Non, les fuites urinaires ne touchent pas que les seniors dans l’ascenseur (oups ! bravo si vous avez la référence de la pub TV !). Ce phénomène concerne aussi les sportives, et cela peut gêner leur pratique. Pourquoi ça arrive, comment on fait pour limiter ces « fâcheux désagréments », qui pour nous accompagner ? Ça presse… alors on fait le point sans pincette avec des experts et des sportives qui témoignent.
Enquête par Léa Borie, Extrait de Women Sports magazine n°29 juillet-août-septembre 2023
L’incontinence urinaire d’effort en chiffres
L’incontinence urinaire féminine affecte 15 % de la population : c’est 3 millions de Françaises. Un chiffre sous-évalué. À l’Insep, lors d’une étude de 2016 sur 404 sportives, 72 % présentaient des fuites. La particularité de l’incontinence de la sportive de haut niveau ? elle cible un public jeune et nullipare. On en parle peu parce qu’on en a honte et que c’est un signe de vieillissement.
L’incontinence d’effort, c’est quoi ?
Les muscles du plancher pelvien, entre pubis et coccyx, s’avèrent trop faibles pour retenir l’urine lors d’un effort sportif, ce dernier augmentant la pression abdominale. Les sportives développent aussi malgré elles des facteurs qui contribuent aux incontinences,
que nous détaille le docteur Bruno Deval, professeur de chirurgie gynécologique : « Avec un niveau de masse grasse faible et un taux d’entraînement important, elles sont souvent aménorrhées, ce qui entraîne de l’hypo-oestrogénisme (faible taux d’oestrogènes, NDLR), induisant un trouble de la trophicité uro-génitale (perte de souplesse, d’épaisseur et de lubrification du vagin, NDLR). Ce n’est pas grave d’avoir des fuites, mais c’est invalidant et cela peut nuire aux performances ».
Périnée, qui es-tu ? Description du périnée
En forme de hamac musculaire supportant les organes dont la vessie, le périnée symbolise « le plancher d’une maison », une structure en forme de losange à environ 30 cm du nombril. « D’un point de vue fonctionnel, le périnée a avant tout un rôle de contrôle et de soutien », pose le Pr Deval dans son livre Le périnée féminin. Seulement voilà, le « capital périnée », intact à la naissance, est éprouvé, grignoté au fil des ans.
Des activités sportives plus sujettes aux fuites urinaires
Trampoline, gymnastique et athlétisme sont en tête des déclencheurs de fuites urinaires (avec par exemple un poids du plancher pelvien multiplié par 4 en course, par 9 en lancer de javelot et par 16 en saut en longueur), mais aussi les sports de déplacements rapides (basket, foot, tennis…), et ceux statiques avec contraction des abdos (haltérophilie, aviron…).
À l’inverse, on sait que natation et cyclisme sont des pratiques dites portées, moins touchées par le phénomène. Mais il y a aussi tous ces sports à faible impact, qui, lors des séances de renforcement musculaire, vont avoir des effets néfastes sur le périnée, comme en témoigne Cécile Bouchard, joueuse de rugby de haut niveau à Villeneuve-d’Ascq : « En séance de musculation, je chargeais très lourd. Et puis pendant les tests physiques, à bout après avoir tout donné, mon corps lâchait. »
Malheureusement, ce phénomène arrive à dégoûter certaines de leur sport, comme l’atteste sa soeur, Marie Bouchard, athlète de haut niveau et interne en médecine à Brest : « J’ai vu en consultation une ado arrêter son sport, gênée par ses fuites ».
Pathologie multifactorielle
« Selon le cycle, il y a des périodes plus à risque que d’autres pour l’incontinence d’effort, explique Marie Bouchard. Les organes étant plus ou moins gorgés de sang, ils appuient sur le plancher pelvien de façon inégale ». Par ailleurs, 30 % des femmes sont incapables de contracter leur périnée sur demande, et 1 femme sur 3 pousse au lieu de contracter.
Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on souffre de fuites urinaires d’effort ?
