Reconversion des sportives de haut-niveau. Préparation, formation, anticipation : comment nos championnes gèrent-elles leur après-carrière ?
Une carrière de haut-niveau est aussi belle et triomphante que courte et imprévisible. «Sportive» n’est pas le métier d’une vie entière. Les championnes sont forcément confrontées, à un moment ou à un autre, à ce virage souvent effrayant qu’est la reconversion. En France, le sujet n’est pas pris à la légère : tout est mis en oeuvre pour que les sportives de haut-niveau puissent correctement préparer ce changement de vie. Mais entre théorie et pratique, il y a parfois des différences.
La reconversion des sportifs est une des grandes préoccupations du sport de haut-niveau en France. Son enjeu est tellement important qu’elle est organisée par l’État depuis de nombreuses années sous l’appellation «double projet».
Le double projet c’est l’idée simple selon laquelle la réussite sportive est indissociable de la réussite socio-professionnelle. Elle est née au milieu des années 1970 : à cette époque, on s’aperçoit que les sportifs arrêtent assez tôt leur carrière, contraints de faire un choix entre, d’une part, des études qui les amènent vers une vie professionnelle conforme à ce qu’ils peuvent prétendre, et, d’autre part, le sport de haut-niveau et ses aléa(s), notamment financiers. L’idée est donc soumise qu’il faut aménager le temps d’études et le temps de travail en entreprise des sportifs de haut-niveau afin qu’ils puissent s’entraîner et se préparer pour les grandes compétitions tout en continuant à se former et à se réaliser dans le milieu professionnel. Le ministère de Sports mobilise un réseau de «personnes ressources» sur cet objectif : les fédérations sportives, les services déconcentrés des sports, les établissements publics nationaux (CREPS, instituts et écoles). Ensemble, ils cherchent des solutions optimales à la variété des situations des sportifs.
Les sportifs de haut-niveau ne deviennent pas tous coach ou entraîneur
Au départ, le double projet concernait uniquement le métier de professeur de sport. Puis, graduellement, d’autres domaines se sont ouverts aux champions. Par exemple aujourd’hui, l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), qui a accueilli 810 sportifs de haut-niveau en 2017, est en partenariat avec de très nombreuses écoles afin d’offrir aux athlètes un panel de formations diverses et variées. Patrick Roult, en charge du haut-niveau à l’INSEP, nous explique que ce sont les envies et aspirations des sportifs qui contribuent à élargir le champ des possibilités : «Chaque année, des sportifs nous challengent en nous disant qu’ils veulent devenir, par exemple, graphiste dans le numérique ou dans la mode… Et chaque année, nous créons de nouveaux partenariats avec le réseau de l’enseignement supérieur français afin de répondre à leurs besoins.» Aussi, aujourd’hui, les champions et championnes sont paysagistes, stylistes et même ingénieurs à l’instar de l’escrimeuse Astrid Guyart spécialisée en aéronautique et aérospatiale, lauréate du trophée Sport & Management 2015 de la meilleure reconversion professionnelle. En dehors de l’INSEP, tous les autres acteurs du sport (fédérations sportives, CREPS…) ont ce même devoir d’offrir à leurs sportifs la possibilité de suivre une formation académique adaptée. La qualité de l’aménagement et de l’accompagnement dépend ensuite des structures.
La belle histoire de Céline Géraud, la judokate qui voulait devenir journaliste sportive
En 1987, l’animatrice de télévision Céline Géraud est inscrite à l’INSEP. Quand elle n’est pas sur les tatamis, la jeune judokate se forme aux métiers du journalisme et de la communication. Cependant, elle est rapidement renvoyée de son école parce qu’insuffisamment présente du fait de ses entraînements et de ses compétitions. Elle décide d’aller voir le président du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) et le directeur de l’INSEP pour les informer de sa situation : elle veut se former au métier de journaliste mais n’a pas d’endroit pour le faire ! Son histoire donnera naissance à la formation Sportcom, un partenariat entre l’INSEP et le Centre de Formation des Journalistes (CFJ).
