Autant, le champ d’intervention du kinésithérapeute est bien bordé, autant on a tendance à confondre les approches ostéopathique et chiropractique. L’ostéopathe et chiropracteur : dans quelle mesure leurs manipulations et conseils peuvent concerner le milieu sportif ? Explications appuyées de professionnels de chacune des deux branches avec une spécialisation sport. Par Léa Borie
Ostéopathe et chiropracteur : quèsaco ?
Ce sont deux médecines manuelles avec les mêmes bases puisque leurs fondateurs étaient proches au départ, mais leurs avis divergent sur la structure et la fonction. Leur but est le même, c’est la philosophie de pratique qui change.
Pour les ostéopathes, le corps est un tout indissociable : la structure et la fonction sont interdépendantes. Par différentes techniques manuelles (musculo-squelettiques, viscérales, crâniennes, fasciales…), l’ostéopathe cherche à réharmoniser les rapports de mobilité et de fluctuations des structures anatomiques.
« On va chercher à comprendre pourquoi l’estomac ne va pas bien à travers les liens mécaniques (lien ligamentaire, lien d’attache vis-à-vis de l’œsophage, tension de la mâchoire, placement de la langue…), détaille Daniel Bontems, ostéopathe. De son côté, le chiropracteur va faire le lien vers la commande neurovégétative, ce qui pilote l’estomac. Il va manipuler cet endroit pour avoir un effet sur l’estomac. » Le chiropracteur estime donc qu’il faut un travail manipulatif structurel pour réinformer l’ensemble du corps.
D’après Jessica Daumas, chiropracteur, « il y a un intérêt à travailler ensemble, chiro et ostéo, car on n’a pas la même approche. On pourra corriger des choses ensemble mais pas avec la même vision et donc le même traitement. » Légalement, le chiropracteur a plus de marge de manœuvre car les textes lui permettent plus de manipulations (les cervicales et le nourrisson de moins de 6 mois sans avis médical, les manipulations forcées – avec impulsion et mise en tension articulaire…).
Les deux pratiques s’entendent sur ce point : elles se veulent complémentaires au travail du kinésithérapeute. « Le kiné prépare le terrain post-blessure et notre intervention va débloquer le système », explique Jessica.
Par ailleurs, selon les professionnelles Jessica Daumas et Flavie Lauretta, ostéopathe et coach sportif, on voit de plus en plus d’ostéopathes sur les bords de terrains en compétition en France, et les chiropracteurs tendent à se démocratiser.
La chiropractie, centrée système nerveux et ostéoarticulaire
La fiche de l’experte
Jessica Daumas, chiropracteur du sport en libéral et secrétaire conseil du CFCS
Savoyarde d’origine, Jessica voulait devenir kiné. Après avoir échoué au concours, elle rebondit et se dirige vers l’IFEC (Institut franco-européen de chiropractie). Elle a été stagiaire en centre hospitalier en rééducation, et a ouvert son cabinet en 2017 à Lyon.
- Le principe d’action du chiropracteur
« On considère que s’il y a un souci, c’est que quelque chose ne fonctionne pas bien dans le système nerveux. Or, lorsque ce dernier fonctionne mal, le corps n’est pas au maximum de ses capacités, ce qui limite les chances de dépassement, et in fine, de performance sportive. Le chiropracteur va venir libérer le système nerveux à travers différentes techniques d’ajustement, en insistant sur la colonne vertébrale, siège du système nerveux. »
- Le processus d’apprentissage neurologique
Prenons l’exemple du coup droit au golf. Il faut que toutes les articulations sollicitées fonctionnent correctement et en synergie. Lever l’épaule sollicite quatre articulations. Si l’omoplate bouge mal, d’autres muscles s’invitent dans le mouvement. D’où un manque de précision dans le geste.
Notre objectif : que l’organisme fonctionne à son plein potentiel pour éviter la blessure et obtenir une meilleure frappe et une plus grande amplitude. Et au global, il vise la réhabilitation et l’optimisation de la performance du système neuro-musculo-squelettique et une récupération écourtée.
