Séverine Duhau est praticienne et consultante en hypnose. Elle accompagne les particuliers et les entreprises sur des sujets liés au mieux-être, ou à l’amélioration des performances personnelles et professionnelles. Elle est également formatrice pour l’Arche, l’Académie d’Hypnose ericksonienne dont elle a elle-même suivi le cursus, il y a 10 ans. Elle voyage professionnellement beaucoup, mais son « camp de base » se situe à Barcelone, où elle peut notamment se consacrer à son autre passion : la course à pied, dans un cadre idéal entre bord de mer et montagnes. Éclairage sur une discipline bien méconnue.
Par Claire Dautrement
Comment en êtes-vous venue à l’hypnose ?
Par la gestion de la douleur. En 2006, un nom avait été donné au mal intermittent qui m’empêchait d’écrire ou de marcher : fibromyalgie. Sur un forum canadien, j’ai lu que l’hypnose pouvait être efficace pour gérer la douleur, et comme j’avais peu d’autres alternatives, j’ai testé ! J’ai vite appris l’auto-hypnose, qui permet de s’autonomiser, et j’ai progressivement repris le contrôle de mon corps – et, je l’ai compris ensuite, de mon mode de vie. J’ai eu aussi recours à l’hypnose pour un autre sujet qui m’occupait alors : la peur de prendre la parole en public. Les résultats obtenus m’ont donné envie de me former. Je travaillais déjà dans la communication, les passerelles se sont présentées naturellement…
Qui a eu l’idée le premier d’utiliser l’hypnose dans le sport ?
Revenons un instant sur ce qu’est l’hypnose. On vit au quotidien différents états émotionnels, on active des ressources, des capacités, etc. sauf qu’en général ça se fait « tout seul » : je décide rarement quand je me mets en colère, quand j’ai peur, ou quand je vis un état optimal de concentration ou d’apprentissage. L’hypnose permet d’accéder à des états choisis, de manière plus contrôlée, « à la demande » en quelque sorte. Du coup, ça semble presque bizarre de ne pas l’utiliser en sport. Pourtant, sans parler de première officielle mais de première médiatique, c’est l’équipe olympique d’athlètes soviétiques qui a eu recours en 1956 aux JO de Melbourne à des coachs qui pratiquaient une forme d’hypnose, pour augmenter la concentration avant les épreuves. Avec 37 médailles d’or à la clé.
Quels sont les bienfaits de l’hypnose sur les sportifs ?
Les applications de l’hypnose sont nombreuses : gestion des états émotionnels, des capacités, des comportements, dépassement de peurs ou de croyances bloquantes, activation de ressources internes. L’une des grandes figures de l’hypnose moderne, Milton Erickson, disait : « Vous savez beaucoup plus que vous ne savez que vous savez ». Avec l’hypnose, on apprend à utiliser mieux le potentiel de notre mental – et l’importance du mental dans la pratique sportive n’est plus à démontrer !
Concrètement, on peut travailler à différents niveaux :
– Préparation : on connaît généralement l’intérêt de se projeter vers l’objectif, et la plupart des sportifs ont pour cela des « trucs » ou des routines (la visualisation par exemple est assez connue, et c’est déjà une technique d’hypnose) – mais il est aussi important de prendre en compte les états émotionnels qui peuvent venir perturber l’atteinte de cet objectif, la peur de l’échec ou de la réussite par exemple, la gestion de l’enjeu. D’autres éléments peuvent être travaillés aussi, tels que la qualité du sommeil, la motivation à l’entraînement, etc.
– Amélioration : chaque sport requiert des états différents, et l’intérêt de l’hypnose est qu’elle s’appuie sur une totale personnalisation, les outils utilisés sont tellement variés que l’on peut vraiment adapter l’accompagnement au besoin défini. Ainsi, on pourra travailler sur le besoin d’affiner la maîtrise d’un geste technique en tennis ou en golf par exemple, sur l’augmentation de la perception et de l’attention en arts martiaux, ou sur la gestion d’énergie sur des sports d’endurance… on pourrait multiplier les exemples.
