Formule détox, boost, énergie, sous forme de gummies, de gélules, de comprimés… On en entend de plus en plus parler, notamment dans le milieu sportif. Et pourtant, prendre des compléments alimentaires n’est pas anodin. C’est pourquoi il est important de se pencher dessus et de se poser les bonnes questions avant de se supplémenter. Ils peuvent être pratiques et utiles dans certains cas… déconseillés dans d’autres. Enquête.
Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N°21 de juillet-août-septembre
Le complément alimentaire, cet objet du désir mal défini
L’expression est vaste et parfois mal interprétée. Si l’on relève les termes donnés par la directive européenne, ces « denrées alimentaires » « constituent une source concentrée de nutriments ». Il est bon aussi de rappeler que ce n’est pas un médicament, nous précise Professeure Irène Margaritis, cheffe de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition de l’Anses, qui a lancé en 2009 un dispositif national de nutrivigilance.
Mais il faut surtout prévenir qu’on les différenciera des denrées alimentaires destinées aux sportifs : barres, boissons, poudres protéinées… On en trouve dans les pharmacies, parapharmacies, certains magasins spécialisés (magasins de sport, bio…), et même dans les grandes surfaces ! « Le marché du complément alimentaire est très développé aux USA et en Angleterre, nous raconte Marie-Bérengère Guilbaud, fondatrice de la marque Naetur. En Europe, le Portugal et l’Espagne dominent, car en France, c’est surtout le marché de la beauté qui s’est installé. Mais aujourd’hui, des marques se lancent tous les mois, proposant de nouvelles compositions et formes. »
Une consommation grandissante
Les Français sont d’importants consommateurs de compléments alimentaires en Europe. D’après le Syndicat français de la nutrition, le marché de la nutrition sportive est en progression alors que celui de l’alimentation générale est en stagnation. Selon l’étude relatée par Lucie Deloy, Compléments et produits alimentaires chez le sportif : consommation, risques et importance du conseil officinal, la plupart des sportifs sondés se complémentent pendant une période spécifique, notamment lors de compétitions/courses. Et si au départ, les compléments étaient utilisés par les culturistes, aujourd’hui, ils touchent aussi beaucoup les athlètes (de fond, demi-fond et sprint). Et en effet, si l’on en suit les chiffres soulevés par l’Avis de l’Anses en 2016 – extraits d’une enquête sur la prévalence de consommation de compléments alimentaires chez les athlètes de haut niveau entre 2005 et 2007 – on note 76% de prise de compléments alimentaires dans les épreuves de sprint, et 91% dans les épreuves d’endurance.
« La prise se fait souvent de façon ponctuelle, par cure, à des moments particuliers, précise Professeure Irène Margaritis, de l’Anses. Le sportif attend des réponses, c’est pourquoi il est parfois identifié comme présentant une vulnérabilité, ce qui accroît cet effet d’attente, cette croyance dans le complément alimentaire. Car s’il peut avoir des besoins nutritionnels spécifiques, la solution au problème n’est pas forcément le complément alimentaire. » Par ailleurs, l’experte nous explique que l’analyse sur le mécanisme psychologique d’une supplémentation est connue : « Beaucoup de sportifs déclarent prendre des compléments car d’autres en prennent. Autre raison, le conseil d’un proche, souvent l’entraîneur ou une autre figure importante pour le sportif. »
Au-delà de l’engouement, il y a aussi la perception de la supplémentation et sa quantité. Asker Jeukendrup, physiologiste du sport et de la nutrition a publié en 2015 sur Twitter une infographie en forme de pyramide avec comme base une alimentation équilibrée, en 2e niveau l’adaptation de l’alimentation à la pratique sportive, et le 3e dédié à la complémentation. Puis il retourne cette pyramide, en démontrant que souvent, les personnes perçoivent l’alimentation dans le mauvais sens, avec une supplémentation plus importante que l’alimentation en tant que telle.
