Le burn out est le mal du siècle. Il touche les actifs… et parfois les très actifs : les sportifs ! Nombreuses sont les athlètes de tous horizons à être sorties du silence sur la pression qu’elles ont subi lors de grandes compétitions. La gymnaste Simone Biles, la tenniswoman Naomi Osaka, et plus récemment la snowboardeuse Chloe Kim, titrée à Pékin. Pour aller plus loin, nous avons interviewé la sprinteuse Ayodele Ikuesan et Maxine Eouzan, qui était en route pour les Jeux Olympiques avant de craquer mentalement… et de rebondir par un beau parcours dans l’émission Koh-Lanta. Toutes lèvent le voile sur les difficultés mentales que le sport de haut-niveau peut revêtir. Témoignages et expertises. PAR VANESSA MAUREL. Extrait du WOMEN SPORTS N°24.
La parole autour du burn out sportif se libère doucement
Naomi Osaka a ouvert le bal des confes- sions en mai 2021. La joueuse de tennis japonaise avait d’abord décidé de boy- cotter les médias lors du tournoi pari- sien Roland-Garros Elle avait finalement renoncé à la compétition pour, dit-elle, « préserver sa santé mentale », rouvrant le débat sur le psychique mis à mal des sportifs. Cette sortie remarquée, suivie d’un moment passé loin des courts et de la compétition, a été finalement saluée par le monde du sport de haut niveau, dans lequel le burn out est encore tabou.
Après elle, Simone Biles avait elle aussi montré des signes de mal-être psychologique, aux Jeux Olympiques de Tokyo 2020, qui ont eu lieu à l’été 2021. La gymnaste américaine avait en effet décidé de renoncer au concours général, aux JO. « Dès que je monte sur le tapis, c’est juste ma tête et moi… Je dois traiter avec des démons dans ma tête (…) Je dois faire ce qui est bon pour moi et me concentrer sur ma santé mentale et ne pas compromettre ma santé et mon bien-être » s’était-elle justifiée médiatiquement. Si Caroline Fanciullo, psychologue du sport, ne considère pas qu’elles soient arrivées jusqu’au burn out, elle estime qu’« elles ont eu la sagesse d’arrêter au bon moment. Leur mental était épuisé. Elles ont eu la bonne réaction en se disant que si elles voulaient concourir dans le futur, il ne fallait pas se cramer. C’est un bon réflexe, car si on va trop loin dans le mal-être, il peut être plus difficile d’en sortir. »
Tous les sportifs peuvent-ils être touchés ? Certainement, bien que les sports individuels soient en ligne de mire. C’est du moins ce que met en lumière Paul Pinto, préparateur mental. «Dans un sport collectif, on peut se confier. On se connaît par cœur, on s’en- traîne ensemble, on tisse des liens. On peut plus facilement voir quand l’un de nous va mal, alors on se réconforte, on se tire vers le haut. Seul, la pression est plus forte. On sent tous les regards sur nous. On a l’impression de ne pas avoir le droit à l’erreur ». Cette sensation de devoir réussir coût que coût semble être le point de références des sportifs menés au burn out. La preuve avec ce qui suit.
TÉMOIGNAGE – « Au bord du plongeoir, je commençais à avoir des pensées bizarres… » Maxine Eouzan

« J’ai craqué. Je pleurais tout le temps. Ce n’était plus possible », nous explique Maxine Eouzan, gagnante de Koh-Lanta 2021. Ancienne gymnaste acrobatique, la jeune femme s’était investie dans la discipline olympique du plongeon, mais elle a abandonné juste avant les Jeux Olympiques de Rio de 2016, n’arrivant plus à gérer ses peurs. En 2015, un an avant les JO, Maxine ne trouve plus aucun plaisir dans la pratique de son sport. Comment en est-elle arrivée là ? Pour le comprendre, remontons le fil de son histoire.
Dès l’âge de 3 ans, Maxine foule les tapis. D’abord en gymnastique artistique, puis en gymnastique acrobatique. À 9 ans à peine, la jeune fille découvre ce qui va être la passion de sa vie.

« J’ai toujours baigné dans le sport. Mon père était double champion du monde de tumbling, ça annonce la couleur. Puis mon frère s’est inscrit au trampoline et moi qui passais mon temps dans les salles de gym, j’ai fini par suivre (…). J’étais voltigeuse. Autrement dit, la fille qui saute et fait des acrobaties dans les airs. J’avais deux autres partenaires. Je suis tombée amoureuse de cette discipline ».