– Récupération : la gestion de l’après-épreuve est souvent capitale. Comment rester motivé pour retourner s’entraîner après avoir atteint ce qui avait été un objectif pendant parfois de longs mois ou années ? Comment accepter l’abandon qu’impose une blessure, juste avant ou pendant une épreuve ? Le travail émotionnel, en cas d’échec comme de succès, est aussi important que la récupération physique, sur laquelle on peut d’ailleurs aussi travailler.
Et sur vous, qui êtes aussi une grande coureuse ?
Grande, non ! Passionnée et assidue, oui. Ma première victoire a été de surmonter la croyance que l’effort m’était inaccessible : courir malgré la fibromyalgie a fait partie de ma thérapie, et pour cela j’ai développé de nombreuses techniques pour « m’évader » loin de mon corps et de sa douleur, et cela m’est encore fréquemment utile même si la maladie n’est plus d’actualité. J’ai participé deux fois à une course par étapes dans le Sahara, la Desert Run : j’ai, à cette occasion, travaillé sur la récupération, pour aborder chaque nouvelle étape comme si c’était la première. Récemment, j’avais travaillé sur ma perception du « mur » pour préparer le marathon de Barcelone, car j’y avais été confrontée lors de mes précédents marathons. Or, une blessure m’a contrainte à y renoncer une semaine avant : j’ai donc là aussi pu expérimenter l’apport de l’hypnose pour faire le deuil de cette course importante pour moi… En fait, l’hypnose est intégrée à mon fonctionnement : j’ai un problème ou un blocage, comment le dépasser ? J’ai une ressource ou un état utile, comment l’amplifier ou en tirer parti ? En running, dès que je vis un moment de grâce, cet instant de pure connexion où tout semble simple et possible, je « l’enregistre » – et rappeler cette sensation pendant les passages plus tendus me redonne de l’énergie…
D’illustres champions ont recours à l’hypnose, lesquels ? En avez-vous déjà coaché ? Des noms ?
Aux Etats-Unis, l’usage de l’hypnose dans certaines disciplines telles que le golf ou le tennis est courante depuis de nombreuses années. Jimmy Connors ou André Agassi ont parlé de cette manière de se préparer avant les tournois, et Tiger Woods a souvent mentionné l’apprentissage de l’auto-hypnose dès son plus jeune âge comme une clé de sa capacité à se focaliser, lors des puttings notamment. Mike Tyson en boxe ou Iwan Thomas en athlétisme font aussi partie des sportifs qui ont utilisé « officiellement » l’hypnose. Quand je dis officiellement, c’est parce que je crois que tous les sportifs utilisent l’hypnose sans le savoir ! Lorsque j’ai lu « Courir ou Mourir », de l’ultra-trailer catalan Kilian Jornet, j’ai eu un choc en découvrant les incroyables stratégies mentales qu’il élabore pour dépasser la douleur ou décrocher la victoire. Ce que lui nomme imagination est très proche de ce que l’on peut obtenir avec l’hypnose – à la différence près que lui ne le programme pas et parvient à y accéder au moment où il en a besoin. Alors que l’hypnose va justement permettre à ceux qui ne parviennent pas à s’extraire de la fatigue ou du stress de déclencher automatiquement l’accès à des ressources prédéfinies, indépendamment du contexte.
Au sein de l’Arche, avec qui je travaille, plusieurs praticiens accompagnent des champions de différentes disciplines. J’ai choisi de m’adresser aussi au grand public, à ceux que j’appelle les « champions anonymes » : un coureur qui aborde son premier marathon ou une jeune maman qui veut se remettre au sport ont une victoire à aller chercher, et j’aime ces dépassements personnels qui ont souvent des résonances sur bien d’autres aspects de la vie. J’anime aussi des ateliers « Hypno-Running », centrés sur l’apport de l’hypnose et de l’auto-hypnose dans la pratique du running, où se côtoient des coureurs de tous niveaux.
Peut-on imaginer, qu’à l’instar des combinaisons dans la natation, le recours à l’hypnose dans sa préparation physique puisse être un jour interdit ? Considéré comme une forme d’avantage par rapport aux autres concurrents ?
