Anaëlle Angerville, 31 ans et 57 kg, c’est une femme hyper avenante et d’une niaque d’enfer. On dirait pas comme ça, mais c’est avec ce profil qu’elle est devenue championne internationale de boxe thaï et K1 rules. Et nous chez Women Sports, on aimerait bien savoir comment ça se passe dans la tête d’une sportive de combat, qu’est-ce qui se construit dans son cerveau sur le ring pour garder le dessus, pour ne pas se laisser gagner par les émotions… Alors on est allé la questionner sur sa pratique pour mieux comprendre. Rencontre.
Par Léa Borie
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N°18 de octobre-novembre-décembre 2020.
Nous nous retrouvons dans un « bar à jus » lyonnais à la fin de l’été. A peine installée en terrasse, éveillée par la curiosité et le soleil piquant, Anaëlle Angerville trépigne déjà d’impatience à l’idée de nous parler de son projet de salle de boxe à naître à l’automne. Il nous faut quelques minutes à peine pour saisir son caractère bien trempé de fonceuse ! Le sport a toujours fait partie de son processus, c’est pour avancer dans sa vie qu’elle a misé sur la pratique sportive. « J’ai toujours essayé d’apaiser les conflits. Du fait, j’absorbais beaucoup de choses. Il m’a fallu apprendre à me défendre pour évacuer ». Donner coup pour coup et se sentir soulagée ? Certainement pas. « Mettre un coup à une personne qui ne t’a rien fait demande que chacune soit consentante. » Selon elle, c’est un exutoire qui permet de sortir les choses négatives, pour être plus ouverte aux autres. Ses atouts ? L’écoute et la vigilance.

Gérer son mental, celui de l’adversaire, du manager, du public
« On ne monte pas sur le ring pour participer, mais pour gagner. Passer en compétition nécessite de se questionner : « Qu’est-ce que je vaux sur un ring ? » C’est aussi une sphère où tu seras jugée, « Est-ce que je vais pouvoir supporter cette charge supplémentaire ? » Cette charge-là, le coach est là pour l’absorber, et aider la boxeuse à être focus sur son jeu de frappes. C’est Dominique Poulet qui accompagne Anaëlle au club lyonnais Lion Thaï, son « deuxième papa » depuis 2014.
« Quand je monte sur le ring, c’est aussi pour lui, comme pour le remercier ». Il faut dire qu’elle met en avant beaucoup de bienveillance de sa part. « Il fait attention à mon intégrité physique et sait me dire stop si je ne suis pas assez préparée. » Pour ça, son coach connaît tout d’elle, il a eu besoin de ça pour adopter et comprendre sa manière de faire. Il sait comment lui parler, comment la booster. Et pas forcément avec les mots qu’on attendrait… Il en est de même des coaches du staff de l’équipe de France. Lors d’un combat en compétition à l’international, l’un d’eux l’a piquée au vif : « Je perdais au 1er round d’un match. Mon coach arrive, et me lance ‘‘Tu perds Anaëlle ! Tu perds !’’. Ça a créé un déclic pour inverser la tendance jusqu’à ma victoire. »
Gestion des émotions : ne pas se laisser gagner par l’émotion, jouer avec
Pour Anaëlle, c’est un sport qui se vit beaucoup dans l’émotion, dans lequel beaucoup d’éléments extérieurs peuvent jouer, une séparation, un conflit avec des proches… Pourtant, c’est aussi ce décor qui fait sa force. De nature très optimiste, souriante, elle partage ses « good vibes » à longueur de journée. C’est comme ça qu’elle explique puiser son énergie, sa confiance malgré des défaites. Pour autant, la boxeuse n’a encore jamais connu de KO. Ce qui reste pour elle sa grosse défaite remonte à 2016, en boxe anglaise. Blessée à l’arcade, la vue empêchée, elle se souvient n’avoir pas pu se défendre : « J’ai perdu aux points car je n’ai pas pu m’exprimer ». Malgré tout, elle retient la performance d’avoir pu finir le combat dans ces conditions. Et ce genre d’expériences n’a fait que décupler son envie de se surpasser, et affirmer sa détermination.
Rester positive : la stratégie du verre à moitié plein d’Anaëlle Angerville
Anaëlle décortique les forces et faiblesses de son adversaire, pour se positionner et tenter de tirer son épingle du jeu, même si de prime abord, elle aurait pu s’avouer vaincue par un niveau au-dessus du sien. Son mot d’ordre : « Ne jamais se laisser impressionner et aller au bout du combat (…) Même si une adversaire a des points forts, je me demande comment imposer mon style pour gagner mon combat. Parce que oui, techniquement, elle est supérieure à moi, mais j’ai un tas d’autres arguments à lui opposer. Ce qui peut déstabiliser en face : l’adversaire ne saura pas me gérer, et c’est comme ça que je saurai m’imposer. Au lieu de me laisser démonter, je vais renverser la situation pour prendre confiance en moi ». Dans ce genre de combat, c’est cette sensation d’adrénaline qu’Anaëlle aime avant tout, cette force, cette faim. C’est d’ailleurs parti de là son envie de faire des compétitions. « Je me suis dit que je voulais revivre ça toute ma vie ! »
Gérer les défaites fait partie du jeu
Son mental ne l’a jamais lâchée. Elle se souvient d’un combat avec une Russe. « Au 2e round, ma tête est là, mon corps n’y est plus. Au 3e round, j’avais littéralement plus de jus. Une baisse d’énergie hyper dure à gérer car mon mental en voulait encore… Heureusement, je n’ai pas le temps de m’arrêter sur ces défaites. » Et cet aspect lui sert dans sa vie de tous les jours. Un esprit de combattante.

Bee fight center, une nouvelle salle de boxe
En janvier 2021, avec deux associés, Anaëlle Angerville ouvre une salle de boxe à Chazay-d’Azergues (69). Le concept : faire appel à des intervenants ponctuels pour permettre aux pratiquants de se révéler. Avec une valeur clé : que chacun.e ait sa place. Lucie Garmier, préparatrice mentale spécialiste en sciences cognitives appliquées, interviendra notamment pour accompagner les boxeurs dans leurs performances et faire le lien avec leur vie professionnelle, à travers divers ateliers.
Remerciements :
- Merci à Anaëlle Angerville pour sa bienveillance et son implication,
- et à Philippe Ribière, photographe, pour ses clichés forts et prenants.