Malheureusement, alors qu’elle vient d’intégrer l’INSEP, et après de belles performances, Maxine voit ses deux coéquipières arrêter la compétition et n’a jamais retrouvé de partenaire à son niveau…
Le choix d’une nouvelle discipline comme par dépit
Deux mois après la rentrée, la voilà plongée au cœur d’un dilemme : quitter l’Institut ou choisir un autre sport. Comme vous l’imaginez, la sportive a tenté le tout pour le tout pour continuer son cursus.
« Il y avait quelques disciplines qui s’offraient à moi en tant que gymnaste. J’ai pensé à faire du patinage artistique, mais je ne savais pas patiner. J’ai aussi songé à la natation synchronisée, mais apprendre à nager était trop difficile. Alors il restait le plongeon. Je n’aimais pas spécialement la piscine, mais j’y ai été poussée par mon frère. C’était une transition facile, car je connaissais mon corps, en tant qu’ex-voltigeuse. Il n’y avait qu’à maitriser l’entrée à l’eau. Ça m’a plu. Je trouvais ça marrant. Je progressais vite, ce qui était encourageant. Pour autant, je n’ai jamais ressenti ce petit ’’truc en plus’’ que j’avais pour la gymnastique ».

De rapides progrès
Les années passent, Maxine, en niveau junior, monte en niveau, en hauteur.
« J’ai débuté avec les plongeons à 1 m, puis 3 m. J’étais destinée à faire du haut vol (soit 7/10 m). J’avais de bons résultats dans ma catégorie. Mais quand j’ai commencé à évoluer en senior après mes 18 ans, j’ai senti un changement : le niveau des filles ne cessaient d’augmenter, comme la hauteur du plongeoir. Ce qui devenait difficile à gérer. J’ai commencé à faire plus de gamelles, à me faire plus peur. Je me souviens être au bord du plongeoir, je commençais à avoir des pensées bizarres. Je me disais ‘‘C’est sûr que je vais me rater, je vais me manger une pelle’’. Ça devenait hyper dangereux, car j’étais persuadée que j’allais me faire mal. Alors que la gym acrobatique est aussi un sport dangereux dans lequel j’étais projetée en l’air. Mais je ne me suis jamais inquiétée. Je n’avais jamais ressenti ça. J’avais une confiance totale en mes porteuses. En fait, c’était un sport d’équipe, et ça, ça changeait tout ».
À ce moment précis, Maxine ne maîtrise plus rien. En cette année 2015, sa dernière en sport de haut-niveau, Maxine enchaîne les faux pas.
« C’était un calvaire. Je faisais des perditions (je m’étais perdue en l’air, ce qui m’a vraiment effrayée). Je me suis même pris le tremplin dans la tête. Je n’ai jamais eu autant peur qu’en compétition de plongeon. Mais je m’accrochais au fait que les vacances arrivaient. En fin d’année, nous avions les Championnats d’Europe, après on pouvait souffler. Je m’étais dit que ça irait mieux quand je reviendrai dans la piscine. »
Le « dégoût » du plongeon
Au-delà d’avoir peur, au-delà se perdre toute motivation à se rendre à l’entraînement, Maxine Eouzan ne se reconnaissait plus.
« J’en suis arrivée à un tel dégout pour ce sport, que je ne voulais même plus faire de musculation parce que ça me faisait prendre des cuisses. C’est bête, mais j’avais l’im- pression qu’il me faisait changer du tout au tout, même en tant que femme. Je demandais à mon coach de faire seulement du cardio. J’étais malheureuse. Les Jeux Olympiques avaient beau être programmés dans quelques mois, il n’y avait plus rien à faire. Je voulais juste tout arrêter. Évidemment, j’étais de ces sportifs qui voulaient y aller. Même si je n’ai pas grandi avec cet objectif, car ma première discipline n’est pas une discipline olympique, le plongeon représentait l’opportunité d’y participer ».
