Basketteuse de légende, Yannick Souvré a mené en tant que capitaine l’équipe de France au premier grand titre de son histoire, l’Euro 2001. Aujourd’hui directrice de la Ligue Féminine de Basket, elle évoque les grands chantiers en cours, mais accepte aussi de revenir sur sa carrière atypique, son engagement pour le sport féminin et la place des femmes dans les instances dirigeantes. PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS SALIS. Extrait du WOMEN SPORTS N°25.
Les chantiers du basket féminin
QUELLES SONT VOS MISSIONS AU SEIN DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DE BASKET-BALL ?
Depuis deux ans, je suis à la fois directrice de la Ligue Féminine de Basket et directrice du haut niveau des clubs, c’est-à-dire les trois divisions les plus élevées gérées par la fédération : la Ligue Féminine, la Ligue Féminine 2 et la Nationale Masculine 1 qui sont la dernière étape avant la Ligue Professionnelle. Mon job consiste à organiser ces compétitions d’un point de vue administra- tif, logistique et événementiel. Je suis chargée de faire la promotion de ses divisions, de les développer pour les rendre plus per- formantes, plus professionnelles.
COMMENT SE PORTE AUJOURD’HUI LE BASKET FÉMININ ?
Le basket féminin français se porte bien ! La Ligue pro existe depuis 1998, cela fait donc 24 saisons. La Ligue Féminine de Basket, c’est ce qui se fait de mieux au niveau professionnel. Le budget moyen des clubs est de 1,9 million d’euros. On a pratique- ment toutes les joueuses des équipes de France de 5/5 et de 3/3 qui évoluent dans ce championnat. Les revenus des joueuses sont importants. En moyenne, le salaire mensuel brut est de 5 900 euros. Pour les entraîneurs, c’est plus de 5 000 euros par mois en moyenne. On produit 100 % de nos matches, diffusés sur LFB TV. Le basket féminin français fait partie des 5 meilleurs mondiaux et on veut continuer de structurer les clubs, de les développer. On a une fédération qui pousse beaucoup pour le basket féminin. Au niveau des pôles de formation des jeunes, les moyens sont exacte- ment les mêmes entre le masculin et le féminin. Les résultats sont là. Par exemple, la meilleure jeune joueuse de la plus grande compétition de basket européenne, l’Euro- ligue, est une Française, Marine Fauthoux. Mais ce n’est jamais fini ! Il faut toujours se remettre en question pour arriver à fournir cette belle équipe de France.
SEULEMENT QUELQUES MOIS APRÈS VOTRE PRISE DE FONCTION, LE COVID ARRIVAIT EN FRANCE. COMMENT A-T-IL IMPACTÉ LE BASKET FÉMININ ?
C’était une période difficile. Les clubs ont eu une réactivité assez phénoménale et nous, en interne, on a bien travaillé pour tenir le championnat. Il était important de faire jouer les équipes dès que c’était possible. C’est vrai que l’année dernière, la saison s’est déroulée à huis-clos. C’était très frustrant pour les clubs et les supporters. On a essayé de donner tous ensemble de la visibilité au basket féminin en fournissant des images de haute qualité aux fans de basket pour qu’ils suivent les rencontres. Ils sont environs plus de 5400 par rencontre à regarder les matches sur notre plateforme de streaming.
QUELS SONT LES PLUS GROS CHANTIERS DU BASKET FÉMININ AUJOURD’HUI ?
Au niveau de la Ligue, on doit se développer. On veut travailler sur la marque LFB, la développer et l’améliorer au fil des ans. On veut structurer les clubs, que cela soit dans la professionnalisation, dans l’administratif, la communication… Et on veut accélérer sur la formation des jeunes.
QUE PENSEZ-VOUS AUJOURD’HUI DE LA VISIBILITÉ DU BASKET FÉMININ DANS LES MÉDIAS ?
En plus de LFB TV, qui diffuse tous les matches, la Ligue féminine a un partenariat avec Sport en France qui diffuse les play-offs, et France Télévisions pour des décrochages sur F3 Régions, ce qui complète le dispositif cohérent étant donné que l’Equipe de France féminine est sur France Télévisions. Mais les chaînes de télévision ne sont plus le passage unique de la visibilité à l’heure des réseaux sociaux. Il faut se donner les moyens d’avoir plus de matière pour parler aux plus jeunes. Leur donner l’envie de venir pratiquer le basket, de regarder du Basket féminin. L’objectif est aussi d’attirer les marques, les différents partenaires qui auraient envie d’être visibles grâce au basket féminin.