- Les techniques de chiro pour y parvenir
La technique de base est l’ajustement, à laquelle s’ajoute la mobilisation articulaire ou encore la détente musculaire.
De plus, on vient libérer les articulations pour éviter les compensations avec le kinésio taping, une technique de straping sans contention articulaire qui permet, par la stimulation du système nerveux, de travailler l’aptitude musculo-squelettique, les fascias…
- Le suivi chiropratique du sportif
Avant une compétition, on prépare le corps à fournir un effort important en ôtant les petites interférences qu’il peut y avoir pour soulager l’organisme. Sans parler de douleur, ces dernières peuvent rendre le sportif moins sûr de ses gestes. C’est donc aussi une prise en charge de l’appréhension physique de l’effort. La récupération post-compétition n’en sera que plus rapide !
- Expérience chiro en suivi de compétition
Pendant la coupe d’Europe de ski cross, durant 3 ans, j’ai accompagné les efforts des sportifs en compétition. La pratique sur-sollicite les genoux et les chevilles. Travail musculaire, ligamentaire et articulaire : on aide l’athlète à faire que son organisme va s’adapter rapidement, encaisser les chocs, et être réactif. C’est aussi un moyen de réduire le risque lésionnel.
- Lumière sur le métier de chiropracteur
Aujourd’hui, on compte 1 500 chiropracteurs en France, avec seulement 2 lieux de formation à Paris et Toulouse. Les études (6 500 heures en 5 ans) coûtent 10 000 € par an et sont standardisées à l’international.
Après 4 ans de théorie pure, les 2 dernières années se font en clinicat, sous tutelle d’un chiropracteur formé (soit environ 500 visites en binôme). La pratique est réglementée depuis 2011 par le ministère de la Santé. Pour se lancer en tant que chiropracteur, il faut s’identifier à l’Agence nationale de santé.
Jessica Daumas, chiropracteur. 06 59 08 30 52, 26 rue du Chariot d’Or, 69004 Lyon.
L’ostéopathie, axée systèmes viscéral et liquidien, crânien
La fiche de l’experte otéopathe
Flavie Lauretta, ostéopathe et coach sportif en salle de fitness.
Diplômée d’ostéopathie à l’EO Paris (Ecole d’ostéopathie), post-graduée dans la prise en charge de la sphère urogénitale féminine, avec également un CQP ALS (certificat de qualification professionnelle animateur de loisir sportif), spécialisée dans les disciplines douces telle que Postural ball® et Pilates.
- Le principe d’action de l’ostéopathe
Un ostéopathe prend en charge le système musculo-squelettique (articulations, muscles, ligaments et tendons), fascial, viscéral, crânien… Parce que selon lui, tout est lié. Le corps est une succession de rouages, et lorsqu’un grain de sable plus important qu’un autre s’y coince, c’est tout le reste de système qui tourne au ralenti, et effet boule de neige (appelé compensation), cela créé d’autres soucis.
– L’ostéopathe accorde une importance toute particulière au ventre. Le corps est relié à un squelette, avec des côtes. Un souci de ventre va bloquer le dos, le bassin… Et l’inverse aussi : un dos bloqué complique la digestion.
– Une colonne bloquée irrite le nerf, et c’est le système entier qui est défaillant. C’est le même phénomène pour le système sanguin : s’il est mal irrigué, les muscles ne bougent pas bien.
– Chez les femmes, sportives qui plus est, le système gynécologique a son importance aussi. Il est protégé par le bassin. Des douleurs de règles ou pendant les rapports peuvent venir de la sphère viscérale, d’une structure osseuse pas suffisamment mobile
– Le côté psychologique, émotionnel, joue sur le côté viscéral. Être constipé, ballonné a un lien avec les émotions. Ce rapport est bien plus développé dans les pays orientaux.
L’objectif : redonner de la mobilité à un tissu qui ne bouge pas ou plus correctement.