Mettre fin à sa carrière sportive
Quitte à décevoir ses proches, elle ne voyait qu’une solution, mettre fin à sa carrière de sportive de haut niveau. « Quand j’ai arrêté, la seule personne qui n’a pas compris tout de suite, c’est mon papa. Le tumbling (sport dans lequel il a excellé NDLR) n’était pas une discipline olympique, mais il aurait tellement aimé faire les JO. Quand je lui ai annoncé ma décision, il m’a dit ‘‘Non Maxine tu peux pas arrêter alors que tu es à 7 mois des Jeux, que tu n’as pas encore tout tenté pour te qualifier et qu’il y a encore des possibilités que tu y ailles’’. Mais lorsqu’il a vu que je pleurais tout le temps, même en venant aux entraînements avec moi, il a compris. Et je n’ai jamais regretté. Pas une seconde. Le sport de haut niveau est difficile, il faut comprendre que l’on passe beaucoup de moments compliqués et les moments heureux se faisaient trop rares pour moi à la fin de ma carrière. »
LE BURN OUT, C’EST QUOI FINALEMENT ?
Nous pouvons tous, à un moment ou à un autre de notre vie y être confronté. Dans le milieu du sport haut niveau peut-être plus qu’ailleurs. « Le burn out survient lorsque le sportif ne ressent plus la même motivation et le même plaisir à pratiquer, nous explique Caroline Fanciullo, psychologue clinicienne et du sport, psychothérapeute à Aix. Il peut être la conséquence de surentraînement, quand le sportif est prêt à tout pour exceller, mais qui, dans cette quête à la performance, oublie leur équilibre. Il laisse souvent de côté récupération, physique et psychologique. L’autre cause peut être de ne plus trouver de sens à sa pratique, notamment à cause de la pression de l’entourage. »
Témoignage – « À courir derrière mon objectif des JO, je me suis oubliée », Ayodele Ikuesan

« Quand le rêve olympique mène au burn out… ». Tels sont les premiers mots du post LinkedIn affiché par la sprinteuse Ayodele Ikuesan, 36 ans. Elle revient pour nous sur un passage de sa vie plus que troublant.
RACONTEZ-NOUS VOTRE ENTRÉE DANS LE SPORT DE HAUT NIVEAU.
J’ai commencé l’athlétisme à 12 ans, en loisir, pour décompresser. C’est de- venu plus sérieux en minime. Je commençais à remporter les Championnats de France, à être capitaine de l’équipe de Paris… Les objectifs sont arrivés. Je voulais grappiller les échelons, jusqu’aux compétitions internationales. Mais, à force de conjuguer études, travail, et sport, j’ai craqué. En 2017, alors que je concourais pour les Championnats du monde, je me levais tous les jours à 6h du matin pour faire ma musculation, travaillais toute la journée, rentrais à 18h30, et retournais à l’entraînement. Un rythme difficile à tenir.
QUELLE A ÉTÉ LA GOUTTE QUI A FAIT DÉBORDER LE VASE ?
En 2018, les membres de l’équipe passent professionnels… sauf moi, sous prétexte que je travaille à côté. J’ai trouvé ça injuste. Et lorsque j’ai enfin réussi à rassembler toutes mes forces pour y parvenir aussi, je tombe malade. Une angine anodine au départ mais j’ai fini par être arrêtée deux mois avec 9 de tension. La reprise a été difficile.
COMMENT CELA S’EST-IL TRADUIT ?
J’ai ressenti le besoin d’avoir plus de temps. Je ne me sentais plus à ma place dans mon travail. Je n’arrivais pas à reprendre un rythme aussi dur. Physique- ment, mentalement, je ne pouvais plus. En tant qu’employée nous avons des exigences de la part de notre supérieur. Quand on est athlète, on a des exigences de la part de notre entraîneur. L’arrivée des Jeux Olympiques représentent l’objectif de notre carrière. Mais la pression est d’autant plus grande parce que, pour être qualifié aux JO, il faut réaliser des performances minimales. Afin d’être qualifiée, j’avais arrêté de travailler, d’où une situation financière compliquée. Je me disais que si j’arrivais à faire les Jeux en individuel, et mieux encore à remporter la médaille, ça débloquerait peut-être la situation. À courir derrière cet objectif, je me suis oubliée.
BILLET – Pourquoi les Jeux Olympiques sont-ils plus susceptibles de mener au Burn Out qu’une autre compétition ?

