Triple championne du monde de karaté, Laurence Fischer a fondé l’association « Fight For Dignity » pour venir en aide aux femmes victimes de violences. En République Démocratique du Congo, où le viol est utilisé comme une arme de guerre, plus de 200 femmes se reconstruisent chaque année grâce à la pratique du karaté.
Par Hugo Bernabeu
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.16 d’avril-mai-juin 2020 (dossier spécial sport en Afrique)
Depuis plus de vingt ans, le docteur Denis Mukwege consacre sa vie aux femmes victimes de violences sexuelles. « C’est un terrible fléau ici, en République Démocratique du Congo, où le viol de masse est utilisé comme une arme de guerre », dénonçait-il encore en février dernier, en marge d’une commémoration en souvenir des victimes de massacres dans l’Est du pays. En 1999, ce gynécologue-obstétricien décide de fonder à Bukavu, dans la région du Sud-Kivu, la Maison Dorcas, véritable havre de paix dans lequel une pléiade de médecins vient en aide à ces femmes détruites. Les soigner ne suffit plus, il décide de les réparer, les reconstruire pour qu’elles retrouvent une raison de vivre. Un combat qu’il mène encore, jour après jour, et qui lui aura valu le Prix Nobel de la Paix en 2018.
C’est à la suite d’une rencontre avec cet homme hors-normes, en 2014, que Laurence Fischer décide d’ « aider à sa manière ». Championne du monde de karaté à trois reprises entre 1998 et 2006, elle a alors l’idée de transmettre aux « survivantes », comme s’appellent les résidentes de la Maison Dorcas, sa passion pour cet art martial. « Une fois opérées et soignées, les femmes peuvent participer à tout un tas d’activités pendant leur convalescence comme de la musique ou de l’art, alors pourquoi pas du karaté ? », résume simplement la championne.
Depuis bientôt six ans, une vingtaine de pensionnaires se réunit chaque semaine sur le tatami pour une séance de karaté un peu particulière… Ici, il n’est pas question de mettre K.O son vis-à-vis, mais plutôt de se servir du sport comme un outil thérapeutique dans leur parcours de reconstruction. Une méthode de travail inédite que la Française a baptisée Fight For Dignity (FFD), comme l’association qu’elle lance en 2017. « Pendant une heure et demie, un professeur formé par nos soins les initie en douceur au karaté, en utilisant aussi des techniques de yoga, de méditation et de respiration », détaille Sabine Salmon, directrice de FFD et aussi karatéka à ses heures perdues.
Un véritable exutoire pour ces jeunes femmes, qui ont pour la plupart entre 12 et 18 ans. « Elles débordent d’énergie », s’exclame Sabine Salmon. Mais les médecins de l’établissement savent aussi mettre le pied sur le frein quand la machine s’emballe un peu trop. « Lors de mon dernier voyage là-bas, je me souviens d’un moment où un des médecins nous a obligées à faire un break en pleine séance, poursuit-elle. D’un coup, les filles se sont mises à danser et chanter pendant la pause. Une scène totalement inimaginable en France ! » Car depuis mars 2018, la Maison des femmes de Saint-Denis, en région parisienne, accueille aussi les cours de karaté de Laurence Fischer. Ici, c’est l’ancienne championne du monde en personne qui enseigne chaque semaine. « Avoir un homme comme professeur, c’est encore impensable pour ces femmes en France. Le symbole de l’autorité masculine est beaucoup trop pesant », explique la directrice de l’association.
Un véritable exutoire pour ces jeunes filles
Mais le chemin de croix des deux karatékas est encore long. Des milliers de femmes victimes de sévices physiques et psychologiques ont besoin d’aide à travers le globe. « C’est un mal universel. Il y a du boulot car le nombre de violences faites aux femmes est monstrueux », déplore Laurence Fischer. En France, de nouvelles Maisons des femmes, similaires à celle de Saint-Denis, devraient bientôt voir le jour. L’occasion idéale d’y développer la pratique du karaté avec des éducatrices spécifiquement formées à la méthode Fight For Dignity.
En Afrique, Sabine Salmon savoure une nouvelle encore plus réjouissante : « plusieurs élèves de la Maison Dorcas nous ont fait part de leur envie d’enseigner à leur tour le karaté dans leur village natal. » Une perspective incroyable à laquelle l’association va contribuer en formant une dizaine de « survivantes » à l’enseignement de la discipline. Quelques kilomètres plus loin, à Bangui, capitale de la Centrafrique, un centre d’accueil flambant neuf pour les femmes victimes de violences sexuelles va voir le jour en 2020. Un projet supervisé de près par le docteur Denis Mukwege et auquel l’association Fight For Dignity espère naturellement s’associer.
En parallèle de toutes ces précieuses initiatives, Sabine Salmon attend avec impatience les résultats d’une étude menée depuis mars 2018 en partenariat avec l’Université de Strasbourg. L’objectif : démontrer scientifiquement les bienfaits du sport sur ces femmes en pleine reconstruction. « Nous commençons aussi à travailler sur des outils de sensibilisation et de prévention, annonce la directrice de FFD. Aider les femmes victimes de violences sexuelles à se relever c’est fantastique, mais leur apporter un soutien en amont, c’est encore mieux. »