Une législation mouvante des compléments alimentaires
Les compléments alimentaires sont commercialisés en vente libre et les notices ne sont pas obligatoires. Pour limiter les risques sanitaires liés à leur consommation, une réglementation prévoit une liste des ingrédients pouvant entrer dans la composition de ces produits. Comme nous le détaille l’avis de l’Anses, les fibres, acides aminés, plantes et autres substances incorporés doivent être autorisés par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Aujourd’hui, une réglementation européenne encadre les allégations. Ce même avis préconise une amélioration de la coopération internationale sur la surveillance des effets indésirables associés à leur consommation destinée aux sportifs. Il faut dire aussi que depuis trois ans, en Europe, l’alimentation du sportif ne fait plus l’objet d’une réglementation spécifique, contrairement à ce qui était instauré depuis 1979, pour eux comme pour les diabétiques, c’est ce que nous explique Pr Irène Margaritis, « or, ce qui distingue un aliment courant d’un complément alimentaire sur le marché, c’est la nature de son allégation. »
Le point sur les allégations
Quand on interroge les spécialistes, on remarque qu’il y a eu une nette amélioration ces dernières années de ce côté-là. « Avant 2006 et l’harmonisation européenne, on évaluait a posteriori, se souvient la Professeure de l’Anses. Depuis cette date, il faut demander une autorisation d’alléguer en commission auprès de l’autorité européenne. On obtient alors, en cas d’acceptation, une autorisation de commercialisation pour 5 ans avant que ça ne tombe dans le domaine public. Un acquis qui a donc eu du bon car il garantit une évaluation préalable ». Néanmoins, il reste encore des zones à éclaircir et des points faibles. « L’allégation ne prend pas en compte les différences interindividuelles, nous précise-t-elle. D’un point de vue statistique, en fonction de l’exigence, on ne pourra jamais atteindre 100 %. Il arrive aussi que des industriels jouent sur ces allégations en ouvrant le spectre, avec par exemple des effets testés chez l’homme, mais qui n’ont pas d’effet chez la femme ! »
« Si nous voulions aller plus loin, préconise Julien Rebeyrol, diététicien spécialisé en nutrition sportive, s’il ne s’agissait de commercialiser que des produits ayant fait foi d’une validation scientifique et donc d’une réelle efficacité, 90% des compléments alimentaires ne seraient certainement plus proposés à la vente. »
Entre promesses, efficacité et attentes
Sur les attentes des consommateurs d’abord. Les raisons pour lesquelles les compléments alimentaires sont utilisés par les sportifs sont variables, mais globalement, les pratiquants assidus d’activité physique sont tous portés par les mêmes préoccupations : un apport nutritionnel perçu comme insuffisant, une amélioration de performances physiques, une diminution de la masse grasse, une augmentation de la puissance, de la résistance, confort des articulations… C’est pourquoi ils peuvent être séduits par les promesses alléchantes des fabricants, qui vont jusqu’à s’apparenter à de la fraude dans certains cas.
Leur efficacité, quant à elle, n’est pas toujours prouvée, attestée par des études, comme le relate l’enquête de 60 millions de consommateurs sortie en 2019. Or, contrairement aux médicaments, les compléments alimentaires n’ont pas besoin de prouver leur innocuité. Prenons l’exemple de la vitamine C. Le magazine de l’Institut national de la consommation précise que les compléments à base de cette vitamine « n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité dans le traitement du rhume ou de l’immunité ». De son côté, le diététicien spécialisé dans l’alimentation sportive Julien Rebeyrol revient sur les compléments qui entendent faire perdre du poids : « Aucun complément ne permet de perdre de la masse grasse ! C’est profiter du désespoir des gens et de la pression qui pèse notamment sur le corps des femmes pour brûler leur portefeuille ! » Quant à la recherche de performance, l’Anses étaye que « l’absence de données d’efficacité scientifiquement démontrées rend les bénéfices escomptés de ces compléments alimentaires très fortement hypothétiques ».
Qu’est-ce que je risque ?
Au même titre que les huiles essentielles, on se dirait bien que les compléments alimentaires sont sans danger, et qu’au pire, ils seront inutiles. Mais ils peuvent être contre-performants. supplémentant contre la fatigue, on peut ne pas voir arriver les signes de surentraînement. Sur le sport de haut niveau, il faut être vigilant sur les contrôles antidopage. Dans ce cas, mieux vaut se référer aux normes officielles. La norme européenne, dont l’origine est la norme française AFNOR, a été publiée en février dernier. « La norme V 94-001, les labels antidopage SportProtect ou InformedSport garantissent au sportif de haut niveau que le complément qu’il consomme ne contient aucune substance interdite dans le produit fini mis sur le marché, détaille Julien Rebeyrol. C’est pour moi le premier critère lorsque je conseille un complément alimentaire, avant même d’en étudier la composition et son intérêt nutritionnel. »
Le dispositif national de nutrivigilance, piloté par l’Agence nationale pour la sécurité sanitaire des aliments, recueille les signalements d’effets indésirables. Ont été soulevés des effets graves d’ordre cardiovasculaire, rénale, gastroentérologique, dermatologique et psychique. Il ne faut pas négliger le risque d’interférences – entre compléments dans l’espoir de majorer les effets attendus, ou avec des médicaments – mais aussi celui de surdosage, comme pour la vitamine D ou la caféine.