Dispositions avantageuses pour les sportifs de haut-niveau en matière d’examens et de concours
Baccalauréat :
•Possibilité de conserver dans la limite de 5 sessions les notes obtenues.
•Possibilité d’accéder à la session de septembre sur justificatif de la fédération.
•Aménagement de l’épreuve obligatoire d’EPS.
•Obtention d’une note au moins égale à 16/20 dans le cadre de l’épreuve sportive facultative s’il agit de leur spécialité.
Autres concours :
•Les obligations de diplômes et les conditions d’âge ne sont pas applicables aux sportifs de haut-niveau pour les concours de la fonction publique.
•Places réservées dans certaines formations paramédicales sans passer le concours d’accès (kinésithérapie, ergonomie, pédicurie-podologie, psychomotricité)
Mi-sportive, mi-salariée…
Le double projet se décline aussi dans la vie professionnelle. Pour mieux sécuriser la vie de nos champions français, le gouvernement a créé en 2014 le Pacte de Performance. Porté par l’ancien secrétaire d’État aux Sports, Thierry Braillard, ce dispositif permet aux sportifs et sportives de bénéficier de contrats de travail adaptés à leurs emplois du temps très contraints. L’employeur s’engage à prendre en compte la pratique sportive de haut-niveau de son employé en le libérant lors des épreuves et des stages définis par sa fédération. En contrepartie, l’État dédommage financièrement l’entreprise des efforts qu’elle consent à faire. Pour les sportifs, ce Pacte de Performance est non seulement une chance de se préparer aux grandes compétitions internationales dans des conditions optimales, mais également la possibilité de découvrir le monde de l’entreprise et d’y envisager une insertion professionnelle.
APRÈS LA CARRIÈRE
Faire le deuil de sa vie de championne
Pour un sportif de haut-niveau, la fin de carrière s’apparente à une «première retraite» dans le meilleur des cas, à une «petite mort» dans le pire… Avant de se lancer dans un nouveau projet professionnel, il doit faire le deuil de sa vie de champion.
Un triple bouleversement : identitaire, physique et social
Arrêter son sport, sa passion, après avoir été au sommet de la gloire et se retrouver à 30 ans passés au début d’un nouveau parcours professionnel peut s’avérer déstabilisant. Gwendoline Plisson, responsable du projet Reconversion des sportifs de haut-niveau à l’INSEP [un poste à vocation nationale créé en 2012], estime qu’un sportif est confronté à un triple bouleversement au moment de l’arrêt de sa carrière. Physique d’abord, car le rapport au corps change. Identitaire ensuite : «La fin de carrière implique un renoncement à une partie de son identité, avec l’impression d’être amputé d’un bout de soi-même. Une fois extrait de l’univers du sport dans lequel il s’est construit, le sportif peut se retrouver démuni, perdu dans un monde dont il n’a pas les codes.» Pour atteindre la très haute performance, les athlètes sont en effet souvent déchargés de beaucoup d’actions de la vie quotidienne (ex : acheter un billet d’avion, réserver un hôtel, prendre un rendez-vous chez le kiné…). «Pour certains sportifs, il peut y avoir un décalage entre l’âge qu’ils ont et leur maturité purement matérielle et administrative», poursuit Gwendoline Plisson. Enfin, le bouleversement est également social : après avoir été mis sur un piédestal sur le plan sportif, ils se retrouvent à la base de l’échelle sociale : pas trop d’argent (tous les sportifs ne sont pas riches !), pas forcément de diplômes, pas de situation professionnelle.
