La pratique physique et sportive comme vecteur d’insertion professionnelle, sociale et familiale pour les jeunes femmes des territoires sensibles ou isolés : voici le postulat de l’appel à projets « Allez les Filles ! » de la Fondation de France. Les explications d’Aurélie Martin, responsable du programme « Sport Santé Insertion » du premier réseau philanthropique de l’hexagone.
PROPOS RECUEILLIS PAR FLORIANE CANTORO
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N°8 d’avril-mai-juin 2018.
• La Fondation de France est portée par la « volonté de construite un avenir meilleur ». En quoi l’appel à projets « Allez les Filles ! » entre-t-il dans cette ambition ?
L’appel à projets « Allez les Filles ! » a été créé en 2004. Il a pour vocation d’utiliser la pratique sportive au service de l’insertion, de l’émancipation et de la responsabilisation des jeunes femmes de 12 à 25 ans issues des quartiers populaires ou des milieux isolés, type campagnes. L’idée est qu’elles puissent transposer les valeurs du sport dans leur vie quotidienne (ex : dépassement de soi). Autrement dit, il s’agit d’utiliser le prétexte du sport pour lever les difficultés rencontrées par ces jeunes filles : décrochage scolaire, troubles du comportement alimentaire, violences…
• Les jeunes filles des quartiers populaires ne sont que 32% à pratiquer un sport (contre 51% en dehors de ces zones) et ne représentent que 2,9% des licenciées féminines françaises. Pourquoi ces taux sont-ils aussi bas ?
Dans ces quartiers, il y a un problème d’infrastructures certain : les équipements ont été pensés par des hommes, pour des hommes. Par conséquent, l’offre n’est pas aussi variée que dans les autres quartiers et ne correspond pas forcément aux envies de ces jeunes femmes. Sans vouloir en faire une généralité, on observe également que les créneaux horaires laissés aux jeunes filles sont soit très tôt le matin, soit très tard le soir ce qui pose un problème évident en matière de sécurité. Je pense qu’il y a aussi une certaine forme d’autocensure de la part de ces jeunes femmes et un manque de communication sur le panel d’offres sportives qui existent dans ces quartiers.
• Parmi ces femmes issues des quartiers populaires, l’appel à projet « Allez les Filles ! » cible plus particulièrement les jeunes.
À l’adolescence, les jeunes filles vivent une transformation de leur corps qui, souvent, s’accompagne d’une dégradation de l’estime de soi. Elles ont du mal à se montrer, mais également à montrer leurs capacités physiques. Par peur de se mettre en situation d’échec, elles s’interdisent de faire du sport. La tranche d’âge ciblée (12-25 ans) correspond également au moment des études : certaines consacrent plus de temps à l’apprentissage scolaire qu’aux loisirs.
• Selon vous, en quoi la pratique du sport peut-elle être un levier d’insertion professionnelle et sociale ?
Au-delà de la compétition et du loisir, le sport est un outil incroyable – au même titre que la culture – pour travailler d’autres dimensions telles que la reconstruction de l’estime de soi, la confiance, le respect des engagements pris… Avec « Allez les Filles ! », l’idée n’est pas de soutenir du sport pour soutenir du sport ; il y a déjà des fondations qui le font et qui le font très bien d’ailleurs. Nous, on essaie d’ouvrir le sport à un autre sens de sa pratique. Il s’agit de mettre en relation deux milieux professionnels qui ne se connaissent pas ou peu, pour créer des synergies, peut-être déconcertantes au début, mais formidablement efficaces lorsqu’elles sont associées. En agissant en complémentarité, l’intervenant sportif et le travailleur social peuvent véritablement décupler les effets du travail effectué sur ces jeunes femmes.
• Comment les projets « Allez les Filles ! » présentés à la Fondation de France sont-ils évalués et éventuellement subventionnés ?