« C’est le fait que la substance soit concentrée qui est un risque, car le consommateur aura plus de mal à maîtriser intuitivement sa consommation, analyse Irène Margaritis. Prenons l’exemple de la vitamine C qu’on peut trouver dans une orange : se complémenter reviendrait à manger en une journée une quantité impensable de cet agrume. Pareil pour la caféine. Quand je suis à mon 3e, 4e café de la journée, j’ai conscience que je dois arrêter. Mais en capsule, je n’ai pas cette notion, sauf si l’équivalent est précisé sur la boîte. Il ne faut pas se dire que si on prend trop de vitamines ou minéraux, l’organisme éliminera automatiquement le surplus sans conséquence. Cela a un coût physiologique, même si cela ne se voit pas d’un point de vue clinique ».
C’est pourquoi, comme on le lit dans une recommandation de l’Institut de recherche en bien-être médecine et sport santé (IRBMS), il est essentiel de s’en référer aux apports nutritionnels conseillés, et d’éviter ainsi les produits « hors norme nutritionnelle ».
Il y a aussi les idées reçues, à mettre à mal, comme celle autour de la consommation d’antioxydant chez le sportif d’après le professeur : « On a longtemps pensé que le stress oxydatif attaquait l’ADN et qu’il fallait se gaver d’antioxydant. L’entraînement procure un stress psychologique duquel on attend un effet adaptatif. Les compléments alimentaires comprenant des antioxydants limiteront la réponse adaptative. Mais, en limitant les effets du stress, on limitera l’adaptation cellulaire. En outre, le risque de modifier un équilibre subtil n’est pas nul. » C’est pourquoi la Société française de nutrition du sport (SFNS) rappelle que la complémentation en substance antioxydante comporte des risques pro-oxydants.
A quel saint se vouer ?
Est-ce que prioriser le bio, c’est forcément mieux ? Évidemment ! En tout cas, c’est un préalable. Mais cela ne limite pas les mésusages. « On confond souvent naturel et synthétique, le naturel peut être chimique. Par exemple, le cyanure est une substance naturelle mais mortelle, met en garde Julien Rebeyrol. Un produit bio ne signifie pas forcément une composition nutritionnelle intéressante. »
Haro sur les commandes par internet !
« Il faut savoir que les contrôles de fraude sont plus difficiles sur internet qu’en officine, les circuits, notamment d’approvisionnement, sont moins bien tracés, détaille la professeure. Pour un contrôle anti-dopage, remonter sur un lot est moins évident, avec le risque que les échantillons n’aient pas été conservés. En dehors de l’Union européenne, nous ne sommes pas maîtres de la pression de contrôle… Au-delà du problème sanitaire, cela peut aussi donner lieu à des situations complexes lors de contrôles à la douane, le consommateur prend le risque de se trouver impliqué dans un trafic. » Le mieux, quand on achète sur internet, est encore de vérifier la provenance et d’en apprendre au maximum sur la composition du produit. Un mot d’ordre essentiel : la transparence.
Encadré, c’est mieux
Le plus «secure» est de rester toujours attentif à l’adéquation supplémentation et statut nutritionnel, en regard avec son état de santé et ses objectifs, sans oublier sa situation physiologique et ses charges d’entraînements. Les variations intra-individuelles dont nous parlait plus haut l’experte de l’Anses nécessitent d’obtenir des conseils individualisés par un professionnel de santé. Des médecins peuvent prescrire des compléments alimentaires comme la vitamine D, le fer ou encore la vitamine B12. Le diététicien reste toutefois, d’après la professeure, la bonne personne, même si le médecin d’équipe et le médecin du sport peuvent aussi être de bons référents.