FAUT-IL ALLER JUSQU’À IMPOSER DES QUOTAS DE DIFFUSION DU SPORT FÉMININ À LA TÉLÉVISION ?
Pour qui et où ? C’est ça la question. Je ne sais pas si les quotas sont une solution. Après, si vous me dites que tous les matches seront diffusés sur une chaîne gratuite et nationale… bien sûr que je prends (rires…).
AU DÉBUT DE VOTRE JEUNE CARRIÈRE, VOUS ÊTES PARTIE UN AN AUX ÉTATS-UNIS. AU COURS DES DERNIERS JO, UNE POLÉMIQUE A ÉTÉ LANCÉE PAR EVAN FOURNIER À LA SUITE D’UN TWEET DU MINISTRE DE L’ÉDUCATION QUI METTAIT EN AVANT LA RÉUSSITE DES BASKETTEURS GRÂCE À L’EPS. PENSEZ-VOUS QUE LES FÉDÉRATIONS, LES LIGUES, LE SYSTÈME SPORTIF SCOLAIRE FRANÇAIS DOIVENT IMITER LE MODÈLE AMÉRICAIN ?
Il ne faut pas tout mélanger ! Le système universitaire américain est très élitiste. L’école en France n’est peut-être pas par- faite mais elle est gratuite. Ma mère était professeur d’EPS, le sport à l’école je sais ce que sais. En faire plus, comme c’est pré- vu d’ailleurs, c’est primordial. Plus on fera de sport à l’école et plus on aura une nation sportive. On sera en meilleur santé mentale, physique… je n’ai aucun doute là-des- sus. Il y a des choses qui sont intéressantes aux États-Unis, mais qu’on ne peut pas reproduire en France. Les campus à l’américaine, cela n’existe pas en tant que tel. Mais ils n’ont pas non plus le système des clubs. J’ai eu la chance d’y aller, mais j’ai eu une bourse. Sans cela, je n’aurais pas pu faire ce que j’ai fait. Les tarifs sont exorbitants. Je le répète, en France l’école est gratuite. Donc améliorons le sport à l’école, mais sans nous renier et en reconnaissant la valeur et le travail dans les clubs.
Une incursion dans le monde… du volley-ball !
EN 2016, VOUS AVEZ PRIS LA TÊTE DE LA LIGUE NATIONALE DE VOLLEY. ETONNANT, POUR UNE BASKETTEUSE ! RACONTEZ-NOUS VOTRE CARRIÈRE ATYPIQUE.
À la fin de ma carrière de basketteuse, en 2003, j’ai intégré mon club dans lequel j’ai passé les 10 plus belles années de ma vie sportive, à Bourges. Je suis devenue directrice commerciale. Quelque temps plus tard, on m’a proposé un job à la Fédération européenne de basket. J’en suis devenue responsable de la communication, de l’événementiel et du marketing. J’y suis resté douze ans, je me suis éclatée là-bas. Puis mon patron a été évincé et on m’a demandé de partir. Quand je suis rentrée en France, j’ai travaillé quelque temps pour le CNOSF, puis la Ligue Nationale de volley, qui rassemble les compétitions professionnelles de volley masculine et féminine, m’a proposé le poste de directrice générale. J’ai accepté avec grand plaisir… car on ne m’a pas demandé de jouer au volley (rires…) J’ai beaucoup appris. Je suis très reconnaissante au monde du volley. Evidemment, certaines personnes ne voyaient pas d’un bon œil qu’une basketteuse puisse venir au volley. Mais j’ai été recrutée pour ça : je suis arrivée avec un œil neuf, je suis venue d’un sport où la structuration en France est bien plus en avance que le volley. J’avais l’envie de pousser ce sport et lui donner un peu plus de reconnaissance. C’était une expérience formidable.
VOLLEY ET BASKET, MÊME COMBAT ?
