De 2006 à 2016, Blandine Vernardet a dirigé la petite station de ski de Piau-Engaly, dans les Hautes-Pyrénées. Elle est la première femme à avoir accédé à un tel poste dans le massif pyrénéen et l’une des rares à l’échelle des domaines skiables de France. Aujourd’hui en poste au Grand Tourmalet, sur une activité un peu plus éloignée du terrain, Blandine Vernardet nous raconte l’univers très masculin des stations de sports d’hiver.
Par Floriane Cantoro
Comment êtes-vous devenue directrice générale d’une station de ski ?
Un peu par hasard. Après mes études, j’ai travaillé dans une agence de communication sur Paris. À l’époque, mon seul rapport au sport était que cette agence comptait parmi ses clients le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et j’avais été emmenée à travailler avec eux sur une mission pour les Jeux Olympiques d’hiver de Salt Lake City en 2002. J’avais également travaillé pour certaines fédérations sportives, notamment de sports d’hiver. À la suite de cette première expérience, mon conjoint et moi sommes partis faire le tour du monde. En revenant, j’ai répondu à une annonce sur la station de Piau-Engaly pour un poste de « Direction des Activités Touristiques », sur lequel j’ai été prise. À l’issue de cette première saison, le directeur technique de la station a quitté Piau pour rejoindre les Alpes d’où il était originaire. Le maire de la commune m’a alors proposé de reprendre la direction générale de la station. J’y suis restée 10 ans avant de partir vers de nouveaux horizons au Grand Tourmalet en novembre 2016.
Comment s’est passée votre arrivée à la tête de la station de Piau-Engaly ?
J’étais un ovni : une femme, de moins de 30 ans, et pas ingénieur – comme c’était le cas de la quasi-totalité des directeurs en poste à l’époque. Mon accession à la tête de la station s’est faite conjointement à l’adhésion de Piau à un groupement de stations, le collectif N’Py – Nouvelles Pyrénées. Ce qui fait que je me suis retrouvée à côtoyer d’autres directeurs, tous des hommes, avec pas mal de bouteille. Mais ils m’ont très bien accueillie. Finalement, je pense que le fait d’être une femme m’a facilité la tâche : cela a obligé les équipes à changer leur mode de fonctionnement, à ne pas aller dans le rapport de force aussi facilement qu’avant. De fait, les choses se solutionnaient différemment. Je pense que si j’avais été un homme, cela n’aurait pas été plus ou moins facile.
« Les femmes se comptent sur les doigts d’une main »
Vous étiez la première femme à accéder au poste de directrice générale d’un domaine skiable dans les Pyrénées. Pensez-vous avoir ouvert la voie à d’autres femmes ?
C’est quelque chose qui est difficile à quantifier. Il y a des femmes dans le milieu mais pas forcément sur de la direction opérationnelle pure et dure ; en général, elles sont sur des postes plus éloignés du terrain. Je sais que, l’année dernière, une femme à pris la direction de la station de Val Louron dans les Pyrénées [ndlr : Anne Delignac] et qu’elle pilote des équipes comme je le faisais à Piau. Malgré tout, je n’ai pas l’impression de voir une progression fulgurante de ce point de vue-là : les femmes se comptent encore sur les doigts d’une main. En revanche, je pense que mon recrutement a ouvert la voie à des profils beaucoup plus généralistes que la sacro-sainte filière technique d’ingénieur.
Comment expliqueriez-vous cette faible et lente féminisation des métiers de la montagne ? Le ski serait-il finalement plus machiste que les autres secteurs d’activités ?
Ce n’est pas un milieu qui est buté et fermé sur la question des femmes. Mais il existe un système de cooptation en interne qui fait que les têtes ne se renouvellent pas beaucoup : les dirigeants bougent de station en station, d’un massif à l’autre. Il y a peu de nouveaux entrants. Aujourd’hui, il y a toute une génération de directeurs qui approche de la soixantaine et qui va bientôt partir à la retraite. Peut-être qu’à ce moment-là, on verra les choses bouger, notamment en faveur des femmes.
« Il y a un déficit de communication sur le fait que ces métiers sont accessibles aux femmes »
Selon vous, qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour permettre aux femmes d’accéder plus facilement au milieu de la montagne ?
Il y a un déficit de communication sur le fait que ces métiers sont accessibles aux femmes car c’est un milieu qui fait très peu de publicité sur ses opportunités. Moi-même, quand je vois comment je suis arrivée à la tête de Piau, c’était vraiment par hasard. À part les enfants du pays qui grandissent dans cet environnement et qui le voient comme une perspective possible, personne ne pense spontanément aux métiers de la montagne. C’est un gros volet du secteur touristique mais il n’y a pas non plus pléthore d’entreprises ; du coup, les gens ne pensent pas à postuler.
