPORTS N°26.
WOMEN SPORTS : QUEL PARCOURS VOUS A MENÉ JUSQU’À LA DIRECTION DES SPORTS D’EUROSPORT FRANCE ?
GÉRALDINE PONS : Un parcours relativement atypique. Je ne baignais pas dans un environnement spécialement sportif, même si j’ai pratiqué la danse pendant de nombreuses années. Lorsque j’étais étudiante en journalisme, je rêvais de devenir critique cinéma. Le sport n’était pas une option naturelle. J’ai démarré ma carrière à LCI, aux news. C’était très généraliste. Je couvrais tout : beaucoup de sujets santé, société, de la politique étrangère aussi et même de l’économie (ma bête noire !). Puis lors de la Coupe du monde 1998, j’ai été amenée à couvrir des sujets sportifs, toujours sur LCI. J’ai eu un déclic. La news généraliste commençait à me peser, je venais de couvrir les massacres du GIA en Algérie. J’ai découvert cet univers du sport, bien plus léger et bienveillant. J’ai aimé cette ambiance. J’ai trouvé ma place. Les opportunités de la vie ont fait le reste. Nous avons imaginé avec mon ex-conjoint, qui travaillait également pour le groupe TF1, un format de rubrique pour Téléfoot, qui a été accepté. Puis Roger Zabel m’a recruté sur Eurosport en 2001. J’étais alors la seule fille de la rédaction !
VOTRE INTÉGRATION A-T-ELLE ÉTÉ DIFFICILE ?
Consciente que je n’étais pas la plus légitime sur la compétence sportive, je me suis dit : « si tu ne bosses pas, t’es morte ! ». J’ai donc travaillé deux fois plus. Je n’ai pas hésité à demander de l’aide dès que j’en avais besoin. J’ai ainsi été très vite adoptée par cette petite famille que constituait alors la rédaction d’Eurosport. J’étais la seule fille donc j’ai probablement apporté un peu de féminité à une oreille différente, de l’empathie aussi… Donc oui, la seule journaliste féminine que j’étais à l’époque n’a connu aucun problème d’intégration au sein de cette rédaction dans laquelle j’ai par la suite grandi.
AU SEIN DE LA RÉDACTION D’EUROSPORT, VOUS AVEZ EU DES RÔLES TRÈS DIFFÉRENTS ET COUVERT DE MULTIPLES SPORTS…
J’ai eu des missions très différentes. Cela venait clairement de mon origine « généraliste ». On m’a confié le JT, des tranches de Live, des reportages…. Je suis passée par l’édition mais aussi par le commentaire sportif : j’ai commenté le patinage artistique pendant dix ans et j’ai adoré ça ! Toutes ces expériences m’ont permis d’avoir une vision d’ensemble de la rédaction. J’ai aussi imaginé des concepts en lien avec les sujets qui me tenaient à cœur : les enjeux sociétaux du sport, l’éducation, l’environnement… Jérôme Papin, mon directeur de l’époque, m’a soutenue dans cette voie et m’a confiée la première émission dont j’étais pleinement aux commandes. Terminé, l’ère de la chroniqueuse. J’ai créé une émission rugby dans laquelle j’étais entourée de garçons très gaillards et un brin machos. Le premier jour, ils sont arrivés en retard à l’enregistrement car ils avaient fait une halte pour prendre l’apéro. Je leur ai dit que j’arrêtais l’émission s’ils recommençaient. Le jour suivant, ils sont arrivés à l’heure avec un bouquet de fleurs ! Je n’ai jamais rechigné à changer de poste, à faire des remplacements, à tester des concepts… Je me disais « Je ne suis ni la plus belle ni la plus pétillante donc ils ont vraiment besoin de moi ! » C’était une forme de reconnaissance implicite.
EN TANT QUE PREMIÈRE FEMME À LA RÉDACTION, VOUS AVEZ VU PU OBSERVER L’ARRIVÉE DES SUIVANTES ET L’ACCUEIL QUI LEUR ÉTAIT RÉSERVÉ. EST-IL PLUS FACILE POUR UNE FEMME AUJOURD’HUI D’INTÉGRER UNE RÉDACTION SPORTIVE ?
J’ai effectivement un regard sur l’évolution de la société en général et de la rédaction en particulier. Il y a clairement moins de sexisme aujourd’hui qu’il y a 20 ans. L’éducation de nos enfants est passée par là. Des exemples de femmes qui réussissent dans tous les domaines, également. En 2001, je n’aurai jamais pu concevoir d’être la présentatrice principale d’un magazine récurrent. Il y avait énormément d’autocensure. Cela a considérablement évolué. Il y a même eu un effet pervers : certaines journalistes femmes sont venues tenter leur chance dans le sport pour « prendre la lumière » de la télévision. Celles-ci n’ont pas duré. Le sport est un milieu particulier et il faut s’y sentir à l’aise.
VOUS DIRIGEZ AUJOURD’HUI LA RÉDACTION ET DONC LE RECRUTEMENT DES JOURNALISTES. AVEZ-VOUS UNE ATTITUDE PROACTIVE POUR PRIVILÉGIER LES FEMMES ?
Clairement pas. Je privilégie la compétence et uniquement la compétence. Du reste, rien ne vaut la mixité. La complémentarité hommes / femmes est enrichissante, à l’édition comme à l’antenne. Par contre, je ne vais pas m’empêcher de monter des plateaux 100 % féminins si j’estime que j’ai deux femmes compétentes. Je ne vais pas me forcer à équilibrer avec un homme. Par ailleurs, en tant que femme, je n’aurai évidemment jamais de critère physique pour juger une journaliste. Je ne vais pas écarter une femme de l’antenne parce qu’elle revient de grossesse : j’ai pu moi-même être victime de ce phénomène par le passé (ndlr : Géraldine est maman de trois enfants). De ce point de vue-là, l’arrivée des anglo-saxons de Discovery à Eurosport il y a six ans m’a facilité la tâche. Dans leur mentalité, la mixité ou les questions physiques ne sont pas un débat. Maintenant, reconnaissons aussi que les statistiques sont implacables : pour un poste à pourvoir, je reçois 3 CV féminins pour 75 CV masculins.
FAUT-IL AGIR POUR INVERSER CE RATIO ET ATTIRER DAVANTAGE DE FEMMES VERS LES RÉDACTIONS SPORTIVES ? LES HOMMES DOIVENT-ILS FAIRE DE LA PLACE ?
Il y a quinze ans, j’aurais peut-être répondu par l’affirmative. Mais aujourd’hui, je ne le crois pas. Les formations existent, la communication est faite là-dessus. Les journalistes féminines ont à disposition tous les atouts pour postuler et réussir dans cet univers du sport. C’est aussi aux femmes d’en faire plus, elles doivent saisir leur chance ! Quand on m’a proposé de gérer la France, j’ai eu un peu peur. Puis je me suis dit : « mais si, bien sûr ! » Pourquoi s’interdire de tenter des challenges ? Le complexe de la femme bonne élève qui ne sort pas de sa zone de confort existe encore un peu. Il faut l’éliminer. J’ai participé à de nombreux colloques depuis plusieurs années, y compris à des débats du style « comment mettre des femmes aux postes à responsabilités ». Heureusement, ce genre de débat est aujourd’hui éculé. Les femmes ont toute leur place, à elles de lever la main.