L’usage de la musique est interdit en compétition sur les courses, car elle est considérée comme une stimulation externe. Or l’hypnose n’apporte rien d’extérieur, elle permet simplement de développer ce que l’on fait déjà naturellement, en utilisant les ressources dont on dispose : la capacité d’imaginer ou d’apprendre, l’accès à nos émotions et nos ressentis. Lorsqu’on se raconte une histoire pour se distraire, lorsque, comme Paula Radcliffe, on se répète une phrase en boucle pour faire passer les kilomètres, ou que l’on se touche le lobe de l’oreille pour passer en mode concentré, c’est une forme d’hypnose, et cela semble difficile à interdire, d’autant que, comme dit plus haut, beaucoup le font spontanément, sans accompagnant.
La pratique s’étend au-delà des sportifs… Vous-mêmes êtes amenée à l’instruire à des chefs d’entreprise. Les techniques et les avantages sont-ils les mêmes ?
Se préparer, améliorer des capacités ou des ressources internes, dépasser des échecs ou rebondir après des succès… tous ces enjeux caractérisent certes la pratique sportive, mais sont aussi le quotidien des dirigeants et de leurs équipes. Avant de créer ProSonnel, j’ai occupé différents postes de management en communication et marketing, et j’ai vécu de l’intérieur l’impact des freins personnels sur le développement professionnel. Lors d’un nouveau projet, le responsable attend de son équipe qu’elle soit « motivée ». Comment atteindre cet état habituellement déclenché de manière inconsciente ? Comment le susciter ? Qu’est-ce qui l’empêche ? Un autre volet très présent en sport comme en entreprise, c’est la gestion des échanges interpersonnels : comment améliorer la communication et donc la réussite collective, en s’écoutant mieux, en étant plus attentif à l’autre, et pour cela, en dépassant ses propres peurs et besoins ? Là encore, les apports de l’hypnose en tant qu’outil de connaissance de soi, sont nombreux.
Quel avenir pour l’hypnose dans le sport selon vous ?
Comme pour toutes les applications de l’hypnose aujourd’hui, tout reste à faire ! L’hypnose n’est pas une baguette magique et ne se substitue en aucun cas à une quelconque autre forme d’entraînement, mais quel que soit son niveau initial, un sportif va pouvoir progresser en associant un travail mental et émotionnel à sa pratique physique ! WS
Pour contacter Séverine Duhau
ProSonnel
Communication et Développement personnel
www.prosonnel.com severineduhau@yahoo.fr
LAURE TREBOUET
Plusieurs fois Championne de France Universitaire de Taekwondo, Laure Trebouet a eu recours à l’hypnose dans le cadre de sa participation aux Championnats de France, pour gérer son stress de la compétition. Sa rencontre avec cette pratique a finalement eu un impact à plus long terme.
Laure pourquoi avoir eu recours à l’hypnose ?
« En 2014, je m’apprêtais à participer aux Championnats de France de ma discipline, le Taekwondo. À plusieurs reprises, j’avais participé à cette même épreuve, et, à chaque fois, je perdais mon combat en quarts de finale. J’abordais ce niveau avec des maux de ventre et un stress important, et systématiquement, le championnat s’arrêtait là. Un jour, je suis allée à une démonstration publique d’hypnose. Le praticien demandait des volontaires – et j’ai abordé ce sujet, devant une centaine de personnes. ».
Avec quels résultats ?
« Les effets de la séance ont d’abord été physiques. Le stress d’avant combat, et notamment les maux de ventre, ont considérablement diminué. Néanmoins, mes performances en compétitions importantes ne s’amélioraient pas. Pourtant, en championnat universitaire, j’avais accédé à plusieurs titres sans pression. Il m’a fallu plusieurs autres séances d’hypnose pour mettre à jour ma « peur du succès » : gagner en Championnat de France, cela signifiait être visible – ce qui n’était pas le cas en milieu universitaire, plus confidentiel. Accepter cette mise en lumière de mes capacités, et plus globalement de mon image, a transformé beaucoup de choses : au niveau sportif certes, mais surtout, sur ma confiance en moi. À tel point qu’aujourd’hui, j’ai à cœur de transmettre, aux plus jeunes notamment, l’intérêt de cette meilleure connaissance de soi pour le développement des potentiels, au travers d’un projet orienté éducation. ».
http://arche-education.com