En 1998, elle signait le record d’Europe du 100 mètres en 10 secondes 73. Une performance qui reste à ce jour inégalée. Vingt ans plus tard, Christine Arron a rangé pointes et dossards. Pour Women Sports, la reine du sprint revient sur sa brillante carrière, avant d’être notre coach exclusif pour une petite séance de running !
PROPOS RECUEILLIS PAR FLORIANE CANTORO
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N°8 d’avril-mai-juin 2018.
Dans la même thématique, lire également notre cahier pratique On reprend le running, avec Christine Arron.
• Pourquoi l’athlétisme : un hasard de la vie ou un rêve de petite fille ?
J’ai grandi en Guadeloupe, dans de grands espaces et entourée de beaucoup de garçons. On faisait du football, on grimpait aux arbres… J’ai toujours aimé me dépenser. À 9 ans, j’ai commencé le karaté. Deux ans plus tard, au collège, on a fait une séance de sprint, un jour, en cours de sport. J’ai battu les filles… et les garçons ! C’est à ce moment-là que j’ai constaté que je courais vite. Mon professeur d’EPS m’a conseillée de m’inscrire à l’athlétisme. C’est comme ça que l’aventure a commencé.
• Qu’est-ce qui vous a plu dans ce sport et plus précisément dans le sprint, votre spécialité ?
J’adorais aller à l’athlétisme, il y avait une bonne ambiance. J’avais 11 ans, j’y allais avec des copines, c’était convivial. J’aimais beaucoup le goût de l’effort aussi, me coucher épuisée avec la sensation que mon corps avait bien travaillé. Au début, j’ai touché un peu à tout : longueur, javelot, disque, hauteur, longues distances… Mais j’aimais particulièrement la vitesse et mes chronos étaient bons donc je me suis naturellement tournée vers le sprint.
• Comment s’est passée votre arrivée en métropole, à 19 ans ?
J’ai eu cinq années très difficiles en arrivant à l’INSEP. Tout était trop rapide pour moi ici alors que j’aime bien prendre mon temps. Je manquais d’espace, j’avais l’impression d’être en prison. J’avais un entraîneur particulier qui n’écoutait pas les avis des médecins. Je suis rentrée dans un cycle infernal de blessures pendant deux ou trois ans, ce qui m’a obligée à faire un passage sur 400 mètres, une distance que je détestais ! Psychologiquement, c’était dur. J’ai ramé. Mais je me suis aussi forgée un mental. Progressivement, je suis retournée au sprint. J’ai commencé tout doucement à émerger en 1996 et j’ai participé à mes premiers Championnats du monde en 1997.
• À quel moment avez-vous commencé à rêvez de Mondiaux, de JO… ?
J’étais venue en métropole pour m’entraîner, sans forcément penser aux grandes compétitions. J’ai eu un déclic vers 21 ans : j’ai décidé d’apprendre à courir. Parce que je courais vite certes, mais je courais mal. Comme tous les enfants, je courais en cycle arrière, c’est-à-dire quand on se botte les fesses (rires). J’avais pour objectif d’apprendre à courir en cycle avant. Je me suis prise de passion pour la technique de course et l’athlétisme à ce moment-là. Et je suis devenue très perfectionniste.
• En 1998 vous devenez championne d’Europe du 100 mètres, une distance dont vous détenez le record d’Europe depuis ce jour (10 secondes 73). Est-ce le plus beau souvenir de votre carrière ?
Oui c’est le moment où je me suis révélée, où je maîtrisais ma vitesse, ce pouvoir d’accélération tellement subtil et difficile à avoir pour un sprinteur. C’est à cette époque que j’ai rencontré l’ivresse de la vitesse pure. Il y a eu d’autres bons moments aussi notamment mes deux premières médailles mondiales en 2005 sur 100 m et 200 m, et le titre de championne du monde à la maison en 2003 au relais 4 x 100 m.
• À quel moment avez-vous mis un terme à votre carrière ?
J’ai officiellement annoncé ma retraite en 2012, quand j’étais enceinte de ma fille. Mais j’avais quand même dans l’idée de reprendre derrière. Mon objectif était de courir à 40 ans après deux grossesses. Aussi, j’ai recommencé à m’entraîner en 2014. Mais j’avais de gros problèmes de hanche qui m’empêchaient de passer un cap de vitesse. J’étais prise dans les blessures, les soins, je me fatiguais inutilement… J’ai vraiment arrêté en août 2015 voyant que de toute façon, je ne pouvais pas atteindre mon objectif. Ça a été compliqué au départ mais maintenant, la page est tournée.
