Le destin a fait leurs routes se rencontrer, et aujourd’hui, Mathilde Castres et Tiphaine Poulain s’investissent tout azimut pour permettre aux femmes de se réapproprier l’espace public par le sport. Tout ça au sein d’une association qui bouge, Sine Qua Non, soutenue par l’agence de communication Sport Market. Les deux jeunes femmes argumentent et appuient leur engagement pour une « soro-fraternité » afin de lutter contre les violences sexistes et sexuelles, à travers la course à pied, mais pas seulement. Rencontre poignante pleine de sens.
AVEC BRUNO BIANZINA, DIRECTEUR GÉNÉRAL SPORT MARKET / Extrait de Women Sports magazine n°28 avril-mai-juin 2023
Sine Qua Non x Sport Market
Mathilde Castes a pensé l’origine du projet Sine Qua Non. Son objectif : sensibiliser sur les violences faites aux femmes. À ses côtés, Tiphaine Poulain, co-fondatrice de l’association Sine Qua Non, est directrice associée chez Sport Market, agence de communication et marketing spécialisée dans le sport. Elles réunissent aujourd’hui des fonds pour soutenir d’autres associations qui luttent contre les violences sexuelles.
Constat de départ : créer un cercle vertueux selon Tiphaine Poulain
« La pratique sportive dans la rue est encore trop genrée. Les femmes n’osent pas y aller. Nous sommes persuadées qu’il faut travailler ce vivre ensemble, pour une société plus respectueuse, en utilisant le sport comme levier. On est pour ça assez d’accord avec Dominique Poggi (sociologue fondatrice du collectif À Places Égales*, ndlr), dont la conviction est de dire que la conquête de l’espace public par les femmes passera par les sportives. Nous avons l’envie de donner ce rôle à toutes les femmes, un message fort qui parlera à beaucoup : on le fait pour soi et pour toutes les femmes ».
* citée dans le rapport « Femmes et espaces publics », pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la rue, les transports et les espaces de loisirs
Les spécificités de la Sine Qua Non Run
La course a lieu dans Paris en octobre, mais pas n’importe où ni n’importe quand : à la Villette (quartier nord de la capitale en restructuration, ndlr), en fin de journée voire à la nuit tombée, en parcours ouvert au milieu des promeneurs. Tous les éléments sont ainsi réunis pour former un terrain de jeu idéal pour porter haut le message de Sine Qua Non !
Sport Market pour Sine Qua Non : une com de choc qui s’assume

« Sifflements, remarques sexistes, insultes, propositions sexuelles et parfois pire. Ces injures sont banalisées. On avait besoin de muscler notre communication, d’assumer notre combat, de dénoncer le quotidien des sportives », précise Mathilde Castres. Sport Market et Ici Barbes ont proposé une campagne de communication choc, à la hauteur de ce que les femmes qui font du sport doivent entendre et subir. « Mate ce petit cul qui court », « Salope », « Viens faire du sport en chambre avec moi »…
Point de vue : Les solutions n’ont pas de sexe !
Interview croisée de Mathilde Castres et Tiphaine Poulain
- WomenSports : Depuis 2018, vous organisez une course caritative, la sine qua non run : comment en arrive-t-on à ce résultat ?
Mathilde : Pour comprendre le pourquoi de cette solution, on trouve la réponse dans mon parcours de vie. J’ai été victime d’agression sexuelle au travail lorsque j’étais au Canada. Mon outil de résilience a été de me mettre à la course. En rentrant en France, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de cette histoire, au lieu d’apprendre à se taire. Une prise de conscience qui a germé en vue d’organiser une course caritative pour rassembler les gens désireux d’une société plus respectueuse. J’ai envoyé un mail à Sport Market. C’est comme ça que je suis entrée en contact avec Tiphaine. De là est née une collaboration forte entre nous.
- Tiphaine, comment avez-vous réussi à trouver votre place au sein du projet initial si personnel de Mathilde ?
Tiphaine :La démarche de Mathilde m’a touchée en tant que femme, et m’a parlé en tant que professionnelle du sport. Mais c’était un sujet que je ne pensais pas maîtriser, sur lequel je ne me sentais pas légitime, pas pertinente. Finalement, on réalise rapidement que cela nous est déjà arrivé, que l’on en a déjà été témoin. On était en plein dans le début de la vague #MeToo, et avec Mathilde, nous partagions une envie commune d’agir concrètement par le sport, pour promouvoir la nécessité et la possibilité d’évoluer vers un nouveau rapport, plus équilibré, entre les femmes et les hommes.