❯ On en parle autour de soi : Entraîneur, médecin du sport, gynécologue, kiné… nombreux sont les professionnels susceptibles d’orienter les sportives touchées. « En arrivant dans mon club de rugby à Lille, j’avais des fuites urinaires à l’effort, sans pour autant en parler, mais je me doutais bien que je n’étais pas la seule, nous raconte Cécile Bouchard. Je n’ai réussi à en parler à ma soeur que lorsqu’elle a travaillé son mémoire sur ce thème. Elle l’évoquait tellement que c’est devenu un sujet banal. Dans mon club, j’ai fini par demander à mes coéquipières si ça leur était arrivé. Au premier abord, tout le monde m’a répondu non. Mais une fois qu’une d’entre elles a osé, il y en avait déjà 5 autour de moi ! »
À l’inverse, sa soeur en a facilement parlé. « Très tôt, un entraîneur nous a sensibilisées à ce sujet lors d’un stage, j’avais 18 ans, pose Marie. Il faut dire aussi qu’on n’a pas vraiment de tabou en médecine, le corps humain est mon quotidien. Mais je ne m’étais pas rendu compte que ça touchait autant de femmes ! On parle beaucoup de la rééducation du périnée post-grossesse mais si peu du reste. » Heureusement, cela a tendance à changer, comme l’attestent les deux soeurs Bouchard respectivement dans leur discipline. « Même les coachs hommes en parlent de plus en plus. Le pilates est davantage dispensé en prévention… ça bouge ! »
❯ On réalise un bilan : Cela consiste en un bilan global (respiratoire, postural, périnéal) avec un professionnel de santé.
❯ On fait des exos ciblés : Des exercices de prévention pour améliorer les symptômes, idéalement à faire avant de voir s’installer sérieusement la gêne. Un conseil : adapter mais ne pas arrêter le sport, c’est lui qui nous gaine !
❯ On surveille son hygiène au quotidien : On contrôle son poids, le surpoids étant l’ennemi n°1 des fuites. On limite/arrête le tabac. On va aux WC régulièrement, surtout avant son entraînement ! Bien s’assoir, se relever… tout ce qui produit de la pression périnéale est à surveiller. On limite les phénomènes de constipation : fruits et légumes à gogo !
❯ On suit une rééducation : En première intention, une rééducation avec méthode de « contractés / relâchés », dispensée par des kinés et sage-femmes formés, pour reprendre conscience de l’action du périnée. « Mais ça prend du temps et ça demande d’être régulière, avec un investissement quotidien », insiste Marie Bouchard.
Il existe des applis pour continuer le travail à la maison. Des systèmes se créent aussi, comme la machine PelviCenter, imaginée par la société Pelvi-Up, un dispositif de rééducation automatisée du plancher pelvien, qui utilise la technologie des impulsions magnétiques pour stimuler les muscles du plancher pelvien.
La sportive occasionnelle :
Sportive du dimanche ou plus, sans pour autant être en haut niveau, la question des fuites urinaires concerne toutes les femmes. Les facteurs de risques existent aussi, donc les mêmes conseils s’appliquent. Et on pense à changer régulièrement son matériel, notamment les baskets pour les runneuses !
LES DON’T & LES DO DON’T du périnée
Les don’t :
✖ Les crunchs à gogo Certains exercices avec pressions intra-abdominales contribuent à affaiblir le périnée et à augmenter le risque d’incontinence urinaire. Les crunches notamment poussent les organes vers le bas et mettent le périnée en pression. « À l’époque, on a eu un coach qui nous faisait faire des séries de crunchs allongées sur le dos. Si on ne levait pas assez, il en rajoutait 20 !, témoigne Cécile Bouchard, rugbywoman. Depuis, une préparatrice physique et joueuse de rugby est arrivée. Elle passe désormais auprès de chacune d’entre nous et nous donne des astuces. Dès lors, terminé les fuites ! Je porte toujours du volume mais c’était aussi une histoire de placement incorrect. La façon de respirer pendant l’effort est à réapprendre pour que ça devienne un automatisme ».
✖ L’opération quand on est une jeune sportive incontinente : À 50 ou 70 ans, on opère pour des fuites dues à des accouchements, à l’âge, à une surcharge pondérale… mais pas une jeune sportive de haut niveau nullipare, d’après Dr Deval : « Son facteur déclencheur, c’est le sport. Quand elle l’arrêtera, ça se calmera. À long terme, les études le prouvent, les sportives n’ont pas plus de facteurs de risques, sauf pour celles qui prennent du poids, vrai facteur de risque ».
