Aurélie Groizeleau, seule arbitre française sélectionnée pour la Coupe du monde féminine de rugby 2025, évoque son parcours, ses défis et ses espoirs à l’approche de cette compétition majeure, qui s’ouvrira le 28 août. Professionnelle de l’arbitrage et agricultrice, elle partage les coulisses d’un quotidien bien rempli, les sacrifices consentis, et sa vision engagée pour faire avancer l’arbitrage féminin.
Qu’est-ce que représente cette sélection pour vous ?
La participation à une Coupe du monde, c’est toujours l’aboutissement de quatre années de travail et d’engagement. C’est une forme de reconnaissance, à la fois un soulagement et une réussite. Une confirmation que les efforts fournis sont récompensés.
Vous êtes arbitre de haut niveau, agricultrice, maman… Comment parvenez-vous à tout concilier ?
Ce n’est pas évident. J’ai compris que l’équilibre parfait n’existe pas. Ce que j’essaie de faire, c’est m’investir à 100% dans chaque activité, sans tout mélanger. Je cloisonne : la semaine est organisée, cadrée. Le mercredi, c’est par exemple la journée réservée à ma fille, pour compenser mes absences du week-end. La ferme familiale, j’y suis de moins en moins en ce moment à cause de la préparation à la Coupe du Monde, mais je soutiens ma famille du mieux possible.
À quoi ressemble une semaine type ?
Je passe environ une demi-journée à la ferme. J’ai des salariés, donc je m’occupe surtout du management et de la partie administrative. Ensuite, c’est un entraînement physique par jour, et tout un travail vidéo, à la fois sur mes propres performances et sur les équipes que je pourrais arbitrer. En parallèle, je suis aussi investie dans le développement de l’arbitrage féminin en France : j’accompagne des arbitres, je participe à des suivis techniques, des retours vidéo, des briefings.
Avez-vous déjà douté de votre capacité à tout mener de front ?
Oui, évidemment. Une carrière n’est jamais linéaire. Il y a des moments de doute, surtout quand les sacrifices personnels deviennent lourds. Ce qui me fait tenir, c’est la passion. J’aime profondément le rugby. C’est ce qui me pousse à continuer malgré les difficultés.
Comment vous préparez-vous spécifiquement pour cette Coupe du monde ?
J’ai décidé de m’entourer d’un préparateur physique et d’un préparateur mental. Je veux une préparation très individualisée. Après une coupure de 15 jours en juin, j’ai enchaîné avec six semaines de préparation physique intensive. Mentalement, je travaille beaucoup sur la gestion des émotions et la confiance en soi. C’est essentiel, surtout à haut niveau. Le mental, c’est plus de la moitié de la performance.
En tant qu’arbitre, la confiance en soi est-elle un facteur déterminant ?
Totalement. Je le dis souvent aux jeunes arbitres : deux arbitres peuvent prendre la même décision, mais si l’un a une posture assurée et l’autre non, on n’interprétera pas la décision de la même manière. L’image que l’on renvoie est aussi importante que la décision elle-même.
« L’arbitre n’est pas genré, il doit être compétent »
Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’arbitrage féminin ?
On progresse, mais il reste beaucoup à faire. Ce sera la deuxième Coupe du monde avec 100 % d’arbitres féminines sur le terrain (hors arbitres vidéo). En France, nous sommes moins de 7 % d’arbitres femmes, alors qu’il y a plus de 15 % de joueuses. Il faudrait doubler nos effectifs pour rétablir un équilibre. On mène un travail de fond pour y arriver, notamment grâce au soutien de La Poste, qui accompagne le développement de l’arbitrage dans les sports collectifs. Avec le basket, le handball et le football, on a mis en place une commission commune pour partager nos expériences, identifier ce qui fonctionne, et avancer ensemble. Se regrouper entre disciplines permet de porter des actions plus fortes et de ne pas se sentir isolés.
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans l’arbitrage ?
D’abord, le rugby féminin est relativement récent. Ensuite, beaucoup d’anciennes joueuses ne se tournent pas vers l’arbitrage : elles préfèrent se consacrer à leur vie personnelle. Et on n’intègre pas assez l’arbitrage dans les formations pour les filles, contrairement aux garçons. Il faut donc agir dès la base, entre 15 et 18 ans, pour que l’arbitrage devienne une option naturelle pour toutes.
Quel message adresseriez-vous à une jeune fille qui hésite à se lancer ?
Je lui dirais d’oser. L’arbitrage permet de développer des compétences incroyables : prendre la parole en public, gérer des conflits, affirmer sa personnalité. Moi, j’étais réservée au départ. L’arbitrage m’a aidée à m’épanouir. Gérer 30 garçons sur un terrain quand on est la seule femme, ça peut impressionner, mais on s’y fait vite. On prend autant de plaisir qu’en tant que joueuse.
Avez-vous rencontré des difficultés pour vous imposer dans un milieu très masculin ?
Oui, surtout à mes débuts, il y a 15 ans. On m’a dit des choses comme : « C’est une femme, elle n’y connaît rien ». Il y avait beaucoup de préjugés. J’ai dû prouver mes compétences davantage. Mais aujourd’hui, je le dis : un arbitre n’est pas genré. Ce qu’on attend de lui, c’est qu’il soit compétent.
« Être bien dans ma vie m’a rendue meilleure sur le terrain »
Y a-t-il eu un moment clé dans votre parcours ?
Oui. Le déclic a été mon retour à La Rochelle, près de ma famille, après une période à Toulouse. J’étais un peu en stagnation. Retrouver mon cocon m’a redonné confiance. Ça a changé ma dynamique personnelle et professionnelle.
Et après cette Coupe du monde, quels sont vos projets ?
Je ne veux pas que cette Coupe du monde soit une fin. J’espère pouvoir arbitrer les phases finales, ce serait une première pour une Française. Et dans quatre ans, il y aura peut-être une autre Coupe du monde, ce serait une belle manière de conclure une carrière. Ensuite, j’aimerais continuer à m’engager pour promouvoir l’arbitrage, transmettre, faire avancer notre discipline.