En tennis par exemple, on va essayer de redonner de la latéralité sur le plan ostéo-articulaire. De plus, on vient aussi jouer sur les chaînes du stress. Entre alors en considération une dimension assez psychologique. On cherche à mettre en rapport une émotion et un blocage (appelé lien somato-émotionnel), qu’on va venir solutionner via le système nerveux.
- Les techniques d’ostéo pour y parvenir
La mobilisation articulaire : pour drainer un œdème en cas d’entorse par exemple. En drainant, on va chasser l’eau accumulée pour redonner de la mobilité à la cheville par exemple, et ainsi retrouver la dynamique de mouvement.
La fasciathérapie : Les fascias (intra-osseux) sont comme une seconde peau, une membrane fine autour de la structure musculaire qui apporte le tonus et nous gaine. Et suite à un choc émotionnel, les fascias peuvent se crisper. On développe le toucher et on écoute le corps au plus profond, au niveau des fascias. Les yeux fermés, on échange avec la colonne, en diffusant une intention au niveau de la tête.
Le K-taping : (comme en chiropractie) pour le relâchement musculaire et la tonicité ligamentaire.
- Le suivi ostéopathique du sportif
– Pendant une compétition, on est là pour détendre le corps et ainsi mieux aborder ses émotions
– Le jour J, on peut être là pour les « petits bobos » (petites blessures : crampes, entorses légères…)
– Après compétition, on va faire redescendre le système nerveux et aider le système sanguin à irriguer correctement l’organisme. Car lorsqu’on arrête le sport, l’afflux sanguin est perturbé. On vient régénérer les zones qui se sont bloquées pendant l’effort pour les dénouer et mieux se préparer à la compétition suivante.
Flavie Lauretta, ostéopathe D.O et coach sportif, 06.83.34.65.17, laurettaflavie@gmail.com, 126, rue du 8 Mai 1945, 69100 Villeurbanne.
Le point de vue de l’expert Daniel Bontems
Ostéopathe spécialisé dans la prise en charge de sportifs de haut niveau (foot, basket, arts martiaux, danse, tennis… comme Serena Williams, l’équipe de France féminine de football), il est titulaire du diplôme Sport Ostéo Pro à l’INSEP.
Parlez-nous de vos techniques d’intervention auprès des sportifs.
En fonction des besoins du patient, pour être efficace, je mixe les techniques d’intervention : traitement ostéopathique, acuponcture, shiatsu, massage Tui Na issu de la médecine chinoise traditionnelle, dry needling, conseils en micronutrition…
Il est primordial d’avoir des notions de sport, car c’est en connaissant le type de sport pratiqué par son patient et les contraintes que celui-ci implique sur le corps qu’on proposera le meilleur des suivis. Mais c’est aussi une question de prise en charge individuelle et holistique, fonction de ses forces et faiblesses favorisant ou non la survenue d’une blessure.
Que pouvez-vous nous dire de la prise en charge des sportives ?
Il faut comprendre que l’homme et la femme sont différents par rapport à leur capacité anatomique, physiologique, à la morphologie et la psychologie d’approche. Sans oublier de garder en tête l’incidence hormonale et neurovégétative qu’implique le cycle menstruel lors des phases de compétition, avec un risque de blessure plus élevé.
Comment abordez-vous un souci mécanique du corps humain ?
Prenons le problème des genu valgum (genoux en X). Ces personnes ont une prédisposition à avoir les pieds plats, des tensions musculaires aux adducteurs, des douleurs lombaires basses… En plus de tourner le patient vers un podologue, on travaillera la posture et la mobilité surtout.
Ce peut être aussi une envie de performance et donc de meilleure gestion de son corps, chez quelqu’un qui pratique la natation par exemple. Grâce aux fascias viscéraux, on va pouvoir augmenter la capacité et le volume respiratoires grâce à des techniques fonctionnelles en rapport avec la physiologie pulmonaire.
Et la dimension psychologique ? En quelle mesure peut-elle entrer en ligne de compte dans le travail ostéopathique ?
