Tatiana Vassine est avocate au Barreau de Paris et associée au sein du cabinet RMS Avocats, spécialisé dans le sport. Depuis près de 10 ans, elle réalise des missions de conseil et intervient sur de nombreux contentieux dans le secteur du sport. La devise de cette ex-championne régionale de rugby : « Utiliser les règles de droit pour défendre les règles du jeu ».
Women sports : vous avez un passé de sportive, pouvez-vous nous en parler ?
Tatiana Vassine : J’ai pratiqué durant 10 ans en compétition au sein du Rugby Club Noisy le Sec, club historique du rugby féminin. C’est au travers de cette discipline que j’ai pu m’investir dans le monde du sport en tant que joueuse, entraîneur sur des collectifs de jeunes et parfois même arbitre. Autant dire qu’à l’époque, j’étais presque tous les jours au club et que ma vie était schématiquement séparée en deux temps : la journée, j’étais étudiante parisienne et foulais les chemins du jardin du Luxembourg pour me rendre à l’université, le soir et les week-ends, j’étais joueuse / entraîneur et foulais le terrain d’honneur boueux d’un club en Seine-Saint-Denis.
Comment êtes-vous venue à la profession d’avocate spécialisée dans le sport ?
Au bout de mes quatre années de droit, j’ai effectué un stage longue durée dans un cabinet d’avocats généraliste et j’ai découvert qu’il existait des masters en droit du sport. Cette découverte a sonné comme une évidence, le moyen de réunir deux parties essentielles de ma vie mais aussi de prendre une direction dans laquelle j’avais la conviction de pouvoir m’épanouir. Ce choix n’était pas facile car à l’époque, le droit du sport était assez confidentiel. Mais je n’ai pas hésité.
Aujourd’hui, vous êtes avocate spécialisée dans le sport mais aussi auteure de plusieurs ouvrages ….
Je perçois ma profession comme un véritable hub qui me permet d’accéder à de nombreuses directions dans lesquelles je peux mettre à profit mon expertise. Ainsi, j’écris le plus souvent possible et al terne entre les publications universitaires (Cahiers de droit du sport), les ouvrages (Lexifiche et Agent Sportif Guide Juridique Pratique), et des articles accessibles au monde sportif, qu’il soit professionnel ou amateur. Je consacre aussi une partie de mon temps à des commissions sportives où j’apporte ma vision juridique, ma vision du droit. J’interviens aussi dans des groupes de réflexion ou d’audit comme auprès de missions parlementaires ou du Conseil de l’Europe (EPAS). Et je réserve une partie de mon temps à la formation : je forme des directeurs de structures sportives ainsi que des étudiants dans des cadres plus informels. Par exemple, lors des cafés débats Supbarreau.
Quels sont vos meilleurs souvenirs en tant qu’avocate ?
Le fait d’avoir pu faire reconnaître l’existence d’un contrat de travail dans le sport alors que les juges y voyaient d’abord le simple exercice d’une activité loisir, permettre à des personnes injustement évincées d’élections de s’y présenter, alerter sur les risques de requalification en CDI du CDD pour les entraîneurs et sportifs il y a de ça une dizaine d’années (avant la loi sur le CDD sportif), participer à la rédaction de lois sur le sport, avoir pu faire condamner des clubs qui ne payaient plus leurs joueurs et les empêchaient de quitter le territoire ou a contrario avoir pu défendre des clubs dont les joueurs étaient partis au plus offrant.
Le juridique est de plus en plus prégnant dans le sport. Comment l’expliquez-vous ?
Le monde du sport est intrinsèquement lié à la notion de règles, et pour commencer à la règle sportive. En outre, le monde du sport se professionnalise et se responsabilise. Ce qui passe nécessairement par la mise en place et le respect de règles juridiques à même de lui faire gagner en sécurité et fiabilité. L’imprégnation du juridique est indispensable car le droit permet d’offrir des garanties d’équité, de loyauté, de confiance à ses pratiquants et supporters mais aussi et surtout de préserver la pratique sportive qui est fondée sur des valeurs comme l’absence de discrétionnaire, l’égalité, l’éthique qui doivent être protégées.