- C’est comme ça que vous avez bâti ce projet, de toutes pièces. Quels ont été les premiers retours de la sine qua non run 2018 ?
Mathilde : Quelques années encore auparavant, j’étais éloignée du sport et connaissais très peu ce milieu. On est parti de nulle part et très vite, la ville de Paris et le ministère des Sports nous ont suivies, et on a vu de grandes entreprises s’inscrirent à notre évènement.
Tiphaine : Ça a été une grosse claque en termes d’émotions. Seulement voilà, il en fallait plus : des participantes nous ont confié que la question de la femme sportive dans l’espace public était une problématique quotidienne, qu’elles se faisaient alpaguer le reste de l’année et avaient besoin qu’on aille plus loin.
- C’est comme ça que vous avez décliné votre modèle à d’autres sports ?
Tiphaine : Tout le monde parle du fait que les femmes ne font pas assez de sport mais il y a un terrain sur lequel on ne crée pas un environnement favorable…
Mathilde : On a alors réfléchi aux freins à la pratique sportive des femmes dans la rue. Horaires tardifs, endroits isolés : ces contextes freinent les femmes à chausser leurs baskets quand les hommes se focalisent sur leur espoir de performance du jour. On est alors d’abord parti de notre premier territoire, la course à pied, pour créer en 2019 des Sine Qua Non Squads, des sorties run 3 à 4 fois par semaine organisées par la vingtaine d’ambassadeurs aujourd’hui actifs, avec des groupes mixtes !
Tiphaine : Puis, en 2020, en marge du Mondial de football féminin, on entendait partout l’engouement attendu pour encourager les footballeuses, mais dans les city stades, on voyait toujours peu de femmes. C’est pourquoi, via l’association Futebol dá força, une vingtaine de coaches ont été formés spécialement dans cette démarche. Car, au-delà de la technique, il était important de leur inculquer la manière de prendre leur place de leader, de les sensibiliser aux violences sexistes et sexuelles, et de leur apprendre le fonctionnement du corps féminin.
- Il y a aussi, dans ce cadre, un sport incontournable sur lequel vous vous êtes penchées : la boxe.
Tiphaine : On a parlé de notre projet à Sarah Ourahmoune. Elle-même avait ressenti une certaine insécurité lors de sa préparation des JO et s’était montrée illégitime lorsque sa fille l’avait invitée à faire des tractions sur un street workout. C’est ainsi que sont nés en 2022 les Sin Qua Non Boost Her, à raison de 5 à 7 sessions annuelles.
- Y-a-t-il encore un sport sur lequel vous pensez axer vos efforts ?
Tiphaine : Toujours ! Et cette année, on planche sur la Sine Qua Non Ride pour le skate, et la Sine Qua Non Break Dance. Cette dernière idée est née d’une danseuse latine qui, arrivée en France, a été surprise qu’on danse le break en salle et non dans la rue, ignorant encore les difficultés pour une femme de le faire ici… On entend aussi développer le concept hors Île-de-France.
Société à mission : société à quoi ? Bruno Bianzina, directeur général Sport Market
La création de la qualité de « société à mission » par la Loi PACTE de 2019 a fait écho à notre manière de prendre en compte l’impact RSE de notre métier d’agence conseil. Sport Market s’est ainsi donné comme feuille de route de valoriser le potentiel du sponsoring sportif, en articulant Sponsoring d’émotion et Sponsoring à mission avec l’ambition de promouvoir le sport auprès des acteurs publics et privés, comme un outil durable d’action en faveur du bien commun. Notre engagement aux côtés de Sine Qua Non depuis sa création en 2017 illustre tout ce à quoi nous croyons. La rencontre avec Mathilde Castres a inspiré notre passage au statut de société à mission en 2021. Nous avons la conviction que le sport a la capacité et la responsabilité de produire un impact social et environnemental positif sur la société. L’égalité femmes / hommes est un terrain d’action fort chez Sport Market. Nous savons que le sport est un formidable accélérateur pour faire évoluer les mentalités. Avec Sine Qua Non, nous donnons vie à cette conviction et c’est une grande fierté pour l’ensemble des collaborateurs·rices de l’agence »