Pour progresser sur piste, on entend souvent qu’il faut un bon renfo et une prépa mentale. Mais en réalité pas seulement… Afin d’améliorer ses performances en athlétisme, que ce soit sur les plans de la respiration, de la souplesse ou de la compréhension du geste, il existe des pratiques et techniques inspirées du pilates, du yoga, ou encore de la danse. Elles semblent, au départ, éloignées de l’objectif. Et pourtant… Témoignages sportifs et éclairages d’expertes.
PAR LÉA BORIE / Extrait de Women Sports magazine n°28 avril-mai-juin 2023
Les sports complémentaires au running
On les voit souvent en marge des stades, ces runneurs qui s’adonnent à des séances de PPG à outrance, et qui prennent un instant un peu énervé pour s’étirer post-entraînement. Mais le risque, à observer toujours la même routine sans d’autres approches, est non seulement de plafonner mais aussi de causer des traumatismes, osseux notamment. D’où l’intérêt des sports complémentaires, en préparation hivernale… comme toute l’année, et toute la vie !
Diversifier sa pratique sportive
Nombreux sont les sportifs à s’essayer à une discipline très éloignée de leur activité de départ. L’occasion de dépasser certaines peurs, d’améliorer leurs performances, ou tout simplement de briser la routine.
- La natation : synchroniser ses mouvements, muscler le haut du corps et améliorer la respiration, le tout sans fatigue musculaire.
- Le yoga : renforcer la musculature de l’abdomen, assouplir les muscles et développer l’endurance. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la méthode « Running yoga » a été créée par les auteurs du livre « Yoga pour runner », paru en 2017.
- Le pilates : améliorer la capacité pulmonaire, travailler l’équilibre, libérer les hanches. La technique, dont ont recours les athlètes en décompensation de fin de saison, est enseignée dans les grands opéras.
- La danse : s’assouplir, gainer les épaules, apporter une bouffée d’oxygène artistique à sa routine…
Initier le travail de corps et d’esprit avec les athlètes à l’Insep
Anaïs Michel en haltérophilie, Vimala Heriau en badminton, Emma Perche en handball, Guy Ontanon, co-recordman d’Europe du 100 m… A l’Insep, ils sont nombreux à enchaîner les asanas et techniques de respiration. Élodie Clouvel, vice-championne olympique de Rio 2016 en pentathlon moderne, expliquait dans INSEP Le Mag n° janvier-février 2021 pratiquer la danse pour se « sculpter de l’intérieur ». Pour ce faire, ces sportifs sont encadrés par des professionnels qualifiés. Membres de l’Unité d’aide à la performance, Armelle Cornillon et Armelle van Eecloo interviennent à la demande des entraîneurs, chacune pour des questions bien précises. Elles nous expliquent leurs spécificités.
On ne travaille pas dans le yoga bien-être mais dans la performance, Armelle Cornillon
Professeure diplômée de danse et de yoga, Armelle Cornillon est rentrée dans les rangs de l’Insep en 1995, mais c’est 2016 qu’elle prend part aux entraînements de haut niveau sur le volet yoga.
- Comment êtes-vous entrée à l’Insep ?
Ma génération, nous n’avions ni kiné ni préparateur pour nous accompagner. On s’échauffait d’une salutation au soleil, basta ! Pour autant, le complément yoga à une prépa physique n’est pas nouveau. Tennismen, judokas, footballeurs ont des parcours d’entraînement au yoga depuis des années. Et ça tend à s’institutionnaliser. La preuve, les danseurs de conservatoire ont des cours de yoga tous les matins depuis quelques années.
Néanmoins, ce n’est pas dans les réflexes de tous. C’est pour affirmer les démarches personnelles qu’un accompagnement dédié a été lancé à l’INSEP en 2016 auquel j’ai pris part, une pratique dispensée aux médaillés et médaillables de haut niveau. Je travaille aux côtés de mon fils Ancelin Rest, issu de Staps, qui apporte un aspect plus cartésien à ma vision très artistique.
- Quels sont vos axes de travail ?
Préparation, action, récupération ! Je ne fais pas de séparation entre préparation physique, mentale et émotionnelle. Je mélange état de conscience éveillé et travail de respiration. La conscience, parce que si tu fais tes exercices en scrollant Facebook, tu n’es pas présent.
Avec mon projecteur de cinéma, je m’imagine non pas faire mais être, vivant mon exercice sur tous les plans. Et la respiration pour comprendre que ce n’est pas juste un transport CO2/O2 mais d’énergie ! Pour ça, on peut avoir recours à la méthode de respiration Wim Hof.
- Et l’athlétisme ?
La démarche des sportifs demandeurs est prioritairement d’éliminer les blessures. Il arrive aussi qu’un entraîneur m’envoie un athlète jugé raide, alors qu’en travaillant, on constate surtout qu’il était tendu ! Pour raison émotionnelle souvent. Un muscle performant a une certaine élasticité, sinon on se blesse.
