Vivez l’ascension de la plus haute montagne africaine comme si vous y étiez.
Par Floriane Cantoro
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.16 d’avril-mai-juin 2020
Sa silhouette, imposante et unique, fait sa renommée. À l’extrême nord de la Tanzanie, comme sorti de terre au milieu de la savane, le Kilimandjaro détonne autant qu’il impressionne. Surnommé « le toit de l’Afrique », ce mont volcanique culmine à 5.895 mètres d’altitude, soit un kilomètre de plus que le Mont-Blanc. Sur ces flans, s’étendent des hectares de forêts tropicales, des étendues de plateaux rocailleux et de vastes calottes glacières.
Depuis sa première ascension en 1889, le Kilimandjaro ne cesse t’attirer les aventuriers du monde entier. Tous les ans, ils sont plusieurs dizaines de milliers à venir s’y frotter… et souvent s’y piquer ! En août dernier, c’est Lorenne Bouaidat, 25 ans, qui est partie à l’assaut de ce mythique sommet aplati et toujours enneigé. Kinésithérapeute de profession, la jeune femme originaire de Tarbes s’est lancée dans l’ascension du « Kili » avec son compagnon et deux autres couples d’amis, tous des sportifs aguerris. Encadrés par l’agence Congema Safaris, ils ont choisi un parcours en sept jours par la voie « Machame », réputée pour être l’une des plus belles. Lorenne a accepté de nous raconter cette aventure ; elle nous dévoile le Kilimandjaro comme on ne l’imaginait pas.
Une pente pas si raide !
J-0, veille du départ. Dans un hôtel d’Arusha, une ville située à quelques kilomètres au sud du Kilimandjaro, nos six randonneurs français profitent des dernières heures de confort. Contrairement à certains trekkeurs qui choisissent des nuitées en gîtes, eux ont opté pour une forme d’ascension plus authentique en bivouacs. Un contact direct avec la nature sciemment recherché mais qui se complique quand la météo n’est pas au beau fixe. « On a pris la pluie d’entrée… », se souvient Lorenne, évoquant une première nuit « mouillée » sous la tente. Le ton est donné : ce « Kili », il faudra se le mériter ! Heureusement, les randonnées des jours 1 et 2 sont assez faciles, avec un faible dénivelé. Cela représente environ 4 heures de marche par jour pour des sportifs comme eux (entre 4 et 6h en moyenne). Mis à part un petit « mur » à 4.000 mètres surnommé le « Breakfast Wall » (car les trekkeurs ont pour habitude d’y laisser leur petit déjeuner…), l’ascension du Kilimandjaro est d’ailleurs un effort physique assez abordable, même pour les moins sportifs des aventuriers. « On a vu tous types d’âges et de profils », assure Lorenne.
Jeux de cartes et poulet-frites en altitude
En principe, les randonneurs terminent l’étape quotidienne vers 13h00 et passent l’après-midi à jouer aux cartes et à discuter, « pour tuer le temps ». Car les marcheurs n’ont absolument rien d’autre à faire sur le Kilimandjaro que… marcher ! Ce sont les « porteurs » qui s’occupent de la logistique, de monter et démonter le campement. Ces accompagnateurs indispensables, parmi les mieux payés des hommes tanzaniens, calent parfois sur leur dos jusqu’à 20 kg de tentes, de chaises, de vêtements… « Nous, on a vraiment le strict minimum dans nos sacs de rando : une bouteille d’eau, de quoi se couvrir, des barres de céréales et c’est tout ! », reconnaît Lorenne. Il y a aussi les cuisiniers – qui vont jusqu’à leur concocter un surprenant poulet- frites à 4.000 mètres d’altitude ! – et les guides. Sans ces personnes de soutien (une douzaine pour six randonneurs en l’occurence), les touristes ne peuvent pas accéder au « toit de l’Afrique ». Le règlement du Parc empêche même les meilleurs traileurs du monde de grimper sans un guide certifié.
Le mal des montagnes : ennemi public numéro un
L’importance de ces soutiens pendant l’ascension se fait particulièrement ressentir au jour 3, celui de la marche d’acclimatation. Une sorte d’aller-retour en altitude pour adapter ses poumons au manque d’oxygène. Ce jour-là, le petit groupe d’amis atteint les 4.600 mètres. « Les filles ont commencé à se sentir patraques pendant la montée. Ensuite, la soirée a été compliquée pour tout le monde : on a tous eu mal à la tête et des nausées », se rappelle Lorenne. C’est ce que l’on appelle le « mal des montagnes ». « Pour moi, l’altitude est ce qu’il y a de plus difficile sur le Kilimandjaro », déclare la jeune femme passionnée de trail, pourtant habituée aux courses en hauteur sur les cimes des Pyrénées. « Le mal des montagnes peut toucher tout le monde sans exception, sportif ou non, et on ne peut rien y faire ». Les médicaments tels que le paracétamol ou l’ibuprofène demeurant assez peu efficaces.