C’est une question de conscience et de connaissance de son corps, pour tendre vers des performances. Chez moi, ça passera par une interaction avec mon patient : je cherche à lui expliquer la raison de sa douleur, lui justifier en quoi elle est neuromusculaire, neurologique… pour dédramatiser la situation et lui faire prendre conscience du ressenti de son corps et des tensions ou douleurs générés par le sport. Pour ça, je peux m’entourer d’un kinésithérapeute ou d’un préparateur physique qui viendra compléter mon intervention.
En quoi agissez-vous sur la posture du sportif ?
En libérant les articulations pour que le geste devienne le plus rapide et le plus automatique possible. En sommes, que la sportive n’ait pas besoin de réfléchir à son geste. Une douleur à l’épaule au tennis gênera la mobilité de l’omoplate. On va s’attarder à l’ensemble des muscles permettant le mouvement de service et ce qui s’y passe afin de l’optimiser.
C’est aussi là qu’entrent en jeu les mécanismes de blocages neurologiques. Par exemple, Serena Williams, que j’ai notamment accompagné en 2015 pour gagner Roland- Garros et Wimbledon, n’a pas une importante mobilité des jambes. Alors j’ai priorisé le haut du corps car sa puissance de bras est son point fort. C’est une très grande championne !
Et après une compétition, êtes-vous souvent appelé ?
Bien sûr, on va pouvoir travailler sur le remboursement de la dette en oxygène pour des sports intenses (dits aérobies) en faisant appel à des techniques fonctionnelles viscérales, on va détoxifier le corps afin de nourrir les muscles, ce qui facilitera le travail du kinésithérapeute pour une récupération optimale. Voir on va constater si blessure il y a, en fonction référer à une personne du milieu médical concerné, ou agir, sans forcément travailler sur la zone touchée directement.
Sur une cheville gonflée suite à une entorse de quelques jours, je vais mobiliser bassin, hanche, genou… avant de travailler sur le pied en fin de séance. Parce que oui, contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, un ostéopathe sait agir dans l’urgence et ne doit pas être cantonné à une douleur chronique ! Il a désormais sa place au sein des staffs médicaux sportifs et un rôle important à jouer !
Vous avez quantité de diplômes et des références solides, mais comment savoir si je choisis le bon ostéopathe ?
Le nombre d’écoles d’ostéo en France est considérable, et le niveau hétérogène. Il faut se fier au bouche-à-oreille, et vérifier si le praticien a une connaissance de son sport, de l’actualité du monde sportif, et qu’il agisse en complémentarité du monde médical et paramédical.
L’expérience de suivi ostéopathique de la pilote moto Julie Vanneken
Seule femme en course sur l’Africa Eco Race (6 500 km à motocross en 13 jours entre le Nord du Maroc et Dakar)
« Je suis suivie par des ostéos depuis 20 ans à cause d’une sciatique à répétition et d’un bassin qui a tendance à bouger. Suite à une infiltration, je me suis mise à souffrir de la hanche. Pour parcourir 500 km de moto par jour, je ne pouvais pas me permettre de supporter cette douleur inguinale. 10 jours avant le départ, j’ai eu droit au dry needing (ndlr, technique d’aiguille sèche contre les douleurs aiguës, mais aussi les tendinopathies) pendant 2h avec Daniel Bontems. Il a pris du temps pour observer ma posture et comprendre l’origine de cette douleur. Sur le rallye, j’ai pu être complètement libérée de ce poids. Il a aussi libéré les tensions dans une épaule en plaçant une aiguille vers le coude !
En revenant, j’ai souffert d’une inflammation du canal carpien, commune chez les pilotes car on serre fort le guidon. Des manipulations et étirements ont remis mon corps à zéro. Une chose jamais appréhendée : l’augmentation de l’amplitude de la cage thoracique, pour redonner souplesse au diaphragme. Pour ça, il a passé ses doigts sous les côtes pour mobiliser mon diaphragme. »