Elle est la nouvelle star du basketball français, l’artiste des paniers. Après avoir brillé en France et en Europe avec Bourges pendant trois saisons, Marine Johannès est partie vivre son rêve américain aux États-Unis cet été. Recrutée par le Liberty de New York, une franchise WNBA, l’arrière de 24 ans a fait le show outre-atlantique avec son jeu spectaculaire et son talent inné. Elle revient dans l’Hexagone avec des étoiles plein les yeux et de nouveaux défis à relever. À commencer, peut-être, par prendre conscience de son statut.
Par Floriane Cantoro
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.14 d’octobre-novembre-décembre 2019
Pas de plages paradisiaques pour Marine Johannès cet été. Des paniers et des parquets, encore et toujours. Deux jours après la défaite des Bleues en finale de l’Euro-2019 face à l’Espagne, le 7 juillet dernier en Serbie (66-86), l’arrière française de 24 ans s’envolait pour les États-Unis. Quarante-huit heures plus tard, elle foulait déjà ses premiers parquets de WNBA, le championnat nord-américain féminin de basketball, sous le maillot du Liberty de New York. Une première sortie réussie pour la jeune « rookie » qui, malgré la défaite de son équipe face à Chicago, inscrivait 10 points, délivrait 3 passes décisives et captait un rebond en seulement 16 minutes, avant de reproduire la performance trois jours plus tard face aux championnes en titre de Seattle (7 points et 2 passes décisives en un peu moins d’un quart d’heure de jeu). Les débuts d’un été outre-atlantique studieux, donc, mais tellement excitant pour la « Frenchie » : « Jouer aux États-Unis, c’était vraiment un rêve. »
Elle fait sensation sur les parquets d’Euroligue au point d’être recrutée en WNBA
Née à Lisieux (Calvados) en 1995, Marine Johannès grandit les yeux rivés sur le basketball américain. Elle passe des heures entières à regarder les vidéos de ses joueurs NBA préférés parmi lesquels Michael Jordan – avec qui elle partage les initiales « MJ » et le numéro 23 en club -, Kobe Bryant, Jason Williams ou encore Stephen Curry. Le meneur des Warriors a d’ailleurs tellement influencé son jeu qu’elle est surnommée la « Curry à la française ». Joueuse d’instinct et virtuose technique, la jeune femme propose, comme son idole, un basket spectaculaire fait de nombreux crossovers (dribbles croisés), shoots à une main, tirs longue distance et autres passes dans le dos ! Un vrai show « à l’américaine » susceptible d’attirer les meilleures ligues du monde.
Lorsqu’elle est contactée par la franchise de New York en janvier dernier, Marine Johannès est en train de réaliser la meilleure saison de sa carrière avec Bourges, le club de basketball féminin le plus titré de France. L’arrière et ses coéquipières du « Tango » trustent en effet les premières places de la saison régulière de Ligue féminine (LFB), tandis qu’elles sont déjà qualifiées pour les play-offs de l’Euroligue. La veille d’annoncer sa saison estivale au Liberty, Johannès est même élue meilleure arrière de cette compétition continentale parmi les plus relevées de la planète ; elle sera également la seule joueuse européenne à figurer dans le Top 10 des meilleures marqueuses, monopolisé par les Américaines.
La seule joueuse européenne à figurer dans le Top 10 des meilleures marqueuses, monopolisé par les Américaines.
Un niveau de jeu qu’elle a su conserver jusque sur les parquets américains malgré une longue saison avec Bourges (vainqueur de la Coupe de France, demi-finaliste de LFB et quart-de-finaliste de l’Euroligue) et avec l’équipe de France (finale de l’Euro-2019).
À New York, la Française impressionne et gagne vite le coeur des supporters du Liberty. Sur place, elle retrouve la Canadienne Nayo Raincock-Ekunwe, sa coéquipière à Bourges, et la Franco-Américaine Bria Hartley, nouvelle arrière des Bleues. Deux repères pour la « rookie » qui prend rapidement ses marques dans « une ligue où il n’est pas toujours facile de faire sa place pour une joueuse européenne ». Elle, n’aura aucun mal à enflammer les salles de WNBA avec son style de jeu finalement assez local. En moyenne, sur ses 18 matchs disputés, la Française tourne à 7,3 points, 1,8 rebond et 2,5 passes. Elle est même allée jusqu’à inscrire 22 points face à Washington début septembre, son record ! Des statistiques plus que satisfaisantes pour Marine Johannès qui ne s’attendait pas à avoir autant de temps de jeu (18 minutes en moyenne par match). Une expérience incroyable que la Normande n’a quasiment pas vu passer. Il faut dire que le rythme aux USA n’est pas le même qu’en Europe. « J’ai l’impression qu’on n’arrête jamais là-bas. On se déplace beaucoup plus loin que dans le championnat français. On prend l’avion quasiment à chaque fois, on passe beaucoup d’heures dans les aéroports et les trajets sont longs. Même à domicile, finalement, c’est compliqué parce que notre salle du Westchester County Center est à plus d’une heure en voiture de notre logement. Du coup, on partait en bus après l’entraînement du matin, on passait l’après-midi dans un hôtel près de la salle pour se reposer, et on allait au match en début de soirée. » Malgré tout, elle aura « vu un peu de pays » et exploré un peu mieux New York jusqu’à l’élimination du Liberty aux portes des play-offs.