Par Caroline Fanciullo, Psychologue clinicienne et préparatrice mentale
Les JO, c’est une compétition rare, qui n’a lieu que tous les quatre ans, contrairement aux Championnats du monde qui reviennent de manière plus régulière. Mais surtout, c’est un événement inscrit dans l’Histoire et la mythologie de la Grèce antique. Les Jeux de l’Olympe mettaient en scène des guerriers qui mouraient sur le stade. Mais avec les Jeux modernes, on souhaite aussi aller sur le toit de l’Olympe. Tendre à la recherche de la perfection dans la performance peut correspondre en psychologie à ce qu’on appelle « l’idéal du moi ». On a une pression extrême, avec l’objectif ultime de rafler cette médaille. Ce milieu fait rêver. Il y a tout un public qui pousse à la réalisation de cet idéal au moment des Jeux Olympiques. Quand on est enfant, on voit les champions comme des héros, sans penser à tous les sacrifices ni à toutes les difficultés qui se cachent derrière ce métier. Le sport de haut niveau est voué à une élite, et c’est aussi ça qui le rend si précieux.
Il y a cette dimension de chance unique. Les sportifs ne sont pas sûrs de pouvoir disputer les JO plusieurs fois. Et c’est là que tout se joue. Il faut faire la différence entre un rêve, qui est de l’ordre de la fantaisie, et un objectif, qui correspond au domaine du réel. Pour éviter tout burn, le sportif doit, dans son quotidien, trouver des sources de plaisirs et d’équilibres au-delà de la sacralisation. Il doit avoir des repères, pour éviter d’aller dans l’excès, même si la recherche de la performance tend au dé- passement des limites. Il faut justement savoir identifier le dépassement de la limite (ce qui correspond à une atteinte) et le déplacement de la limite (qui correspond à une progression).
L’entourage à un grand rôle a joué dans cette compétition, notamment dans l’acceptation du résultat quel qu’il soit, pour ne pas engendrer une pression de réalisation narcissique et aider le sportif à se fonder lorsqu’il en a besoin. Si on prend les Jeux d’hiver, la piste de ski restera partout la même. En clair, il faut les aider à garder les pieds sur terre et leur rappeler que si on enlève le public, les banderoles, et tout ce qui s’en suit, la performance à réaliser restera la même que sur une autre compétition. Les compétences qu’ils avaient il y a deux semaines en Coupe du monde seront les mêmes aux Jeux. Généralement, ils le savent, mais la pression de la compétition peut leur faire oublier qu’ils ont toutes les capacités pour performer.
Et à ce moment-là, si la pression externe et interne du sportif est trop importante et qu’il en perd le plaisir d’en pratiquer le sport, alors, étant donné le volume d’entraînement qu’il a du avoir pour en arriver, là il peut y avoir des facteurs favorisant un burn out. Sur le plan psychologique le burn out peut se manifester par un épuisement émotionnel, une perte de motivation, un jugement trop sévère, des difficultés de concentration. Le staff médical peut jouer un rôle préventif en complémentarité du suivi psychologique en étant notamment attentif aux facteurs physiologiques, hormonaux, etc.
ZOOM SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX : SOURCE DE STRESS SUPPLÉMENTAIRE ?

Paul Pinto, préparateur mental business & sport, créateur de Rebootmylife.
« Je recommande aux sportifs de ne pas être en contact avec les réseaux sociaux pendant les périodes charnières. Il faut ignorer les commentaires des ‘‘haters’’, voire même des fans, et rester concentré, dans sa bulle. Les réseaux sociaux peuvent avoir un effet dommageable sur le mental des sportifs de haut niveau, qui sont souvent très jeunes (20 ans en moyenne). Certes, ils ont un mental très fort par rapport à la moyenne, mais ils n’en restent pas moins des jeunes adultes. Comme tout le monde, les messages négatifs et de haine les atteignent et leur font du mal. »
Remerciements à :
■ Maxine Eouzan, ex-sportive de haut niveau, gagnante de Koh-Lanta
■ Ayodele Ikuesan, spécialiste du sprint
■ Paul Pinto, préparateur mental business & sport, créateur de Rebootmylife
■ Caroline Fanciullo, psychologue clinicienne et du sport, psychothérapeute, présidente de l’association ProPsy (www.assopropsy.org)
■ Agence Crew Up