• Quelle a été votre réaction en découvrant le système de dopage généralisé mis en place en Russie, notamment dans l’athlétisme ?
Je n’étais pas vraiment surprise. On savait bien que dans certains pays, le dopage était étatisé depuis un moment. Ça a toujours existé et ça existera toujours. D’autant que les instances sont complices. On l’a vu notamment avec la Fédération internationale d’athlétisme et la corruption de certains de ses hauts responsables. J’ai subi le dopage toute ma carrière. Ça m’a toujours révoltée mais qu’est-ce que je pouvais faire ? J’ai fait avec.
« Personne ne m’a jamais proposé de produits dopants »
• On a l’impression que l’athlétisme est gangrené par le dopage…
Le dopage a un temps d’avance sur les contrôles. Il y a une lutte antidopage mais il y a aussi des gens qui travaillent pour le dopage. Ce qui compte c’est l’argent, le business. Le système pousse les athlètes à se doper. On fait un sport-spectacle : il faut toujours courir plus vite, sauter plus haut, faire un record… sinon les gens s’ennuient. Après, je pense que c’est aussi beaucoup une question de personnalité, d’éducation, de conscience. De toute ma carrière, personne ne m’a jamais proposé de produits dopants. Jamais. Pourtant, il y en avait partout autour de moi.
• Avez-vous le sentiment d’avoir été flouée au cours de votre carrière ?
Oui beaucoup. Pendant des années, j’étais celle qui terminait derrière Marion Jones. Elle m’a fait de l’ombre une bonne partie de ma carrière et ce n’est qu’à la fin, quand même, qu’on a compris qu’elle se dopait. Mais ce n’était pas une surprise pour moi. Quand je regarde toutes les filles qui se sont dopées et que je reprends toutes les finales des Mondiaux auxquelles j’ai participé, je me dis que j’aurais peut-être dû avoir plus de médailles.
• C’est une des raisons pour lesquelles vous êtes fermement opposée à la remise à zéro des records d’Europe proposée par le Fédération européenne ?
Ce serait une double sanction en effet. Le record d’Europe, j’ai sué pour l’avoir. Cette remise à plat des compteurs, il aurait fallu la faire il y a bien longtemps ! Aujourd’hui, par exemple, je me demande quelle femme bionique va pouvoir battre le record du monde du 100 mètres : 10’49 !! [ndlr : Il est détenu depuis 1988 par l’Américaine Florence Griffith-Joyner qui, malgré de très fortes suspicions de dopage, ne fût jamais contrôlée positive]. Le faire en 10’60 me paraît possible et raisonnable. En dessous, ça commence à être exceptionnel. On est des humains, on n’est pas monté sur ressort.
• Aujourd’hui, quel est votre rapport à l’athlétisme, à la course à pied ?
Pour le moment, ce n’est pas ma priorité parce que je dois assurer ma reconversion entre mes séances de coaching en entreprise et mon poste à la fédération où je suis chargée de mission Athlé Santé Loisir en entreprise. Mais j’essaie de ne pas dépasser les 15 jours sans rien faire. De temps en temps, je fais des séances en côtes, des escaliers, des 100 m, de l’électro-stimulation, du renforcement musculaire et des étirements. Des choses ludiques qui bougent. Je fais rarement des footings de 30 minutes. Courir longtemps, je n’ai jamais aimé ça.
CHRISTINE ARRON, en 10 dates
13 septembre 1973 : Naissance aux Abymes, en Guadeloupe.
1984 : Première inscription dans un club d’athlétisme.
1989 : Championne des Caraïbes des moins de 17 ans sur 100 m aux Califat Games.
1997 : Première médaille mondiale à Athènes avec le bronze au relais 4×100 m.
19 août 1998 : Championne d’Europe du 100 m à Budapest avec un chrono record de 10 secondes 73. Cet actuel record d’Europe fêtera ses 20 ans cet été.
2003 : Championne du monde du 4×100 m au Stade de France de Saint-Denis.
2004 : Médaille de bronze aux Jeux Olympiques d’Athènes au relais 4×100 m.
2005 : Deux premières médailles mondiales individuelles à Helsinki avec le bronze sur 100 m et 200 m.
13 juillet 2012 : Chevalier de la Légion d’honneur.
2015 : Fin de carrière.