En quoi consiste le travail d’une directrice de station de sports d’hiver ?
C’est un boulot de chef d’orchestre, hyper passionnant. Surtout à l’échelle de Piau car le directeur touche un peu à tout : du pilotage de la partie technique (remontées mécaniques, damage, production de la neige de culture, organisation du déneigement…), à la billetterie en passant par le marketing, la communication, le volet financier et les ressources humaines. À Piau, je travaillais avec 35 salariés permanents et jusqu’à 110 en plein effectif l’hiver ; une PME qui implique, pour le directeur, d’être énormément présent sur le terrain. L’été, on passait en phase de planifications : vérifications des exigences réglementaires pour les remontées mécaniques – car nous sommes une «Entreprise de Transport Public» -, tarifications pour l’hiver prochain, création du plan de communication, préparation des embauches et des formations de début de saison.

Le fait d’être une femme a-t-il eu une influence sur votre façon de gérer la station ?
Oui, sans doute. L’exemple le plus frappant auquel je pense est la répartition hommes/femmes : quand j’étais à la tête de Piau-Engaly, la station enregistrait un taux de féminisation bien plus élevé qu’ailleurs. De fait, je pense que je devais induire de la mixité dans les embauches et les recrutements, sans même en faire une ligne de conduite ! Après, sur le pilotage de l’entreprise en général, je ne pense pas. Ce qui faisait la différence, c’était surtout de ne pas avoir une approche d’ingénieur. C’était plus mon parcours que mon sexe. Même si, inconsciemment, ça a dû forcément jouer un peu.
Les stations de ski ont-elles une stratégie de communication particulière pour attirer les femmes l’hiver ?
Le ski est un sport assez mixte. Il y a peut-être 2 ou 3 points d’écart en faveur des hommes en matière de fréquentation des stations, mais guère plus. Après c’est vrai que, lorsque je suis arrivée à Piau, nous avons réorienté le plan de communication vers des médias qui s’adressent aux femmes partant du principe que, finalement, ce sont souvent elles qui choisissent la destination des vacances.
Comment évolue la fréquentation des domaines skiables en France ?
Le marché Pyrénéen est un marché qui, depuis une quinzaine d’années, est hyper stable car complètement saturé. Les stations se répartissent les parts d’un gâteau qui garde toujours la même taille. Pour faire un raccourci, on mange un peu tous dans la même gamelle… Aujourd’hui, le gros enjeu des stations françaises est donc de trouver les skieurs de demain. D’où la création de programmes tels que le ski scolaire, qui permettent aux enfants d’accéder à la pratique gratuitement ou à moindre coût. Les stations rencontrent également un problème en matière d’hébergement : le parc locatif français est vieillissant et n’est pas toujours visible par les futurs vacanciers au moment de la réservation (sur internet ou par le biais des offices de tourisme). Ainsi, l’enjeu est de remobiliser les lits existants et de les rendre visibles à la clientèle, pour faciliter la vente du séjour.
BLANDINE VERNARDET, en bref
Diplômée de Sciences Po, Blandine Vernardet fait ses débuts professionnels dans la communication sur Paris. Elle se rapproche du milieu du sport à l’occasion de différentes missions qui lui sont confiées par les clients des agences où elle travaille. Après un voyage autour du monde avec son conjoint, elle rejoint la station de Piau-Engaly sur un poste lié aux activités touristiques. Au bout d’un an, elle devient directrice générale de la station. En novembre 2016, estimant être allée au bout de son cycle et dans le but de consacrer plus de temps à sa famille, elle décide de quitter la direction de Piau. Aujourd’hui, Blandine Vernardet occupe une double fonction : elle travaille sur un projet de déploiement d’une chaîne d’auberges de jeunesse dans les stations des Pyrénées et gère, en parallèle, le pôle ressources humaines du Grand Tourmalet.
Le projet « Pourquoi pas une femme ? » est soutenu par la Fondation Égalité Mixité, abritée par la Fondation FACE. Il vise à promouvoir la place des femmes dans les métiers du sport. En effet, 87% des femmes pratiquent le sport et 1 sportif sur 2 est une sportive. Pourtant, dans les métiers du sport, les femmes sont très peu représentées. À titre d’exemple, seuls 32% des éducateurs sportifs sont des femmes. Pourquoi un tel écart ? Les causes sont-elles culturelles, psychologiques ou pratiques ? Répondre à ces questions et mettre en oeuvre les bons leviers pour casser ces blocages est tout l’enjeu de ce projet, porté par l’association Sport Univers’Elle.
EN SAVOIR PLUS : www.sport-universelle.org