Le volley comme le basket féminin sont des sports qui ne sont pas prioritaires au niveau de la diffusion télé donc il faut trouver autre chose. Je me suis attelée à essayer d’aider les clubs à créer un produit propre au volley. Je ne suis pas arrivée au volley pour le révolutionner mais pour apporter ma patte, mon expérience. C’était une belle aventure. C’est intéressant car la Ligue Nationale de Volley est une ligue professionnelle sous convention de la fédération, mais indépendante. C’est une toute petite structure, on était 6 salariés. À l’intérieur c’était extrêmement réactif. À contrario, la Ligue de Basket est une commission fédérale, donc je suis à l’intérieur d’une instance très hiérarchisée, avec une fédération où il y a plus de 140 salariés. Ce n’est pas du tout le même mode de fonctionnement. Je vois donc les choses intéressantes de chaque côté et les inconvénients de l’autre. J’ai trouvé intéressant de travailler dans ces organisations avec le but d’avancer, mais avec des moyens très différents.
Women Power ?
PENSEZ-VOUS QUE DANS LA DIRECTION DES LIGUES ET DES FÉDÉRATIONS SPORTIVES, IL MANQUE DES FEMMES ?
Les choses avancent à grands pas. Par exemple, la Présidente de la Ligue féminine de basket est pour la première fois une femme, Carole Force. Un hasard ? Certainement pas. Est-ce que cela aurait pu arriver plus tôt ? Oui ! Je suis dans une fédération où les femmes sont très présentes au niveau du comité directeur depuis très longtemps. Là où il faut des femmes, c’est quand il y a des décisions à prendre. Les quotas peuvent parfois être nécessaires pour casser les plafonds de verres. Mais à la FFBB, les choses se sont faites naturellement. Par ailleurs, je voudrais souligner que je suis pour la diversité, la mixité. Il n’y a rien de mieux que de collaborer avec des gens différents, de sexes différents parce que c’est grâce à cela qu’on est plus fort. Autre sujet connexe : la Fédération française de basket lance un plan de féminisation des entraîneurs de très haut niveau, parce qu’on s’aperçoit qu’il n’y en a pas assez. Il faut aller chercher, convaincre davantage de femmes. Parce que très souvent, la femme a besoin qu’on lui tende un peu la main. Il faut combattre « l’autocensure », inciter les femmes à postuler à tous les postes et les aider à développer leurs compétences.
Une famille de champions
QUESTIONS PERSONNELLES POUR FINIR. COMMENT EN ÊTES-VOUS VENUE À PRATIQUER LE BASKET ?
Le basket, c’est une histoire de famille ! Mon père était basketteur de très haut niveau, il a joué en équipe de France. Ma mère de son côté a joué à un haut niveau et elle était professeure d’EPS. J’étais au bord du terrain dans mon landau (rires …). J’ai pris ma première licence à l’âge de 5 ans, dans le club que mes parents ont créé à Tournefeuille, la ville où j’ai grandi, en banlieue toulousaine. Je me suis aussi essayée à la gymnastique et au tennis en même temps que le basket, à un niveau assez compétitif. Mais j’ai déci- dé par la suite de me consacrer au basket, car c’est la passion de ma vie.
QUEL EST VOTRE MEILLEUR SOUVENIR EN BASKET ?
Des souvenirs incroyables j’en ai des milliers ! J’ai gagné de très nombreux titres, en clubs et en équipe de France. Il y a beau- coup de gens qui ont autant joué que moi mais qui n’ont pas autant gagné. J’ai eu la chance de disputer les Jeux Olympiques de Sydney en 2000, c’est le graal de ma vie. J’ai fait partie de la première équipe de France à se qualifier pour des Jeux Olympiques. J’en rêvais. Je m’en souviens comme si c’était hier : quand j’entre dans le stade lors de la cérémonie d’ouverture, je ne marche pas, je vole ! Après, j’ai gagné trois fois l’Euroligue avec Bourges. Et puis bien sûr, le titre de championne d’Europe en 2001 avec les Bleus en France devant ma famille mes amis. C’était vraiment incroyable. Même quelques années après, j’en parle avec beaucoup d’émotions. Ce sont des instants inoubliables.
QUELLES SPORTIVES ONT ÉTÉ VOS SOURCES D’INSPIRATION ?
Beaucoup de sportifs et de sportives m’ont inspiré ! Quand je pratiquais la gym, j’aimais beaucoup Nadia Comăneci. Quand je jouais au tennis, j’étais fan de Steffi Graf. Au basket, je me suis inspirée d’Isabelle Désert qui jouait au même poste que moi. Je crois qu’il faut s’inspirer de différentes personnalités. Il y a pleins de gens dans votre vie qui passent et qui laissent quelque chose.