Le Vendée Globe. Un nom qui fait rêver les marins du monde entier. Une course mythique, rassemblant courage, ténacité et une touche d’adrénaline pure. Le 8 novembre 2024, Justine Mettraux, navigatrice suisse de 35 ans, se lançait dans cette épreuve redoutée, marquée par la promesse de solitude, de tempêtes et de conquêtes. Une première participation. Une première entrée triomphale dans l’histoire de la course. Récit d’un parcours semé d’embûches et de records. PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS N°36.

Se préparer pour le Vendée Globe n’est pas qu’une question de talent. C’est un travail colossal qui commence des mois, voire des années avant le grand départ. Justine le sait : « Il y a tout un processus de qualification qui est demandé par l’organisation. Il faut participer à un certain nombre de courses, finir des transatlantiques, pour prouver que le bateau et le skipper sont prêts à prendre le départ. » Un marathon d’épreuves qui forge la force mentale. « Moi, j’ai terminé toutes les courses auxquelles j’ai participé, sans souci », ajoute-t-elle, la voix sereine. Une formalité quoi.
Côté équipement, c’est un peu différent : « On espère surtout ne pas être passé à côté de quelque chose », confie Justine, qui admet que cette inquiétude de l’inconnu est omniprésente. La nourriture, les pièces de rechange, les vêtements adaptés à des conditions extrêmes : tout doit être soigneusement vérifié. « Les autres courses durent deux semaines. Là, on part pour deux mois et demi. Ce n’est pas facile à appréhender. »
Une calme détermination
Arrive le jour tant attendu. Le départ. Les regards des spectateurs se fixent sur le port des Sables-d’Olonne. Les vents de l’Atlantique rugissent déjà, les vagues frappent les coques. À ce moment précis, Justine est prête. « Je n’étais pas stressée. J’étais plutôt détendue même. Il faut être présent sur les lieux trois semaines avant donc on s’y prépare. J’avais bien dormi, je me sentais reposée », raconte-t-elle, les yeux lavés couleur océan. Une tranquillité qui tranche avec la ferveur et les fumigènes qui entouraient ce départ monumental.
Mais la solitude, celle qu’on n’imagine qu’en théorie, devient rapidement un adversaire insidieux. Loin des siens, du confort des terres et du bruit du monde, Justine doit s’adapter à son nouveau rythme, ce quotidien fait de vagues, de ciel, de voile et d’attente. « Les journées sont vite bien remplies quand même. Entre les relevés de météo, le réglage du bateau, les réparations à faire… il y a de quoi s’occuper l’esprit », explique-t-elle. « Et le moindre faux pas pourrait coûter cher. »
Les montagnes russes de la mer
Les jours passent, parfois monotones, parfois tumultueux. Les vagues géantes du Pacifique Sud ou la chaleur étouffante du Pot-au-Noir n’épargnent pas Justine.
Des conditions extrêmes, des vents violents, des précipitations… « j’ai su naviguer à travers cette dépression. Ce n’est pas simple, mais je m’en suis bien sortie ». La gestion de la fatigue et du stress est essentielle pour maintenir la performance.
Et pourtant, même dans les moments de doute, la navigation devient un art. Elle se rappelle des îles Kerguelen, « ces îles reculées où volent des albatros », des instants suspendus dans le temps, où la mer et le ciel se confondent en une toile d’azur. « La mer change de couleur selon l’endroit où on est. Le ciel aussi. C’est ce qu’on voit, nous, les marins, depuis notre petite cellule de bateau », ajoute-t-elle, un brin poétique.
Début janvier, quelques jours avant son arrivée, Justine a vécu l’un des moments les plus difficiles de sa traversée : « La remontée de l’Atlantique Sud avec des orages violents le long des côtes brésiliennes. Ça fait une bonne semaine que je ne me suis pas changée. Ça ne sent vraiment pas bon. L’eau commence à se réchauffer un peu, donc je vais en profiter pour me doucher, ça va me faire du bien, ça va remettre un peu les idées en place. J’essaie de repartir du bon pied pour la suite », se confiait-elle sur les réseaux sociaux.
Fatiguée mais fière
Le 22 janvier 2025, Justine franchit la ligne d’arrivée, le regard fatigué mais fier. 76 jours, une heure, 36 minutes et 52 secondes d’une aventure effrénée. Une première participation et un record. Elle devient ainsi la femme la plus rapide de l’histoire du Vendée Globe. Pourtant, la modestie reste son maître mot. « Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde. Mais c’est un beau moment. Surtout de revoir mes proches et mes amis après tout ce temps », dit-elle avec une simplicité touchante. Au-delà de l’adrénaline et des trophées, ce sont ces liens humains qui restent son moteur.
« Les femmes n’ont pas de complexe à avoir »
« C’est un travail de longue haleine. Ça m’a pris 8 ans. Ce n’est pas un sprint, mais un marathon. » Un parcours débuté sur les eaux du lac Léman, avant le large des océans du monde entier. Des années de travail dans l’ombre qui ont forgé une athlète prête à affronter l’un des défis les plus fous de la planète.
Pour Justine, ce record reste assez symbolique : « Sur le Vendée Globe, il n’y a pas de classement distinct… ». Dans l’histoire, plusieurs femmes ont réussi à boucler leur tour du monde. Pop Hare, Clarisse Crémer… « on a laissé pas mal de concurrents derrière nous, même avec des bateaux plus récents, on n’a pas à avoir de complexe face aux concurrents masculins », conclut-elle, le sourire discret.