Les femmes anticiperaient mieux l’après-carrière
Ainsi, avant d’aborder la «reconversion» à proprement parler, il convient de passer par une phase de «décharge émotionnelle» en abordant les causes de l’arrêt. C’est d’autant plus nécessaire quand l’arrêt n’a pas été choisi : blessure, licenciement d’une fédération pour insuffisance de performances ou pour grossesse… «Officiellement, ce n’est jamais la raison invoquée mais officieusement, c’est l’est encore parfois, notamment dans les sports à catégories de poids», avertit Gwendoline Plisson. Dans ces cas-là, il faudra évacuer colère, tristesse et frustration avant de pouvoir penser reconversion. Bien sûr, ce virage est plus ou moins bien vécu par le sportif en fonction de sa personnalité, de son parcours et de sa discipline (professionnelle ou non, collective ou individuelle…). Aussi, une femme dans un sport individuel, à l’économie moins développée que celle du football (ex : gymnastique ou natation synchronisée), serait plus consciente du moindre potentiel financier de sa carrière et donc, anticiperait mieux la fin de celle-ci. La transition est plus difficile pour les hommes dans les sports collectifs, salariés de leur club depuis l’âge de 18 ans, qui ont toujours connu un niveau de rémunération confortable ne les ayant jamais incités à penser à l’après-carrière. Gwendoline Plisson prévient toutefois : «On peut avoir bien mené son double projet mais ne pas être prêt pour autant à se retrouver face à un recruteur, ni même savoir ce qu’on veut faire de sa vie.» Aussi, elle travaille autant sur l’orientation et la mise en formation que sur l’insertion professionnelle.
Le problème de l’employabilité des sportifs de haut-niveau
Souvent, les sportifs en reconversion ont besoin d’acquérir de nouvelles compétences. Des nombreuses années se sont passées entre le moment où ils se sont formés et le moment où ils doivent mettre en application ces compétitions. «Aujourd’hui, nous réfléchissons à comment organiser le parcours d’un sportif de haut-niveau pour qu’au moment où il arrête sa carrière, son employabilité soit maximale et ses compétences professionnelles les actuelles et actualisées possible», explique Patrick Roult, responsable du haut-niveau à l’INSEP.
Aussi la reconversion des sportifs de haut-niveau est un sujet sans fin. Il n’y aura jamais de modèle prédéfini tant les métiers, les formations et les sports eux-mêmes évoluent. Le mieux que l’on puisse faire, c’est continuer à s’adapter aux demandes des champions et à les accompagner dans ce tournant de leur vie.
La reconversion des sportifs, un véritable business !
De nombreux acteurs du milieu du sport ont identifié des faiblesses dans l’accompagnement des sportifs en reconversion de la part des structures existantes. Aujourd’hui, une multitude de start-up proposent de faire le lien entre monde du sport et monde professionnel.
Les agences-passerelles :Athlete-Avenue.com, un portail créé en 2016 par l’ancienne kayakiste Eva Roche, met en relation des sportifs en reconversion avec des entreprises qui s’intéressent à leur recrutement ou avec des écoles prêtes à les accueillir en formation au sein de cursus aménagés. Dans la même veine, Double Mixte se décrit comme la « passerelle innovante entre les chefs d’entreprise et les sportifs de haut-niveau ».
Les réseaux sociaux 100% professionnels :Sportail Community, créé en 2015 par l’ancienne basketteuse internationale Paoline Ekambi, ou encore Sportéki, sont des genres de « Linkedin de la reconversion ».
Les sociétés d’accompagnement et de coaching :MGS Reconversion depuis 2007 ou encore Nouvelle Trajectoire depuis 2015 soutiennent les sportifs de haut-niveau dans tout le processus de reconversion.
Le programme d’accélération Sport Social Business Lab : Il s’adresse aux sportifs de haut-niveau qui veulent créer une start-up engagée au service d’une cause environnementale ou sociétale. Concrètement, cet accélérateur aide à la levée de fonds, au mentorat, permet une mise en relation avec de grandes entreprises, forme les sportifs nouvellement entrepreneurs et démultiplie la visibilité du projet.