« Je joue mon jeu, c’est tout. »
Tout ceci, elle nous le raconte à son retour en France, début septembre. Après un long voyage, des retrouvailles familiales et une bonne nuit de sommeil. Difficile de trouver un petit créneau pour la presse plus tôt. Ou peut-être pas l’envie… « C’est vrai que les médias, ce n’est pas la partie que je préfère. Ce n’est pas un exercice qui est facile pour moi. » Et c’est là tout le paradoxe de Marine Johannès : une basketteuse étincelante qui fuit la lumière. Parler d’elle, se mettre en avant et commenter ses paniers les plus spectaculaires, très peu pour elle. Quand on lui parle des similitudes entre son basket et celui de Stephen Curry par exemple, elle hésite, perplexe, presque gênée d’être comparée à l’un des plus grands joueurs de l’histoire de la NBA : « C’est sympa mais je ne fais pas vraiment attention à tout ça. Je joue mon jeu, c’est tout. » Sur les réseaux sociaux, l’arrière française ne s’étale pas davantage. Un simple « retweet » du Liberty de New York pour officialiser sa venue dans le championnat de WNBA, et quatre photos sur Instagram pour conclure cette expérience américaine, modestement légendées « It was all a dream… ».
Un nouveau statut de leader chez les Bleues à assumer
Réserve ou manque de confiance ? Pour Nicolas Batum, certainement un peu des deux. Le capitaine de l’équipe de France masculine de basketball connaît bien Marine Johannès. Tous deux originaires de Lisieux, ils ont fait leurs débuts dans le même club de Pont-L’Évêque, à quelques années d’intervalle, et sont aujourd’hui les deux meilleurs ambassadeurs sportifs de la Normandie. « Au fil des années, je la trouve moins timide, confiait l’ailier des Charlotte Hornets à nos confrères de Ouest-France il y a quelques mois. Elle prend peu à peu conscience de son talent. Je suis fier d’elle, fier de son parcours (…) Ce n’est pas donné à tout le monde d’être un emblème. Marine a les aptitudes pour le devenir. Il faut qu’elle se fasse un peu violence. Je lui parle de temps en temps, j’essaye de lui faire comprendre que c’est incroyable ce qu’elle peut faire. », expliquait-il.
Le paradoxe de Marine Johannès : une basketteuse étincelante qui fuit la lumière. Les médias, très peu pour elle !
Le capitaine des Bleus aura sans doute l’occasion de renforcer son discours dans les mois à venir puisque Marine Johannès a signé pour trois saisons au LDLC ASVEL Féminin, un club présidé par Tony Parker et dont Batum est le directeur des opérations basket (voir ici). « Je trouvais le projet vraiment intéressant, commente-t-elle. C’est une très bonne équipe et elles l’ont prouvé l’an dernier en remportant le championnat. Elles ont déjà gagné sans Helena (Ciak, également recrutée par Lyon pour la saison, ndlr) et moi, donc c’est un vrai challenge d’arriver dans cette équipe et d’y apporter quelque chose en plus. »
En équipe de France, le défi est également de taille : les Bleues viseront, en février, une qualification pour les Jeux olympiques de Tokyo-2020. Lors de la dernière olympiade à Rio, Marine Johannès n’avait que 21 ans. Elle était la petite nouvelle de l’équipe. Pourtant, c’est précisément lors de cette compétition qu’elle s’était révélée au grand public, sur une action brillante face aux États-Unis en demi-finale : un crossover « stepback » (pas en arrière), suivi d’un superbe shoot à trois points qui avait mystifié la star du basket américain Maya Moore. Un geste « Johannesque » que les commentateurs de basketball ne manquent pas de rappeler à chaque apparition de l’arrière française en compétition internationale.
L’été prochain pourtant, si la France s’envole pour le Japon, elle n’aura plus le même statut. Elle ne sera plus la jeune qui impressionne mais la cadre que personne ne pardonne. Depuis le départ de Céline Dumerc en 2017, l’équipe de France féminine de basketball s’est trouvée un nouveau leader en la personne de Marine. Enfin sur le terrain, du moins… Reste à concrétiser ce statut en dehors des parquets et à assumer pleinement ce rôle d’ambassadrice du basket féminin tricolore. Pour cela, elle devra nécessairement accepter de s’exposer un peu plus dans les médias. Ce papier est sans doute un bon début. Petit à petit, l’oiseau fait son nid.
CARTE D’IDENTITÉ ET PALMARÈS
Née le 21 janvier 1995 à Lisieux (Calvados), Marine Johannès commence le basketball à 8 ans au club de Pont-L’Évêque, comme un certain Nicolas Batum. À 12 ans, elle rejoint Mondeville. Elle restera près d’une décennie dans le club normand où elle découvrira le milieu professionnel. En 2016, l’arrière d’1m78 est convoquée en équipe de France pour la première fois de sa carrière. La même année, elle signe pour trois saisons à Bourges, l’un des meilleurs clubs de basketball féminin de France (14 titres nationaux). Elle fait ses premiers pas en Euroligue avec cette équipe à seulement 21 ans, et remporte son premier titre de championne de France en 2018. En mars dernier, le Liberty de New York annonce que Marine Johannès participera à la saison 2019 de WNBA (de mai à septembre), mais après le Championnat d’Europe féminin de basketball (27 juin-7 juillet). Quelques jours plus tard, elle annonce sa signature, pour trois saisons, au LDLC ASVEL Féminin de Tony Parker.
Avec le Tango Bourges Basket :
- Vainqueur de la Coupe de France 2017, 2018 et 2019
- Championne de France LFB 2018
Avec l’équipe de France :
- Médaillée d’argent à l’Euro en 2017 et en 2019
Distinctions personnelles :
- Élue dans le 5 majeur LFB des saisons 2017-2018 et 2018-2019
- Élue meilleure arrière de l’Euroligue 2019 par les supporters