Dans la série « Sportives de Haut Niveau avec beaucoup de neurones » , je demande Astrid Guyart ! Pour celles et ceux qui découvriraient cette athlète de 33 ans, son profil est pour le moins atypique. Escrimeuse, médaillée d’or à la Coupe du monde 2015 de Gdansk en Pologne, médaillée de bronze par équipes aux championnats du monde en 2016 à Rio de Janeiro, 4ème aux JO de Londres… elle est aussi ingénieure aérospatiale chez Airbus ! Rencontre. ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CLAIRE DAUTREMENT
«J’ai un parcours d’ingénieure spécialisée en aéronautique et aérospatiale (diplômée de l’EPF, Ndlr.). Je travaille actuellement chez Airbus Safran Launchers. J’ai commencé en tant qu’architecte de véhicules spatiaux. Cela pouvait aller de la conception de la future fusée Ariane 6, à des modules martiens, ou encore des véhicules chargés de retirer les débris en orbite. Depuis le retour des JO, je manage une équipe de 20 personnes chargée de définir la façon de produire les structures métalliques qui décollent sur la fusée Ariane 5 chaque mois. », confie l’escrimeuse avec une humilité hors du commun. Partagée entre l’INSEP où elle s’entraîne et Airbus, où elle officie également en qualité de Black Belt Coach, Astrid Guyart avoue que les semaines se suivent et ne se ressemblent pas. « L’organisation journalière est parfois complexe et mon emploi du temps est un vrai tetris ! Il m’arrive de passer la moitié de mon temps à Vincennes, l’autre sur mon lieu de travail. Avant les Jeux, logiquement, c’est l’INSEP qui a primé mais en ce moment, je suis en 3/5e de temps chez Airbus. »
Deux jours par semaine pour s’entraîner avec un statut de sportif de haut niveau, est-ce suffisant ? « Non, soyons clair. C’est peu. Je suis athlète à moins d’un mi-temps. C’est bien le problème. Escrimeuse n’est pas une profession. Impossible d’en vivre aujourd’hui. J’ai la chance d’avoir un métier qui me passionne et un employeur qui me laisse suffisamment de liberté pour m’adonner à mon sport. Pendant les JO, je suis soutenue, encouragée. C’est une chance. Pour autant, sans sponsor, il est difficile d’envisager l’avenir sereinement et de se projeter sur de futures olympiades. »

Quand on l’interroge sur les raisons de cette absence étonnante de sponsor (hors équipementier), Astrid Guyart affiche un certain pragmatisme. « Je pense que les marques sont plus sur l’image que sur le contenu. Et comme je refuse de jouer le jeu de la sexualisation du sport féminin et du raccourci, « sport féminin = sport sexy », je ne suis peut être pas la candidate idéale. Mais que puis-je y faire, je ne sais pas me travestir pour de l’image. Je pense même que sur le long terme, ce n’est pas tenable de jouer un rôle qui n’est pas soi. » Voilà de quoi douter. D’ailleurs, le doute, c’est un sentiment avec lequel l’athlète a appris à composer au quotidien. « Je pense que tout sportif de haut niveau y est confronté durant sa carrière. Après ma 4e place aux Jeux de Londres, je ne savais plus si je voulais poursuivre jusque Rio. Par chance, un mois après, je me suis rendue au Centre Spatial Guyanais à Kourou. Et, pour une raison que j’ignore, mon premier réflexe a été de me rendre dans un club d’escrime à peine sortie de l’avion. L’accueil des enfants escrimeurs a été bouleversant, émouvant… J’ai retrouvé dans leur regard la fl amme qui m’animait à mes 5 ans et qui m’a amenée à devenir sportive de haut niveau. Le plaisir que j’associe à la discipline. J’ai su à cet instant précis pourquoi j’irai au Brésil. »
Le plaisir. Un mot qui résonne dans la vie d’Astrid Guyart. « J’aime mon travail. Tout comme j’aime mon sport. Je n’ai jamais pu envisager de vivre sans passions. C’est amusant d’ailleurs car en assistant au décollage d’Ariane 5 en 2012, j’ai éprouvé un sentiment d’une rare intensité. Le sol s’est mis à trembler. Il faisait nuit, et d’un coup, l’incroyable luminosité des fl ammes éjectées par les propulseurs de la fusée a transformé l’obscurité en jour. Je n’avais jamais ressenti ça auparavant… hormis au moment de monter sur une piste olympique. Les similitudes entre ces deux univers sont grandes. Le sport de haut niveau permet de s’exprimer et de révéler son potentiel pour le mettre au service d’un objectif. Dans mon métier, comme dans beaucoup d’autres, c’est la même chose. »
La question qui nous taraude : Astrid Guyart enfilera-t-elle sa tenue d’escrimeuse lors des prochains JO ? « Pour l’heure, je n’en ai aucune idée. Il est encore trop tôt pour se prononcer. Je prends les choses comme elles viennent. Je vis au jour le jour. Quoi qu’il en soit, 2020 sera forcément intense pour moi puisqu’en même temps que les JO de Tokyo, il y aura également le premier décollage de la fusée A6…» Gageons que la championne poursuive encore longtemps ce double parcours, qui lui a permis de recevoir en 2015 le trophée « Sport & Management de la meilleure reconversion professionnelle ».