Le 14 janvier dernier, l’Olympique Lyonnais annonçait la grossesse d’Amel Majri, qui devient la première joueuse française en activité à attendre un heureux événement. Une annonce qui marque un tournant dans l’histoire du football féminin français. L’occasion de se pencher sur la question de la maternité dans le football pro. Un sujet sur lequel la France semble avoir un train de retard. PAR ARIS DJENNADI. Extrait du WOMEN SPORTS N°24.
L’annonce de la grossesse d’Amel Majri, milieu de terrain de l’Olympique Lyonnais, a eu l’effet d’une bombe dans le monde du sport français. Dans un communiqué, son club a expliqué que « la Lyonnaise continuera d’être suivie de près par le staff médical du club pour poursuivre sereinement sa grossesse et la rééducation de son genou gauche. Elle a été opérée en octobre dernier à la suite d’une rupture du ligament croisé antérieur et du ligament latéral externe. »
Amel Majri la pionnière
Amel Majri ne voulait pas dévoiler sa maternité par peur des réactions négatives dont elle aurait pu faire l’objet : « C’est une belle surprise pour moi. Le club a bien ré- agi, ils avaient le sourire. Au départ avec mon mari nous ne souhaitons pas en parler après je suis dans l’obligation vis à vis de mon club. Au début je le cachais, je rentrais mon ventre » a-t-elle expliqué au micro de Canal +. Finalement, le club ainsi que ses coéquipières ont pris la nouvelle avec beau- coup de plaisir ce qui a permis à l’internationale française de ne plus se « cacher », comme elle l’a expliqué dans une interview accordée à la chaine cryptée : « Le fait de savoir que mes coéquipières ainsi que mon club me soutiennent ça m’enlève un poids. Je suis en convalescence, je ne joue pas, maintenant je suis enceinte donc je me concentre sur ma grossesse mais aussi sur mon genou car j’ai tendance à l’oublier. » Pour rappel, en octobre 2021, Amel Majri s’est gravement blessée au genou. Comment analyser le communiqué de l’Olympique Lyonnais qui précise qu’il « mettra tout en œuvre pour accompagner sa joueuse durant les prochains mois » ? En effet, Amel Majri est actuellement blessée et en phase de rééducation de son genou gauche. Elle aurait donc été en arrêt même sans grossesse. Mais la coach principale de l’Olympique Lyonnais, Sonia Bompastor précise qu’il s’agit bien aussi d’un accompagnement de sa grossesse : « Avec le club, nous nous devons d’accompagner nos joueuses dans ce moment-là. C’est nouveau donc on expérimente même si l’on sait qu’il y a des petites modifications à faire. »
La FIFA met en place d’une loi pour protéger les joueuses
En 2020, la FIFA a pris une mesure pour protéger les joueuses de football durant leur grossesse. Ce nouveau règlement permet aux joueuses de bénéficier d’un congé maternité de 14 semaines, dont huit après la naissance de l’enfant. Durant cette période, elles percevront deux tiers de leur salaire. Toute joueuse pourra aussi « recevoir des conseils médicaux indépendants à intervalles réguliers ». À la fin de son congé maternité, les clubs devront « réintégrer » la joueuse, en lui fournissant « un suivi médical adapté » et lui permettre de s’occuper de son enfant dans les meilleures conditions.
Frédérique Jossinet, ancienne directrice du football féminin et de la féminisation du football au sein de la FFF, aujourd’hui vice-présidente de la commission du football féminin à l’UEFA, approuve cette prise de position de la FIFA car « elle va permettre aux joueuses de se sentir protégées vis-à-vis de leur club, qui peut être réticent à l’idée de se passer d’une joueuse pendant quelques mois. »
En Espagne, La Fédération royale espagnole de football a changé son règlement pour s’adapter à celui de la FIFA. Cette saison, les différents clubs pourront remplacer leurs joueuses enceintes, et ce, même si cela intervient hors des périodes de mercato. Pour cela, il faudra que les futures mamans fournissent un rapport médical délivré par deux médecins de la Mutuelle de sécurité sociale des footballeuses espagnoles, les équipes concernées devront alors demander à la Ligue espagnole l’autorisation pour les remplacer. Ce nouveau règlement stipule qu’une fois la grossesse terminée, la joueuse devra se soumettre à une batterie de tests afin d’établir si elle est en mesure de revenir sur le terrain.
Depuis le mois de janvier, une couverture en cas de maternité ou de maladie de longue durée a été incluse dans les contrats des joueuses évoluant dans le championnat d’Angleterre.
La grossesse un sujet tabou dans le football français féminin ?
