La sportive Marine Noret a eu la chance de rencontrer Marine Leleu, elle aussi passée par la case anorexie. Avant elles, il y a eu notamment Elisabeth Grousselle. Le sport de haut niveau, malédiction pour la santé mentale ? Eclairage de Lise Anhoury-Szigeti, psychologue clinicienne et psychologue du sport à l’INSEP.
Propos Recueillis Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.13 de juillet-août-septembre 2019
« Selon moi, le sportif de haut niveau, même s’il ne présente pas de trouble du comportement alimentaire spécifique au départ, lorsqu’il pratique un sport «à risque» – avec catégorie de poids, esthétique ou d’endurance – cela peut parfois engendrer des comportements alimentaires problématiques et d’autant plus si le sportif est vulnérable. Par ailleurs, chez des patients porteurs de troubles du comportement alimentaire, le sport peut être utilisé comme conduite compensatoire pour maigrir.
Dans le sport de haut niveau, il y a cette recherche de maîtrise qu’on retrouve également dans les troubles du comportement alimentaire : contrôle de ses capacités à outrance, perfectionnisme, recherche du poids idéal pour sa pratique… sont autant d’éléments communs. Le sport n’est pas le déclencheur nécessaire d’un trouble du comportement alimentaire, c’est une triade entre la personnalité, le contexte et le sport qui peut faire que celui-ci apparaît.
Certaines catégories de sports sont susceptibles de décupler cette obsession, déjà présente initialement :
– Les sports esthétiques (sports sur glace, natation synchronisée, gymnastique rythmique et artistique…), des pratiques où l’apparence compte, ce qui peut avoir une influence chez une personne fragile. Même si ce n’est pas un critère officiel, le physique entrera en compte dans la subjectivité de la note du jury, la sportive le sait.
– Les sports à catégorie de poids (judo, lutte, taekwondo…) nécessitent parfois de suivre des régimes stricts. A tel point que certains sportifs peuvent sauter un repas avant une pesée. Cette maîtrise est parfois valorisée dans la pratique, car la personne prouve qu’elle se donne les moyens de réussir. D’autant plus que dans ces pratiques, si l’on est hors des clous en poids le jour de la compétition, on ne peut pas participer. D’autres appréhensions peuvent entrer en ligne de compte : la peur d’être moins performant en montant en catégorie de poids, voire ne plus être dans une catégorie olympique…
J’ai suivi une sportive qui pratiquait un sport à catégorie de poids qui faisait des crises de boulimie après les compétitions, elle n’arrivait pas à gérer ses émotions autrement. Mais elle a retrouvé un comportement alimentaire normal lorsqu’elle a arrêté les compétitions. Ceci étant, il ne faut pas négliger non plus la retraite du sportif. A l’arrêt du sport intensif, le sportif peut développer une angoisse face à un corps qui se « démuscle » et devient plus mou.
L’environnement du sportif
Il est indispensable qu’il y ait un suivi du médecin, d’un diététicien et d’un psychologue pour les problématiques alimentaires. A l’INSEP, c’est idéal car on a tout le matériel et les bonnes dispositions sur place. L’aspect diététique permet d’aider les personnes qui rencontrent des difficultés à tenir leur régime sur le long terme, ou à adapter leurs repas avant une compétition par exemple. L’aspect psychologique peut être un bon moyen de verbaliser ses difficultés, de déverser ce qu’on ressent à s’enquiller 35h de sport par semaine ; c’est un espace de parole préventif.
Les trois spécialistes peuvent discuter entre eux de la pathologie du sportif afin de l’aider de façon optimale. Selon s’il est d’accord pour que ce soit su, on peut établir le lien avec l’entraîneur. On peut mettre en place des procédés pour réduire les risques et traumatismes potentiels sur le terrain, en vérifiant que le sportif est dans la bonne catégorie de poids, en suggérant une pesée de l’entraîneur à l’abri des camarades, ou via la diététicienne, voire en faisant une pesée sans prévenir pour limiter les risques de sur-contrôle juste avant, ou bien en proposant un entraînement adapté… Une parole portée par les trois professionnels qui a donc plus de poids. Les entraîneurs ayant parfois eux-mêmes évolués dans ce contexte, ne se rendent pas toujours compte des remarques qu’ils peuvent faire à leurs sportifs. A nous de travailler ensemble afin de mieux accompagner les athlètes et leur entourage.
Un point de vigilance sur le sport comme reconstruction
Dans un sens, je trouve ça très positif de se reconstruire grâce au sport car il peut permettre aux personnes malades de trouver leur identité et leur place, de les valoriser par rapport aux autres et de leur donner le sentiment d’exister, elles qui avaient tendance à vouloir disparaître et à cacher leur corps.
Néanmoins, attention à ne pas sombrer dans un autre comportement à risque. Si on arrive à ne plus compter les calories mais qu’on tombe dans l’obsession des kilomètres, et dans l’addiction sportive, le risque est là aussi. Pousser son corps permet de se sentir vivant, mais attention à ne pas le malmener à nouveau et à entretenir ce rapport de douleur et de souffrance.
On peut observer que souvent, les personnes ayant eu un trouble du comportement alimentaire ne choisissent pas des sports « tranquilles ». On les retrouve souvent sur des Iroman, des marathons et autres sports d’endurance qui vont leur demander de puiser loin dans leur résistance. L’expérience douloureuse de la maladie leur a sans doute permis d’acquérir une force mentale dont ils peuvent se servir dans ce type de sport. Cela peut permettre aussi de trouver un cadre et de diriger la personne en perte de repères vers une ligne directrice. Mais vigilance est de mise sur les dérapages, car il est difficile de déclarer une guérison définitive, la fragilité reste. N’oublions pas que l’on peut mourir de l’anorexie et que certaines personnes qui aujourd’hui s’en sont sorties ont peut-être failli mourir de cette maladie. Un travail psychologique régulier ou à certains moments de la vie est nécessaire, pour faire le point sur le regard qu’on porte sur son corps, afin de s’assurer qu’on reste dans la bienveillance envers lui.
Quelques mots de vocabulaire sur la pathologie
Anorexie mentale
Trouble du comportement alimentaire (TCA) souvent associé à des troubles psychologiques qui entraîne la privation drastique et volontaire de nourriture pendant plusieurs mois/années. Cette pathologie obsessionnelle qui bloque le processus de l’adolescence touche essentiellement les femmes, entre 14 et 17 ans. 50 % des cas pris en charge guérissent : les séquelles et complications sont fréquentes.
Boulimie nerveuse
Autre trouble du comportement alimentaire caractérisé par une frénésie alimentaire incontrôlée. En résulte un sentiment de honte et de culpabilité, agrémenté de réflexes compensatoires pour éliminer les énormes quantités de nourriture ingurgitées (vomissements volontaires, usage abusif de médicaments, pratique sportive excessive…).
Bigorexie = sportoolisme
Si les bienfaits du sport sont nombreux, un excès ou une mauvaise pratique peuvent nous faire basculer du côté obscur. L’addiction à l’activité sportive qui se traduit par un besoin compulsif et irrépressif de pratiquer au quotidien une activité physique est une pathologie.
Dysmorphophobie
Trouble psychologique lié à l’image de soi et de son corps. Les personnes atteintes ont une préoccupation excessive concernant un petit défaut sur lequel elles font une fixette. Il peut s’accompagner d’autres troubles (dont les TCA ou les TOC).