Il y a 10 ans, les femmes étaient en moyenne deux fois moins dopées que les hommes. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que l’affaire Maria Sharapova fait la une ? Nous avons enquêté. Nos découvertes sont étonnantes.
Enquête réalisée par Camille Journet et David Tomaszek
Sur le terrain du dopage, les femmes pouvaient s’enorgueillir de ne pas être à parité avec les hommes. Mais ça, c’était avant. Comme chez les hommes, elles sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers le poison magique. Pilules, injections, inhalation, transfusions sanguines, le dopage a plusieurs visages, c’est le pays de l’innovation. Sur ordonnance ou à la pharmacie, le meilleur fournisseur reste internet. Il suffit de taper quelques mots-clés pour trouver entre 10€ et 500€ le produit défendu. Cachés sous des sites sur « la performance sportive » ou à la vue de tous, ils sont faciles à trouver. Se fournir est un jeu d’enfant.
Omerta sur les chiffres
Les femmes sont-elles plus ou moins dopées que les hommes ? Impossible de répondre précisément à cette question. La dernière analyse publiée en la matière par l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) date de 2008. «Les sportives sont beaucoup moins fréquemment contrôlées positives que les hommes (1,7 % contre 3,5 %)», écrivait alors dans son rapport annuel l’instance en charge des contrôles antidopage en France. Comment ce ratio a-t-il évolué depuis lors ? Mystère. Aucun rapport officiel n’en fait état. Malgré nos demandes répétées auprès de l’AFLD et de l’Agence mondiale antidopage (AMA), nous n’avons pu obtenir les statistiques détaillées réparties par sexe. La réponse de l’AMA à notre troisième relance fut même cinglante: «The reports do not provide the information you are seeking.» Traduction: «Circulez, y a rien à voir!» Seule information complémentaire obtenue auprès de l’AFLD: en France, 24 femmes ont été contrôlées positives en 2015. Un chiffre équivalent à celui de 2007… mais en valeur absolue seulement. En effet, dans le même temps, le nombre de contrôles positifs d’hommes a chuté : 177 cas en 2007 contre seulement 96 en 2015. L’ordre de grandeur du nombre de contrôles et la répartition de ces contrôles entre hommes et femmes sont restés stables sur la période. Conclusion : la proportion de cas positifs chez les femmes a augmenté. L’échantillon est toutefois trop faible pour pousser plus loin l’analyse.
Les femmes sont-elles physiologiquement plus exposées ?
Contrôle urinaire, sanguin ou capillaire, à l’exception de certains produits « à seuil », comme les bêta 2 agonistes, il suffit qu’une substance soit détectée pour que l’athlète soit sanctionné. Les femmes sont-elles plus exposées que les hommes aux contrôles positifs sur certains produits ? Michel Audran, spécialiste du dopage et professeur de biophysique, nous éclaire. «A ma connaissance le seul type de dopage auquel la femme est plus sensible que l’homme est le dopage aux stéroïdes androgènes anabolisants, parce que ces substances ont toujours des effets secondaires «hormone masculine» dont certains peuvent persister chez la femme alors qu’ils disparaissent à plus ou moins long terme chez l’homme.»
Pour les autres produits, il n’y a aucune différence, «même pour un dopage à la testostérone» (ndlr : le taux de testostérone, chez un homme est 20 fois supérieur à celui d’une femme).
Précisons une différence de traitement entre les hommes et les femmes en matière de contrôles antidopage : deux hormones féminines (HCG et LH), sont contrôlées chez l’homme et pas chez la femme.
Quand la Belle se transforme en Gaston
Certains cas sont spectaculaires comme celui de Tammy Thomas, qui en quelques mois a triplé sa masse musculaire, a débuté une calvitie, a mué et s’est retrouvée avec une barbe ! La cause ? La prise de testostérone, une hormone masculine et des stéroïdes anabolisants qui modifient le corps féminin. Mais attention aux clichés: les autres produits dopants n’influent pas sur la morphologie féminine ou simplement le poids. Comme nous l’explique Michel Audran, «l’impact des substances dopantes sur la morphologie et la fécondité des athlètes féminines, est le fait de l’usage des stéroïdes androgènes anabolisants». En outre, l’état de la science est encore balcutiant en la matière. Après les Jeux olympiques de Londres de 2012, le Comité international olympique (CIO) a commandé au CHU de Montpellier une étude concernant quatre athlètes féminines. Le résultat fut étonnant. Ces jeunes femmes ne se dopaient pas : elles possèdent un chromosome Y, qui est normalement l’apanage des hommes ! Elles sont considérées comme des femmes, mais ont les capacités physiques d’un homme. Les contrôleurs eux-mêmes s’y perdent !
Les conclusions de notre enquête qui s’est poursuivie dans le monde amateur sont déroutantes. Les cas de dopage de sportives sont en augmentation, mais dans une proportion inconnue. Une chose est sûre, depuis l’affaire Sharapova, les ventes de meldonium ont explosé !
Ces affaires de dopage féminin qui ont marqué le monde du sport
Maria Sharapova et l’affaire du meldonium
Marion Jones et l’affaire Balco
Martina Hingis a franchi la ligne blanche
Ekateríni Thánou n’a jamais été condamnée
Rebeca Gusmao, la multi-récidiviste