Quand on diffuse l’appel (en général d’octobre à janvier), les porteurs de projets – des associations – ont trois mois pour nous déposer leurs projets. Chaque année, nous en recevons entre 200 et 300. Ils sont examinés par un jury d’experts indépendants et pluridisciplinaires : des sociologues du sport féminin, des personnalités de fédérations sportives, des géographes, des journalistes… Ils présélectionnent des projets qui partent «en instruction» c’est-à-dire qu’ils sont confiés à des personnes externes qui vont tenter de mieux les comprendre et de les affiner si nécessaire. Ces personnes rendent ensuite un rapport au jury final qui se prononce sur l’attribution de subventions. « Allez les Filles ! » est un appel à projets régionalisé : chaque antenne régionale de la Fondation de France décide du soutien financier des projets proposés sur son territoire. Depuis 2004, nous avons soutenu plus de 650 projets pour un montant de 3,9 millions d’euros. Aujourd’hui, nous aidons environ une quarantaine de projets par an sur tout le territoire, France et DOM-TOM.
• Pourriez-vous nous donner un exemple de projet qui illustre le programme « Allez les Filles ! » ?
Il existe une association, du nom de HEKA, basée près de Chinon dans l’Indre-et-Loire, qui utilise la pratique du cirque au service des jeunes filles en difficulté. Elles sont repérées par la conseillère principale d’éducation ou l’infirmière scolaire pour avoir une très faible estime d’elles-mêmes, une image de leur corps abîmée ou pour être particulièrement renfermées. Grâce au cirque, notamment aux exercices sur le vertige, elles travaillent sur des thèmes tels que le dépassement de soi, la reconstruction de la confiance… La pratique circassienne est systématiquement assortie de 20 minutes de groupe de parole animé par le directeur de l’association, un psychologue de formation diplômé des arts du cirque. C’est un projet que nous soutenons depuis des années : il a reçu un «Laurier» de la Fondation de France, récompensant son exemplarité.
• Vous êtes une experte de l’égalité hommes-femmes. Comment jugeriez-vous l’évolution de la thématique dans le milieu du sport ?
Les plans de féminisation mis en place par les anciennes ministres Najat Vallaud-Belkacem (Droit des Femmes) et Valérie Fourneyron (Sports) ont eu le mérite de questionner les fédérations sportives sur cette question. Aujourd’hui, elles semblent avoir saisi l’enjeu de développer la pratique féminine et de permettre aux femmes d’accéder aux instances dirigeantes. J’ai l’impression que les femmes, elles aussi, se préoccupent davantage de la question de leur place dans la société.
• Qu’est-ce que, selon vous, reste à améliorer sur la place des femmes dans le sport ?
La médiatisation du sport féminin évolue dans le bon sens mais il faudrait que davantage de médias se saisissent de la question notamment la presse généraliste et la presse jeunesse. Elles ont un énorme rôle de «modèle». Il faut mettre en valeur les sportives, les championnes, mais également tous les projets associatifs, les actions de proximité et de sport loisir. Si on médiatisait mieux ces initiatives locales à destination des femmes ou portées par des femmes, cela donnerait l’envie à d’autres de pratiquer ou de s’engager. À nous, Fondation de France, et à vous «médias», de leur montrer que tout est possible. Je suis persuadée que donner de la place aux filles, c’est donner de la place aux garçons. C’est ensemble qu’on arrivera à faire une société plus égalitaire, plus sociale et plus citoyenne.
AURÉLIE MARTIN en bref
Diplômée en droit humanitaire, Aurélie Martin se spécialise dans les violences faites aux femmes pendant les conflits armés. En 2008, elle intègre l’association «Aux Captifs, la libération» qui vient en aide aux femmes victimes de prostitution. Rapidement, elle décide d’utiliser le sport et la culture pour décupler les effets du travail effectué au service de ces femmes et les résultats sont flagrants. En 2012, elle intègre le ministère des Droits des Femmes de Najat Vallaud-Belkacem où elle est chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les domaines du sport, de la culture et de la communication. Depuis 2015, elle est en charge du programme « Sport Santé Insertion » de la Fondation de France, c’est-à-dire des deux appels à projets de la Fondation (« Allez les Filles ! » et « Sport et santé en milieu rural » qui utilise le sport au service de la santé, notamment auprès de femmes malades) et d’une vingtaine de fondations placées sous son égide qui oeuvrent également dans ce secteur du sport, de la santé et de l’insertion.