Être suivi par un spécialiste de la nutrition est surtout l’assurance d’identifier clairement la nécessité de se supplémenter. « C’est là que le bât blesse, alerte Irène Margaritis. On a tendance à faire croire aux gens, a fortiori aux sportifs, qu’ils en ont systématiquement plus besoin que quiconque. Mais quoiqu’il en soit, avant d’avoir une alimentation spécifique, il faut pratiquer un certain nombre d’heures de sport par semaine et accéder à un sport de haut niveau avec une dépense énergétique très élevée. Mais on peut déjà faire des choses intéressantes en termes de nutrition. »
C’est pourquoi l’enseignant-universitaire Julien Rebeyrol privilégie toujours dans un premier temps l’aliment et vient aux compléments en dernier recours, après s’être assuré que l’assiette alimentaire est bien construite, s’il n’a pas trouvé de réponse possible ailleurs. « Par exemple, sur une carence en oméga-3, si la personne est allergique aux noix et est végétarienne, j’ai épuisé toutes mes solutions nutritionnelles, et si une analyse sanguine prouve le déficit, je vais pouvoir préconiser un complément alimentaire. Alors que si elle cherche à utiliser un pré-workout, je pourrais conseiller le jus de betterave qui a pour sa part une efficacité prouvée scientifiquement, contrairement à du Red Bull, mais c’est moins attirant… Attention aussi au biais d’exotisme, qui nous fait choisir des compléments dits «traditionnels» ou «exotiques» sans preuve scientifique, simplement «parce qu’ils viennent de loin» donc qu’ils seraient efficaces. Dans le même esprit, on note que la graine de chia est moins alléchante que la graine de lin, alors que cette dernière est une pépite nutritionnelle. »
D’après le diététicien, les boissons et compléments protéinés sont des produits plus sourcés et pratiques à utiliser, mais toujours avec cette philosophie « food first » : « un sandwich pain/jambon pourra avoir les mêmes apports nutritionnels qu’un Gainer. » Il en profite pour glisser au passage ce petit rappel aux personnes complexées : « Ne gâchez pas votre temps, votre énergie et votre argent avec des brûle-graisses, ayez confiance en vous ! »
Selon Pr Marie-Paule Vasson, parole relayée par Lucie Deloy, « la population consommatrice de compléments alimentaires ne semble pas représenter la population ayant le plus besoin d’une supplémentation. » Etant donné qu’on est sur de l’automédication, il est important que la personne consommatrice connaisse ses besoins réels, notamment en minéraux et vitamines ; en un mot, une consommation à bon escient des compléments, pour pallier à une insuffisance réelle des apports journaliers.
Une idée partagée par la fondatrice de la marque de compléments bio Naetur : « Un complément alimentaire seul en soi n’a pas d’impact si on n’entre pas dans une prise de conscience et qu’on ne change pas son hygiène de vie. Pour retrouver le sommeil, il ne suffit pas de prendre son cachet et de rester derrière son écran. Le complément alimentaire ajoute une brique à l’action mais il fait partie d’un tout. »
En conclusion, quel que soit l’effet d’attente de la personne qui pratique son activité sportive, rien ne vaudra une bonne hygiène de vie, un entraînement régulier et progressif… Et si les compléments alimentaires sont loin de constituer des produits miracles et ne remplaceront jamais une alimentation équilibrée, ils peuvent apporter une aide, à condition d’être utilisés en fonction de ses besoins précis.
Remerciements :
❯ Pr Irène Margaritis, cheffe de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition de l’Anses, chef de l’évaluation sur la nutrition et les risques nutritionnels à l’Anses
❯ Julien Rebeyrol, Diététicien au Centre Paramédical Santy de Lyon, spécialisé en nutrition sportive, membre de la SFNS, diététicien-nutritionniste du LOU Rugby, enseignant-universitaire en nutrition sportive à l’IUT Lyon 1
❯ Marie-Bérengère Guilbaud, fondatrice de la marque lilloise de compléments alimentaires Naetur
Sources :
- Compléments et produits alimentaires chez le sportif : consommation, risques et importance du conseil officinal, Lucie Deloy, Sciences pharmaceutiques, 2017, ffhal- 01931819f
- Les compléments alimentaires destinés aux sportifs, Avis de l’Anses, rapport d’expertise collective, novembre 2016, Édition scientifique
- Non-conformité des suppléments alimentaires de BCAA (acides aminés ramifiés) destinés aux sportifs, L’Institut de recherche en bien-être médecine et sport santé (IRBMS), 2019
- Compléments alimentaires destinés au développement musculaire ou à la diminution de la masse grasse, Anses, article du 1/12/2017