Vous avez ferraillé contre les instances du sport sur de multiples contentieux. Comment se porte le respect du droit du sport en France, de votre point de vue ?
Je n’ai pas pour habitude de faire de la langue de bois donc nous allons jouer cartes sur table. Je pense que le système a montré ses limites. Quand je vois des instances dirigeantes directement violer la loi en changeant des règles de sélection en pleine olympiade, des clauses discriminatoires votées dans leurs règlements, la violation des principes démocratiques, le sport professionnel qui peine à évoluer, à trouver un équilibre économique et à se faire une place sur la scène internationale, des individus coupables d’infraction exercer à des postes clefs, des sportifs représentants du sport français incapables de se payer des baskets ou de quoi manger, des décisions prises sur des considérations totalement subjectives, des détournements des règles de droit, des utilisations abusives du pouvoir discrétionnaire… quand je regarde ce qu’il se passe dans les coulisses, je vois que le droit n’est pas respecté et n’est pas appliqué. Certes, le tableau n’est pas tout noir, et il ne s’agit pas d’en dépeindre une vision uniquement pessimiste. Mais il y a beaucoup de choses qui mériteraient d’être revues.
Pourquoi ne parle-t-on jamais de sport lors des campagnes électorales, selon vous ?
Tout simplement parce que les politiques n’en ont pas fait un thème de campagne et le relèguent pour beaucoup au fait d’aller voir des matches, de se déplacer lors de grands événements sportifs. Or, on pourrait tout à fait envisager la mise en place d’une grande politique nationale du sport et l’utiliser comme levier pour atteindre des objectifs là où d’autres se sont révélés inefficaces, insuffisants ou inadaptés. Il existe déjà des dispositifs (notamment au travers du CNDS) mais je pense qu’ils pourraient être renforcés pour mener des actions d’éducation par le sport, améliorer la santé des Français par le sport, réinvestir des champs désertés et ce de manière globale.
Quelles sont les grandes réformes souhaitables dans l’univers du sport à vos yeux ?
Le dossier prioritaire serait celui de la gouvernance, pour ne pas avoir à contempler la marche du canard sans tête. En France, mais aussi à l’international, le modèle de gouvernance est fragile. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, le Conseil de l’Europe s’est penché sur cette question et développe des réflexions pour y remédier. Toutes les instances sont concernées par cette question. Les déboires de la FIFA et les scandales qui ont émaillé d’autres fédérations françaises nous l’ont prouvé. Il y a aussi le chantier des sportifs de haut niveau qui, bien que représentants de la France, bénéficient pour la majorité d’un statut précaire. Sans oublier celui du sport professionnel qui a besoin de se développer et de s’appuyer sur un modèle économique fort indispensable à sa présence sur la scène internationale.
Nous évoquons dans les colonnes de Women Sports la place des femmes dans le sport. Qu’en est-il de la place des femmes chez les avocats ?
D’après le rapport de Me Kami Haeri, les femmes représentent 55,1% de la profession en 2016. Mais le rapport d’activité du Conseil national des barreaux de 2015 pointe que le revenu moyen des femmes avocates sur toute leur carrière est de 51% celui des hommes ; et en 2016 seulement 17% des femmes sont associées dans des cabinets d’affaires, 83% restant collaboratrices. Il y a donc aussi du travail à faire dans le milieu des avocats…
Le parcours de Tatiana Vassine
Après un cursus juridique assez classique en se spécialisant dans le droit privé, puis dans le droit du travail (4 années de formation à Paris 2, Panthéon Assas), elle décide d’écouter son cœur et de suivre la formation de droit du sport à l’université d’Aix-Marseille, dont elle sortira major de sa promotion. En parallèle, elle passe l’examen d’entrée au CRFPA (examen d’avocat, Ndlr.) et entame un cursus au sein de l’Ecole de Formation au Barreau de Paris. Cela fait maintenant bientôt 10 ans que Tatiana Vassine exerce dans le secteur du sport, sur des missions de Conseil mais aussi de contentieux.