S’écouter, s’écouter, s’écouter
Au matin du jour 4, les maux de tête et les nausées affectent toujours les filles. Lorenne, elle, n’a plus d’appétit. Les doutes s’installent : parviendront-ils au sommet, ensemble ? « Il a fallu se rebooster tout en restant lucides sur notre santé », explique Lorenne, qui avait pensé à embarquer un oxymètre de pouls dans son sac à dos. Il faut bien garder à l’esprit que l’ascension du Kilimandjaro n’est pas une promenade de santé. Si la difficulté du parcours n’est pas insurmontable, cela reste un trek de plusieurs jours dans des conditions extrêmes (jusqu’à -10°C) et à une altitude inhabituelle pour la plupart des grimpeurs. Les conséquences pour l’organisme peuvent être dramatiques comme en témoignent les quelques malheureux décès déclarés chaque année par les autorités du Parc. « Il n’y a pas de médecin dans les groupes d’ascension, on est en auto-gestion, précise Lorenne. Les guides font un check-up rapide tous les soirs mais il faut s’écouter soi en priorité car ils ont un peu tendance à pousser. Ils ont envie qu’on aille au bout, qu’on soit heureux et qu’on recommande leur agence. » Aussi, les jours 4 et 5, c’est « tranquillement » que les six amis rejoignent le dernier camp de base, à 4.752 mètres, attentifs au moindre signe de fatigue des uns et des autres.
2 minutes au sommet et 3 kg en moins !
Le jour 6 est sans aucun doute le plus dur de l’aventure : c’est l’ascension finale. Elle se fait de nuit (départ à minuit) et se déroule en deux étapes : un premier tronçon jusqu’à Stella Point (5.756 mètres), puis un second jusqu’à Uhuru Peak, le point culminant de l’Afrique. L’expédition nocturne tourne vite au cauchemar pour Lorenne qui fait une hypoglycémie. Elle ne s’alimente pas beaucoup depuis trois jours. Chaque pas lui demande un effort considérable. Elle puise dans ses ressources pour finalement atteindre le sommet « au mental » vers 7h00 du matin. « Paradoxalement, je n’ai pas trop profité de la vue. J’avais tellement mal à la tête qu’il me tardait qu’une seule chose : redescendre ! ». Tous sont d’ailleurs unanimes : c’est un peu plus bas, à Stella Point, qu’ils ont véritablement eu les larmes aux yeux. « C’est là que l’objectif est psychologiquement atteint. Il ne reste qu’une heure de marche, à peine. Dans nos têtes, c’est déjà plié ! ».
À 5.895 mètres, Lorenne et ses amis rebroussent donc vite chemin. Ils dorment quelques heures au camp de base, en journée, puis rechaussent les baskets pour dévaler encore un peu de pente. « C’est la journée de marche la plus longue », se rappelle la randonneuse. La descente finale s’effectue le jour 7, le coeur léger : « Les douleurs s’amenuisent. On réalise qu’on l’a fait, on est content, libéré et on a perdu 3 kg! (rires) ».
Un dernier conseil pour la route : pas d’ascension à l’improviste !
Ce que Lorenne retient de son expérience, c’est qu’il ne faut surtout pas s’aventurer sur le Kilimandjaro sur un coup de tête. Ce genre d’expédition nécessite d’être correctement préparée, notamment en terme d’équipements contre le froid. Elle conseille également aux aventuriers les moins sportifs de s’entraîner un minimum avant le départ. « L’altitude nous affaiblit déjà suffisamment. Si les jambes ne suivent pas, en plus, ça risque d’être très compliqué. » Résumons pour les personnes intéressées : acheter une bonne doudoune, suivre un programme sportif « accéléré » et booker un vol pour la Tanzanie. C’est parti !
LE SAVIEZ-VOUS ?
Le 16 septembre dernier, la Française Vanessa Morales a battu le record du monde féminin d’ascension du Kilimandjaro par la « Western Breach », une des voies les plus difficiles d’accès au sommet. Avec un aller-retour effectué en 9 heures 58 minutes et 49 secondes (environ 7h pour monter et 3h pour descendre par la voie « Mweka »), la traileuse amateure de Muret avait ainsi relégué à plus de 7 minutes le précédent record détenu par la Brésilienne Fernanda Maciel (10h06 en 2017). Malheureusement, son exploit n’a pas pu être homologué. En mettant son chrono « en pause » plusieurs fois pour venir en aide à son guide Ronald, victime de violents malaises, l’athlète de 36 ans savait que son temps ne serait pas valide. La déception, d’abord immense, a vite été compensée par les remerciements et les larmes de joie des proches de Ronald. Et puis, pour cette infirmière de profession qui cumule les records pour la Ligue française contre la sclérose en plaques, « ce n’est que partie remise ! ».