Un sexisme larvé se niche parfois dans les pratiques du journalisme. La manière avec laquelle nous, journalistes sportifs, appréhendons le sport au féminin n’est en effet que très rarement neutre et factuelle. Les « a priori » sur les femmes et les hommes sont présents dans nos commentaires. Via les médias, nous occupons un rôle particulier dans leur perpétuation. Identifions le problème pour mieux l’éradiquer.
Par Nicole Esteban
Il suffit de comparer les interviews de sportives et de sportifs pour comprendre la nature du problème. La « communication masculine dominante et stéréotypée » est hélas toujours à l’œuvre dans le commentaire sportif. On évoque souvent la sous-représentation médiatique du sport au féminin. Mais ce que nous allons pointer ici est plus grave : lorsqu’elles ont l’honneur des médias, les sportives sont trop souvent rappelées à leur condition de femme. C’est le problème de la « sexualisation » dans toute sa splendeur. Voici en 6 points, le décryptage de ces mauvaises pratiques.
Une comparaison au sport masculin quasi systématique
« La… au féminin »
Le sexe masculin et les références masculines restent les unités de mesure pour la description de performances sportives. Ils servent encore trop souvent de norme et de modèle pour décrire des personnes de sexe féminin. Lors des JO de Rio, le Daily Mail, a attribué le surnom de « Phelps au féminin » à Katie Ledecky, médaillée d’or du 400m nage libre. Ce titre a été repris par de nombreux médias.
… qui confine parfois à une insignifiance du sport féminin : « La femme de… »
L’insignifiance est le produit de plusieurs facteurs qui se combinent entre eux : sa sous-représentation médiatique, sa moindre valeur économique, ses liens avec l’amateurisme. Ces facteurs entrent dans une relation circulaire qui conduit, à l’extrême, à rendre la sportive invisible. Ainsi en couverture des Jeux Olympiques de Rio, un journal de Chicago titrait « Corey Cogdell, la femme du défenseur des Chicago Bears [équipe de football américain] Mitch Unrein, remporte une médaille de bronze ». Son nom disparaît même dans le tweet du journal.
Un passage au second plan de la performance pour la sportive
« Maman avant d’être championne »
Alors que dans le sport de haut niveau, toutes les ressources sont mobilisées autour de la recherche de la performance, on constate que médiatiquement le cœur du sujet du sport féminin se déplace en périphérie. Que ce soit dans le cadre d’une interview, ou de ce qui relève de la stratégie éditoriale des médias spécialisés, le territoire de communication dépasse, en ce qui concerne les femmes, le cadre purement sportif. Par exemple, les journalistes viennent régulièrement questionner la maternité des sportives. Les questions portent en apparence sur l’organisation alors qu’elles renvoient, en fait, insidieusement, au rôle séculaire de mère et son incompatibilité avec d’autres rôles sociaux.
Une tendance à la sexualisation des sportives
« Sportive et sexy »
La mise en image des femmes par les médias contribue plutôt à mettre à distance la performance pour privilégier une certaine image de la féminité, plus ou moins explicitement associée à l’érotisme. Les sportives sont affichées de manière à rappeler qu’elles sont des femmes « quand même », ce qui se traduit par le recours aux codes sociaux de la féminité les plus convenus comme les cheveux détachés, le maquillage, les ongles, les robes … Or, la sexualisation entraîne aussi l’objectivation des femmes.
Un renvoi de la sportive au rang de « personne ordinaire » ou bien encore infantilisée : « Montrez-nous votre belle tenue »
Explication : lorsque l’immaturité (historicité récente), l’insignifiance et l’amateurisme du sport féminin se combinent et sont transférés, sur la sportive elle-même. L’expérience vécue en 2016 par la tenniswoman Eugenie Bouchard, est assez éloquente. Interviewée à l’issue de son match, le journaliste n’hésita pas à lui demander de « tournoyer » devant lui pour faire admirer sa tenue. Prise au dépourvu, Eugenie Bouchard demande : « Tournoyer, comme faire une pirouette ? ». Et la jeune femme de s’exécuter, gênée.
Dans le sport, c’est la féminité qui est questionnée
« Forte comme un homme »
« Le sport a tendance à viriliser les femmes » : personne n’est exempt de cette croyance, entretenue à une époque par les médecins. Les journalistes perpétuent malgré eux cette vieille idée. Les médias tiennent une place centrale dans l’écosystème. Ils influencent la relation sport marques et la relation sport-consommateurs. Lutter contre les stéréotypes est un combat quotidien. Commençons dès demain matin, chers confrères, à gommer nos petites erreurs…
Bibliographie
Etude HAVAS Sport entertainment, ESSEC, 2013 Guide « Pour convaincre du bien-fondé des politiques locales d’égalité femmes-hommes », édité par le centre Hubertine Auclert
https://www.centre-hubertine-auclert.fr/
Stéphane Heas, Dominique Bodin, Luc Robene, Dominique Meunier et Jens Blumrodt, « Sports et publicités imprimées dans les magazines en France : une communication masculine dominante et stéréotypée ? », Études de communication [En ligne], 29 | 2006,
http://edc.revues.org/391 Philippe Liotard, « Corps, genre et médias », 2011