Cette nouvelle réglementation de la FIFA et les nouvelles dispositions prises en Espagne ou en Angleterre nous laissent à penser que l’on est en retard en France sur ce sujet. Frédérique Jossinet analyse l’origine du problème : « C’est un sujet tabou dans le sport féminin en général et j’irai même beaucoup plus loin, c’est un sujet tabou dans toutes les entreprises qui ne sont pas forcément ou- vertes à ces sujets-là, tout comme les fédérations. J’ai entendu des propos extrêmement désobligeants sur des femmes enceintes où certaines personnes estiment qu’elles sont moins impliquées dans le travail, qu’elles ne seront pas toujours présentes au bureau, qu’elles feront beaucoup moins d’heures…. C’est un vrai sujet discriminant en France et le sport n’est qu’un reflet. C’est un problème de mentalité qui transpire via le sport même si aujourd’hui je trouve qu’il y a du change- ment notamment au sein des grandes entre- prises où l’on accompagne beaucoup plus les femmes enceintes. »
Dans les autres sports, comment cela se passe-t-il ?
En septembre 2021, les joueuses du championnat de France de handball ont signé une convention collective qui leur assure des droits en cas de maternité mais aussi de blessures. Une grande première dans le monde du sport féminin. Avec cette collection collective, une handballeuse professionnelle ne perdra plus un centime de salaire durant sa grossesse. Au-delà de la maternité, les joueuses auront également un salaire minimum, mais aussi une septième semaine de congés payés, comme dans le championnat masculin. Frédérique Jossinet estime que la mise en place de cette convention collective est « une solution qui marche plutôt bien, mais est-ce qu’il ne faut pas que le gouvernement et les différents ministères s’emparent de ce sujet ? Car on doit également trouver une solution qui permette aux joueuses qui le désirent de fonder une fa- mille durant leur carrière. »
L’Euro 2022 en bref
Le Championnat d’Europe féminin de l’UEFA 2022 en Angleterre débutera le 6 juillet 2022 à Old Trafford et se conclura par la finale dans le mythique stade de Wembley, le 31 juillet prochain. Seize équipes seront sur la ligne de départ se disputeront le titre européen.
Le tirage au sort de la phase de groupes :
GA : Angleterre, Autriche, Norvège, Irlande du Nord
GB : Allemagne, Danemark, Espagne, Finlande
GC : Pays-Bas, Suède, Russie, Suisse GD : France, Italie, Belgique, Islande
Trois questions à Fredérique Jossinet pour élargir le débat. COMMENT FAIRE PASSER UN CAP AU FOOTBALL FÉMININ FRANÇAIS ?
Triple championne d’Europe de judo, Frédérique Jossinet a dirigé le développement du football féminin au sein de la Fédération française de football (FFF) de 2014 à janvier 2022, et est depuis 2019 vice-présidente de la commission du football féminin de l’UEFA. Au-delà de la question de la maternité, elle interroge l’opportunité de basculer vers un statut professionnel, qui engloberait ces questions de couverture sociale.
Women Sport : La D1 Féminine ne dispose pas d’un statut professionnel. Est-ce que c’est un frein à la mise en place de mesures pour protéger les joueuses et, plus globalement, au développement du football féminin français ?
Frédérique Jossinet : La mise en place d’un championnat professionnel féminin n’amènerait-t-il pas plus de joueuses étrangères dans notre championnat ? C’est la question que l’on doit se poser. Aux États-Unis, en Angleterre et en Espagne, un championnat professionnel a permis une arrivée massive de joueuses étrangères, notamment certaines qui quittent la D1 Arkema pour rejoindre ces championnats-là. Cette situation profite à nos Françaises, qui ont plus d’opportunités. Mais cela nuit à notre championnat. Il ne faut pas faire d’entre deux : soit on met en place une vraie ligue professionnelle, soit on reste avec un championnat amateur où l’on axe le travail principalement sur la formation. J’estime qu’il faut faire un choix.
Un Euro se profile. N’est-ce pas le bon moment pour permettre au football féminin de passer un nouveau cap ?
Il y a plusieurs Euro, une Coupe du monde, des Jeux Olympiques… À chaque fois, on se dit que c’est le moment de passer un cap, mais pour cela il faut se donner les moyens. La FFF a fait beaucoup. Il y a eu une vraie prise de conscience, mais c’est encore loin d’être assez pour franchir ce cap.
Il y a eu une prise de conscience, le nombre de licenciées ne cesse de croître… qu’est-ce qu’il manque encore au football féminin ?
Il manque des titres ! Aujourd’hui, le football féminin est bien installé, c’est un «beau produit », il a une belle image, il y a de plus en plus de licenciées, de dirigeantes, d’éducatrices. Mais il manque un palmarès. Un Euro, une Coupe du monde ou des JO. Le foot féminin français doit briller comme le handball ou le basket !