✖ Se limiter de boire Ne pas boire à outrance, certes, mais disons qu’environ 1,5 L d’eau par jour est nécessaire. Surtout, comme le rappelle Bruno Deval, qu’en faisant du sport, la sudation est importante, il faut la compenser.
Les Do du périnée
✔ Les « bons » abdos : On parle d’abdos en hypopression (méthode de Gasquet), quand ils sont réalisés les poumons vides avec une fausse inspiration pour alléger le poids des organes, et s’assurer que le ventre ne se surélève pas. Un combiné de travail respiratoire et postural.
✔ Les tampons : Bruno Deval nous raconte que les sportives se passent l’astuce de mettre un tampon, pendant une compétition notamment, pour soutenir l’urètre.
✔ Le gainage Pour un dos solide et un périnée préservé. ENQUÊTE D.R. Rééduquer, s’écouter, contrôler sont des mots qui devraient parler aux sportives pour protéger leur capital périnée. POUR
La prévention périnée par Isabelle Reynaud
Informer. Sensibiliser. Elle en fait son cheval de bataille depuis plusieurs années maintenant : Isabelle Reynaud est masseur-kinésithérapeute spécialisée en pelvi-périnéologie, consultante en sport et spécificités féminines.
Face à ce constat alarmant, elle a créé une association en 2016, intitulée « Sport et spécificités féminines ». Le but, proposer des ateliers pour informer les sportives, et des formations destinées aux professionnels du sport, de la forme et de la santé, « pour assurer une meilleure prise en charge, davantage dans la prévention. C’est désolant de se dire qu’on risque d’altérer sa santé par le sport. On pensait que cette pathologie touchait la femme après 60 ans, mais non, c’est le cas dès l’âge de 13 ans ! » Pour ce faire, l’association peut compter sur ses ambassadrices tous sports confondus, dont Marie et Cécile Bouchard font partie.
« Quand on éduque, on a moins à rééduquer le périnée »
Un passeport pelvi-périnéal est ainsi à disposition sur le site de l’association, en fonction de l’âge. Cela tient aussi à une éducation transgénérationnelle, d’après Isabelle Reynaud : « Les mères notamment ont ce devoir de sensibiliser leur fille, au même titre que les règles ». Elle penche même pour un certificat d’aptitude au sport élargi à ce type de pathologie. Quant à la formation des professionnels, lancée en septembre prochain via l’Académie Sport SF, elle proposera une approche des pathologies pelvi-périnéales.
Appeler un chat, un chat !
« Parce que non, « plancher pelvien » n’est pas le bon terme : c’est une sangle périnéale, précise Isabelle Reynaud. Et cette sangle doit être adaptative, car elle est le carrefour entre ce qu’il se passe en-dessous, en réception du pied, et au-dessus, au niveau du diaphragme. C’est pourquoi, au lieu de focaliser sur la zone périnéale, on doit avoir une prise en charge globale. Quand vous courez, vous n’isolez pas le quadriceps, et bien là c’est pareil ! »
Et d’ajouter : « On n’«engage» pas le périnée. Ce n’est pas une zone militaire, ironise la kiné. L’important, c’est qu’il ne subisse pas ce qui se passe au-dessus, au niveau de l’abdomen, pour ne pas transmettre trop d’hyperpression en-dessous. Et si le simple serré/relâché marchait à 100 %, les kinés n’existeraient plus ! Les sondes connectées qui permettent des scores pas possibles avec des « 5/5, vous avez un périnée tonic, bravo ! », ce n’est pas mieux. On n’est pas sur un podium ! Plus c’est bétonné, plus il y a aura de fuites aussi. Un périnée trop musclé est peu adaptatif. Voyons plutôt ça comme un airbag capable d’apprécier la pression. »
Aller plus loin autour de la question du périnée
➤ Périnée, arrêtez le massacre, de Dr Bernadette de Gasquet, Ed. Marabout, 2020
➤ Le périnée féminin, grossesse, continence, reconstruction, ménopause, de Pr Bruno Deval, Ed. de Rocher, 2023