Parfois, il faut tout désapprendre pour réapprendre à vivre. Marine Boyer, longtemps figure incontournable de la gymnastique française, s’est lancée un défi singulier : apprendre un nouveau sport. Non pas pour fuir la gym, ni pour panser les plaies d’un rêve olympique inachevé, mais pour s’explorer autrement. De la poutre à la perche, l’histoire d’une renaissance et d’un saut intérieur aussi spectaculaire que ceux qu’elle apprend, encore, à maîtriser…PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS N°37.

« J’avais besoin de voir autre chose. J’ai passé ma vie dans la gym. » Marine Boyer ne tourne pas autour du sujet. À 24 ans, celle qu’on identifiait systématiquement comme «Marine la gymnaste» est en quête d’autre chose, d’un souffle nouveau. Il ne s’agit pas d’un renoncement, mais d’une réinvention. Après l’échec collectif des Jeux de Paris, où la France n’a pas été à la hauteur des attentes, Marine refuse que ce chapitre clos soit son dernier.
« Je ne voulais pas finir sur un mauvais souvenir. Ce n’était pas une fin prévue, mais j’avais besoin de faire une pause, de respirer. » À ce moment précis, c’est Martine, son ancienne entraîneure, qui lui glisse l’idée du saut à la perche. « Elle me disait qu’il y avait pas mal de jeunes qui s’y mettaient, surtout des anciens gymnastes. Alors je me suis dit, ‘vas-y, je teste’. »
Apprendre à courir, « accepter d’être nulle »
Dans cette décision se cache un pari vertigineux : tout recommencer. Et d’abord, courir. « C’est bête à dire, mais on ne court pas vraiment en gym. Pas comme en athlétisme. Nous, on est en pointe. Là, il faut courir en flex. C’est un monde d’écart. » Et puis il y a la perche. « Apprendre à courir avec une perche dans les mains… c’était une galère pas possible. Je pensais me rétamer à chaque foulée (rires).»
Marine, pourtant aguerrie aux disciplines les plus exigeantes, se retrouve à réapprendre les fondamentaux du mouvement. « C’est accepter d’être nulle. De tout rater. De recommencer vingt fois. Mais sans pression. Sans enjeu. Juste pour le plaisir. Et ça, ça change tout.»
Elle se décrit comme une élève appliquée, mais parfois tremblante. « Honnêtement, au début, j’avais peur d’aller à l’entraînement. J’angoissais un peu de planter la perche dans le butoir. Et franchement, c’est difficile d’aimer un entraînement quand on a peur. » Cette peur, elle l’affronte, patiemment. « Accepter d’avoir peur pour pouvoir avancer, c’est exactement ce que j’ai vécu, et aujourd’hui ça va bien mieux.»
« Je ne suis plus juste Marine la gymnaste »
« C’est génial de ne plus être considérée comme une athlète de haut niveau, mais juste une fille qui apprend un nouveau sport. » Il y a chez Marine une légèreté qu’on ne lui connaissait pas dans le cadre olympique. « Je ne me réveille plus avec la boule au ventre. Ça peut paraître banal, mais c’est énorme. J’ai vécu avec une pression constante. Celle de la performance, du poids, du physique, des objectifs. Et soudain, tout ça n’existe plus. Je fais du sport pour moi. »
Ce nouveau quotidien, fait d’un entraînement par jour, d’un peu de travail personnel, de projets à côté, l’a rééquilibrée. « Je peux respirer. J’ai retrouvé du plaisir. Et j’ai découvert qu’on peut aimer s’entraîner sans chercher à tout prix la performance.»
Elle progresse vite. « Aujourd’hui, je cours avec la perche. Je n’ai plus peur. Je mets la perche dans le butoir, je soulève mon corps, je passe au-dessus d’un fil. Même si je me suis un peu blessée dernièrement et donc dû stopper pour le moment, je progresse bien. »
Une transition sans reniement
Mais la gymnastique n’est pas loin. « Je ne l’ai jamais dit officiellement, mais je n’ai pas arrêté. Je suis en réflexion. Tant que je ne dis pas que c’est fini, c’est qu’il y a peut-être une envie de continuer. Mais il faut que mon corps suive. Et surtout que ma tête soit prête.»
Marine parle d’un monde en crise, d’une fédération fragilisée, d’un système qu’elle a vu se fissurer. « Juste avant les Jeux, notre entraîneur a été écarté pour des accusations très graves. Il y avait une guerre d’égo entre entraîneurs. On a pris les impacts. Et ça a explosé aux Jeux. » Il fallait donc une pause. Une vraie. Pour panser les blessures, physiques et mentales. « C’est une reconstruction. »
Faire place aux suivantes
Et dans cette pause, Marine crée. Elle lance un stage de gymnastique qui refuse les anciens dogmes. « On y parle nutrition, préparation mentale, estime de soi. On aide les jeunes à comprendre que leur corps va changer, et que c’est normal. On les pousse à s’aimer. Parce qu’en gym, on est en justaucorps. Tout se voit. Et tout se juge. »
Le projet cartonne. Complet en deux semaines. « Ça m’a touchée. Je me dis que j’ai peut-être un rôle à jouer pour que la prochaine génération vive mieux que nous. Ça me donne envie de recommencer. »
Et maintenant ?
Elle continue à apprendre, à se découvrir. À vivre autrement. Elle n’a aucun regret. « Je ne sais pas pourquoi j’ai flashé sur la perche. Mais j’ai adoré. Je n’ai pas eu envie d’essayer autre chose. Je veux voir jusqu’où ça me mène.»
Juste avant les JO 2024, la Réunionnaise se voyait bien dans la mode, entrain d’habiller d’autres athlètes « Trouver un bon flow, un équilibre. » Une chose est sûre, elle ne restera pas les bras croisés.