Vous y pensez forcément quand on vous parle des campus universitaires américains. Le cheerleading, symbole de la culture étudiante aux États-Unis, s’installe doucement en France. Popularisée par des films et séries pour ados, la discipline est un mélange d’acrobaties, de sauts et de portés. Mais elle est encore trop souvent associée à une bande de filles en jupes courtes qui scandent à l’unisson des encouragements en agitant des pompons. « Paris Cheer » nous a prouvé à quel point ce sport est ultra technique. Le plus américain des clubs de cheerleading français nous a ouvert ses portes le temps d’un week-end. Attention les yeux… et les pieds : voici un sport qui déménage !
Reportage Floriane Cantoro – Photos : Baptiste Fernandez / Icon Sport.
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.15 de janvier-février-mars 2020
Les portes du gymnase Gajan auraient-elles des pouvoirs magiques ? C’est la question qu’on se pose, ce samedi de novembre, en arrivant sur le lieu d’entraînement des athlètes de Paris Cheer. Nous n’avons fait que monter au premier étage de l’université Paris-Descartes, au coeur du 15e arrondissement de Paris et, pourtant, on croirait avoir traversé l’Atlantique! Non seulement on entend parler anglais dans tous les coins mais, en plus, la vision de ces trois adolescentes à queues de cheval, qui en envoient valdinguer une quatrième dans les airs, nous replonge dans les séries télé américaines les plus cultes de notre adolescence. Un peu plus et on croirait même distinguer Claire Bennet sur le praticable ! (bon là, bien sûr, il faut être un connaisseur…).
À l’entrée, des piles de vêtements flashy bleus et oranges sont étalées par ordre de tailles croissant sur un matelas : « On vient de recevoir nos uniformes pour la saison », s’enthousiasme Élise, 29 ans. La séance d’essayages s’annonce excitante pour les athlètes de Paris Cheer.
Ce club, créé en 2014 par Brittany Gordon – une ancienne cheerleader américaine – et son compagnon, est le seul club de cheerleading de la capitale. Et le meilleur de France ! « Brittany s’est vite rendue compte, en s’approchant du milieu du « cheer » français, qu’elle pouvait apporter quelque chose en plus à la discipline ici du fait de sa culture et de son éducation du sport « à l’américaine » basées sur l’excellence et le dépassement de soi », explique Élise, membre historique de Paris Cheer. Le club bénéficie aussi d’un large réseau de coachs internationaux qui viennent y enseigner de nouvelles techniques pendant l’année ou l’intersaison, expliquant son succès fulgurant et sa popularité parmi les adeptes de la discipline. « Une année, des étudiants de Bordeaux et même de Toulouse montaient en train tous les vendredis soirs pour assister aux entraînements du week-end », se souvient notre « cheer-guide » pour la journée. Ce « give-back à l’américaine », Paris Cheer tente de le reproduire à son tour à l’échelle nationale en organisant des « summer-camps » à destination des autres clubs français.
Car le cheerleading, très populaire aux États-Unis, séduit de plus en plus d’amateurs dans l’Hexagone. En 2018, on dénombre plus de 3.000 pratiquants sur tout le territoire, répartis dans un peu moins de 90 clubs. Officiellement reconnue par la Fédération française de football américain (FFFA) depuis 2003, la discipline dispose de sa propre équipe nationale, même si certains clubs, à l’instar de Paris Cheer (affilié à la fédération omnisports UFOLEP) préfèrent concourir sous leurs propres couleurs en compétition.
Pas des « pom-pom girls », ni des majorettes
Les essayages se poursuivent dans le gymnase parisien. Un peu plus loin, sur le praticable, une vingtaine de gymnastes débute l’entraînement. Au programme cet après-midi : du tumbling (gymnastique acrobatique au sol), des « stunts » (portés), des pyramides (portés connectés) et des sauts. Ce sont, avec la danse qui se rajoutera un peu plus tard dans la saison, les cinq éléments qui constituent le cheerleading. Ils sont ensuite mélangés dans une « routine » (chorégraphie de 2 min 30), présentée devant un jury en compétition.
Au cheerleading, on ne lance pas des pompons dans les airs… mais des filles !
Aux premiers portés de l’équipe, on reste scotché ! Les flyers (voltigeuses) sont propulsées à plusieurs mètres au-dessus du sol par les bases (porteurs), rattrapées puis aussitôt réexpédiées en direction du plafond du gymnase, effectuant au passage deux ou trois tours dans les airs. « Et oui, on ne lance pas des pompons ! », nous voit venir Alianore, 19 ans. À force, son discours est bien rodé : « Non, on n’encourage pas une équipe ; non, on n’est pas des pom-pom girls ; et oui, il y a des mecs ! ». L’une des six équipes de Paris Cheer, appelée « Legacy », est composée de deux fois plus de garçons que de filles. D’ailleurs, à la base, ce sport était exclusivement masculin ! « Twirling bâton, GRS, majorettes… moi, on m’a tout passé ! », s’amuse de son côté Zoé, ancienne gymnaste.