Souvent, il y a une dissociation entre force et souplesse, alors qu’en yoga, on travaille les muscles antagonistes pour garder l’harmonie, entre allongement et contraction musculaire. La problématique de l’encrage est assez présente. Les athlètes tapent le sol en utilisant le plancher pelvien. De plus, ils ont rarement une bonne conscience respiratoire. Leur respiration se fait par la montée du cardio à leur insu.
- Qu’est-ce que vous apportez aux sportifs ?
La majeure partie du temps, mon accompagnement se fait individuellement au sein de l’Insep, à raison d’une séance par semaine minimum. On construit la séance avec l’athlète, en fonction de sa fatigue, ses performances et ses douleurs. Mais souvent, quand il démarre le suivi, il ne l’arrête pas. Etant issue du monde de la danse, je travaille avec une extrême rigueur. On n’est pas du tout dans le yoga bien-être, image souvent véhiculée de cette pratique, mais dans la performance. Je veux voir des résultats. Même si on ne bouge pas systématiquement, à la fin de la séance, les athlètes sont épuisés.
En savoir plus sur le yoga vu par Armelle Cornillon ici.
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« J’ai commencé le suivi avec Armelle Cornillon et Ancelin en septembre deux fois par semaine, dans le but de coupler ma discipline à autre chose, ne pas penser qu’athlé, persuadée, comme mon coach, que le yoga avait quelque chose à m’apporter. Il faut dire aussi que ma blessure de l’an dernier m’a demandé de me recentrer, pour reprendre du plaisir à courir. Moi qui pensais surtout souplesse, sur le plan technique, les exercices de respiration ont été une révélation, afin de retrouver une bonne capacité respiratoire et ne pas subir ma course. Ma façon de respirer était liée à l’émotionnel, il a fallu libérer, déverrouiller les craintes. »
Conscience et connaissance du corps avec Armelle van Eecloo
Armelle van Eecloo, danseuse qui s’est imposée dans les stades. Elle est aujourd’hui chargée de l’optimisation du geste. Tout a commencé pour Armelle van Eecloo en athlétisme par une commande pour améliorer un allongement de pied.
On ne fait pas appel à elle pour une pratique spécifique, type yoga ou pilates, mais pour un besoin précis : « Je suis rentrée à l’Insep par la natation synchronisée, en 2002, suivie de la gym, du patinage… Puis, j’ai été repérée pour intégrer les rangs de l’athlétisme, un sport que je ne connaissais que très peu. Je me suis invitée dans le haut niveau avec un grand respect, au nom de la performance ».
Gagner quelques millimètres, affiner sa pointe de pied, placer son bassin… Un athlète se fabrique comme il peut, mais en haut niveau, on fait dans la dentelle. Passer dans le sport pro, c’est avoir conscience de son corps, l’analyser et retravailler sa motricité pour viser l’excellence.
Avoir une meilleure conscience et une meilleure connaissance de son physique permet une certaine autonomisation, afin de savoir d’où part le mouvement. Faire baisser le chrono du sprinter, améliorer le saut en longueur… ça passe par un délié articulaire, afin de produire un effort compacte. Et c’est ce qui plaît à Armelle, passionnée par le dépassement de soi depuis son plus jeune âge.
« J’ai les yeux qui brillent en voyant les corps se moduler, se façonner, s’enjoue la spécialiste, mais je sais aussi que pour ça, il faut bosser dur. » L’important : que ses interventions soient intégrées aux gammes d’échauffement. Elle les voit comme « une caisse à outils qui va leur servir, peut-être tout de suite, mais aussi toute leur vie », précise-t-elle avec fierté.
Choisir sa pratique sportive
D’après Armelle van Eecloo il est préférable de ne pas accumuler les interventions physiques sans concertation avec le projet de performance. « Parfois cela rassure de faire plein d’activités, prévient-elle, mais cela peut-être au détriment du projet et de son propre physique. Il est important de bien identifier toutes les actions physiques sur chaque athlète, en collaboration avec l’entraîneur. Cela peut éviter la surcharge ou le manque de travail… »
La rencontre avec le pilates
Etant jeune soliste, Armelle se blessait. Elle craignait sans cesse le retour de blessure, et saturait ; avant de découvrir la technique de Jérôme Andrew (disciple de Joseph Pilates) axée sur la physicalité, avec des notions ostéo. « J’ai eu la chance de le rencontrer à 12 / 13 ans, ce qui m’a aidé à avoir une meilleure conscience de mon travail et à continuer d’accomplir mon rêve à travers la danse ». Son autre révélation a eu lieu autour de l’aïkido.
« C’est dur d’aller dans le mouvement et de se jeter dans le vide si on ne sait pas comment faire. J’ai alors appris qu’il ne fallait pas se battre contre soi-même. On ne se jette pas contre un mur pour percer. Il faut ouvrir une fenêtre que sont les outils de préparation. »
Un travail qui se fait en totale collaboration avec les entraîneurs, mais aussi avec le staff médical, nous précise la chorégraphe : « C’est un travail d’équipe où la confiance doit s’établir. J’ai besoin de comprendre tout le projet des entraîneurs, et qui intervient auprès des athlètes. »
En savoir plus sur Armelle Van Eecloo ici.