Nouvelle série exclusive Women Sports : portraits de mamans de champions et de championnes ! Pour inaugurer cette rubrique, rencontre avec Zoubida, la maman de la célèbre boxeuse Sarah Ourahmoune.
Par Floriane Cantoro
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.14 d’octobre-novembre-décembre 2019
« De la boxe ?! Mais c’est un sport d’hommes, ils vont te casser le nez ! » Telle fût la réaction de Zoubida Arabe lorsque sa fille Sarah, partie s’inscrire au taekwondo, est finalement rentrée à la maison avec l’envie de monter sur le ring. L’adolescente de 13 ans avait découvert la discipline totalement par hasard, en poussant la porte d’une salle d’Aubervilliers, en Seine Saint-Denis. « Je me disais que c’était un sport pour les hommes et qu’ils allaient la défigurer comme dans les films de Sylvester Stallone. J’avais peur qu’elle soit toute cabossée… », confie la maman de celle qui, vingt ans plus tard, sera sacrée vice-championne olympique de boxe à Rio.
« Elle ne me parlait pas de ce qu’elle endurait à la salle, avec les autres boxeurs. »
Il faudra alors des heures de discussion et une bonne liste d’arguments à Saïd Bennajem, le patron de la salle et futur entraîneur de Sarah Ourahmoune, pour arriver à convaincre Zoubida de laisser sa fille boxer. « Il m’a montré son visage ; c’est vrai qu’il n’était pas abîmé », reconnaît-elle. Outre le fait de savoir que sa fille allait garder sa petite frimousse intacte, Zoubida a vite remarqué son implication dans la boxe. « Elle s’entraînait tous les jours, était sérieuse et toujours très optimiste, se souvient-elle. À chaque fois qu’elle partait pour un combat, elle faisait une petite place sur son étagère à trophées pour y mettre la coupe une fois de retour à la maison. »
« On lui a volé la Marseillaise »
Parfois, Sarah demandait à sa mère de venir la voir boxer, quand les combats n’étaient pas trop loin. Le reste du temps, elle ne lui disait pas grand-chose sur ses entraînements, sur la boxe. « Elle a toujours été réservée et indépendante. Elle ne me parlait pas de ce qu’elle endurait à la salle, avec les autres boxeurs, que des hommes, qui ne voulaient pas qu’elle soit là et qu’elle combatte avec eux. » Sans le dire, en silence, Sarah a dû faire face aux clichés sexistes de ceux (nombreux à l’époque !) qui ne voyaient pas d’un bon oeil qu’une fille soit sur le ring.
Parfois, le rejet venait aussi de l’extérieur. Comme lors des Championnats du monde 2008 en Chine, où elle perd la finale sur une décision tendancieuse des juges… avant de se voir restituer la médaille d’or par la Poste des mois plus tard, suite au contrôle antidopage positif de la championne déchue. Un juste retour des choses qui ne la satisfera jamais vraiment : « Elle n’a pas entendu la Marseillaise sur le podium, on la lui a volée », s’attriste Zoubida.
Elle a transmis son courage à sa fille
Sa fille lui a aussi parlé de menaces qu’elle recevait et de l’argent qu’on lui proposait parfois pour perdre ses combats. « Elle a toujours refusé. Elle s’est battue comme elle a pu, soutenue par son entraîneur de la première heure. » Une force de caractère qui lui vient de sa mère, sans aucun doute. « C’est une kamikaze, comme moi ! », s’amuse Zoubida Arabe, arrivée en France seule dans les années 1970 pour fuir un mariage arrangé en Algérie. Comme Sarah le fera ensuite avec les boxeurs de la salle, elle a tenu tête aux hommes de son pays. Après avoir divorcé, elle a élevé seule ses six enfants et a dû se battre pour vivre dans un pays qui n’était pas le sien et où elle n’avait ni famille, ni amis. « Je ne comptais que sur Dieu et sur moi-même. »
« Une fierté pour les gens du 93 ! »
Aujourd’hui, Zoubida et Sarah ne se voient pas très souvent. La vice-championne olympique de boxe a une vie bien remplie entre sa société, sa vie personnelle et son rôle d’ambassadrice du sport féminin… Un éventail de casquettes qui force l’admiration de tous, à commencer par sa maman : « Je suis très fière de la personne qu’elle est devenue, de tout ce qu’elle a accompli, déclare Zoubida Arabe. Pour les familles maghrébines et les gens du 93, Sarah est une immense fierté : elle a des diplômes à n’en plus pouvoir, est une grande championne et une femme accomplie. Elle est un modèle pour les jeunes filles et donne beaucoup d’espoir à beaucoup de femmes. » Telle mère, telle fille, en somme.