« Le terme « pom-pom girls », qui est en réalité français, fait plutôt référence au « cheerdancing », une discipline moins athlétique et moins gymnique que le cheerleading, basée sur des mouvements de danse, explique Élise. Ce sont deux sports distincts mais souvent confondus car ils proviennent d’une même origine, les universités américaines, et des mêmes codes ». Elle poursuit : « Aux États-Unis, avant un match universitaire, certaines facs vont envoyer des cheerleaders qui font faire des portés et des sauts, comme nous, et d’autres vont avoir des pom-pom girls. Dans tous les cas, les athlètes seront tous appelés « cheerleaders » et encourageront une équipe, ce qui maintient les gens dans la confusion… »
Pas des sportifs pros, mais tout comme !
Dmytro, un grand costaud de 24 ans, n’en n’a que faire des préjugés. Ancien nageur et boxeur de bon niveau, il est arrivé au « cheer » par hasard il y a quelques années, recruté par « une amie qui avait besoin de garçons baraqués pour porter les filles de son équipe à la fac ». Le jeune homme a rapidement été séduit par ce sport « à la progression lisible » et à l’esprit d’équipe sans précédent. « Au cheer, c’est l’unité qui fait la force, explique-t-il. On a besoin de tout le monde pour faire une routine, personne ne peut se démarquer du groupe ; de fait, il y a un très gros esprit de famille. » « C’est un sport basé sur la confiance, sinon ça ne peut pas fonctionner », renchérit entre deux portés Tessa, 17 ans, flyer dans « Legacy ».
Dans un coin du praticable, Brittany leur impose un rythme effréné. « One, three, five, seven, eight ! », compte la coach américaine. Les gymnastes exécutent leurs « stunts » en marquant les temps à haute-voix, gage d’une meilleure synchronisation entre eux. Pour ceux qui ont le malheur de se planter, ce sera une série de burpees ! D’accord, « Brit » n’est pas là pour rigoler… « On lui doit beaucoup », estime Tessa. C’est grâce à son management d’équipe « précieux » que le club parisien participe aux Championnats du monde de la discipline depuis trois ans. « Elle attend de nous qu’on se comporte comme des athlètes de haut-niveau », confie Élise, base dans l’équipe mixte « Aces ». La cheerleader de 29 ans avoue d’ailleurs faire plus attention à son hygiène de vie depuis qu’elle a intégré le club, l’année de sa création. Ici, les gymnastes s’entraînent entre 5 et 10 heures par semaine. « De septembre à fin juin, on a peut-être cinq week-ends de libre, pendant les vacances, calcule Dmytro. Mais c’est un choix : nous sommes prévenus, conscients et surtout consentants ! »
Pas de paillettes mais « de la sueur, des cris, des bleus, des pleurs ! »
D’autant qu’à partir de décembre, les coachings s’intensifient en vue des Championnats du monde. Ils ont lieu tous les ans à Orlando (Floride) début mai, et constituent l’objectif principal de la saison pour les équipes compétitions de Paris Cheer. « C’est le plus grand rendez-vous de la discipline, tous les gros clubs stars des États-Unis sont présents ! », s’enthousiasme Élise. Au printemps dernier, elle a remporté avec ses partenaires de l’équipe « Aces », un « bid » (ndlr, une sélection) pour l’édition 2020 ; tout comme « Legacy », sacrée championne d’Europe au passage.
Chaque détail du « show » a son importance : les figures, la gymnastique, le choix des chansons du « cheer-mix » et l’attitude des athlètes.
Depuis, le compte à rebours a commencé. « Jusqu’en décembre, on travaille nos figures et mouvements. Ensuite, des chorégraphes américains viendront nous aider à créer notre routine. Puis, de janvier à mai, on préparera la compétition en répétant la routine le plus possible à l’entraînement, mais également lors de compétitions préalables afin de se mettre en situation. », précise Élise.
Au printemps prochain, tout devra être parfaitement millimétré. Chaque détail du « show » a son importance : des figures à la gymnastique, en passant par le choix des chansons du « cheer-mix » et par l’attitude des athlètes. Si les juges sont très sensibles aux sourires et à l’énergie positive qui se dégage du groupe, des points peuvent à l’inverse être retirés en cas de « vulgarité ». Dans la danse, comme dans la tenue : les jupettes des cheerleaders féminines doivent couvrir l’intégralité de la fesse et de l’entrejambe et certainement qu’en 2021, les crop-tops avec nombril apparent ne seront plus autorisés non plus. « On est très loin de l’image sexy qu’on se fait de la discipline, hein ! », interpelle Élise. « Il ne faut pas croire, le « cheer » c’est de la sueur, des cris, des larmes et des pleurs ! »
Dans le gymnase Gajan, pas de miroirs pour se regarder comme à la danse. Et très peu de temps « off » pendant l’entraînement. Il est tellement difficile de trouver une salle dans Paris que quand on a la chance d’en avoir une pour quelques heures, on la rentabilise. Brittany est là pour le rappeler. La fondatrice du club a peut-être fait faire une centaine de portés à ses athlètes de « Legacy » aujourd’hui. Et elle va enchaîner pendant quatre nouvelles heures avec l’équipe « Aces » ce soir. Paris (Cheer !) ne s’est pas fait en un jour…
Les équipes de Paris Cheer nous ont également aidés à monter un carnet pratique d’entraînement spécial stretching, à découvrir ici.