Ancienne joueuse, maître de conférences en sociologie du sport à l’Université Paris-Est Créteil et secrétaire générale de la Fédération française de handball, Béatrice Barbusse s’exprime sur les retombées de l’EHF EURO 2018 en termes de pratique féminine et d’exposition médiatique. Pour elle, cela ne fait aucun doute : le chemin est encore long…
Focus sur l’Euro féminin de handball, du 29 novembre au 16 décembre 2018 en France (Brest, Montbéliard, Nancy, Nantes et Paris) – @ EHF EURO 2018
Propos recueillis par Floriane Cantoro
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.10 d’octobre-novembre-décembre 2018

WOMEN SPORTS : Confier l’organisation de l’EHF EURO 2018 à la France est une belle preuve de l’avancée des mentalités en matière de sport au féminin dans notre pays. La France est-elle enfin prête à accueillir des compétitions sportives exclusivement féminines ?
Béatrice Barbusse : Pour le handball, c’est une volonté du président de la Fédération française (FFHB), Joël Delplanque, d’imposer une alternance entre des événements masculins et féminins. Mais ce n’est pas le cas de toutes les fédérations sportives. Il y a des fédérations qui ne proposent jamais d’accueillir de grands événements sportifs féminins internationaux sur notre territoire. L’enchaînement EHF EURO 2018 et Coupe du monde féminine de football 2019 marque une belle reconnaissance du sport au féminin. Trouver suffisamment de financements pour organiser de tels événements en France est une sacrée avancée !
WS : Que peut-on attendre de l’événement en termes de retombées économiques et médiatiques ?
Béatrice Barbusse : Aujourd’hui, 95% des sports féminins ne sont pas rentables. Organiser des compétitions féminines coûte de l’argent aux fédérations sportives mais ne leur en rapporte pas. Excepté le football. On sait déjà que la Coupe du monde féminine de football 2019 sera rentable. Il y a des différences en termes de subventions publiques, d’une part, puisque le CNDS (Centre national pour le développement du sport) verse 6 millions d’euros pour la Coupe du monde de football contre 1,5 million d’euros pour l’EHF EURO 2018. Et des différences de diffusion, d’autre part, la Coupe du monde étant retransmise en intégralité en clair sur TF1, ce qui ne sera pas le cas pour l’Euro. Le handball n’est pas le football : il ne bénéficie pas de l’universalité de ce sport, ni de sa puissance financière et médiatique. Mais il faut bien commencer quelque part ! Si nos handballeuses sont championnes d’Europe, en plus du titre mondial acquis en 2017, leur statut va considérablement changer en France. Alors peut-être que des partenaires vont commencer à s’intéresser au handball féminin et peut-être qu’il y aura des médias qui voudront en acquérir les droits. Mais pour cela, il faut performer. Nos handballeuses n’ont pas d’autre choix que de gagner pour être médiatisées. C’est aussi vrai pour les basketteuses, les rugbywomen… Un peu moins pour les footballeuses qui partent avec l’avantage considérable de faire du football.
« 95% des sports féminins ne sont pas rentables »
WS : L’EHF EURO 2018 peut-il néanmoins entraîner une augmentation de la pratique féminine ?
Béatrice Barbusse : Cela fait plusieurs années que la pratique féminine stagne en handball. Si le titre mondial des Bleues a entraîné une augmentation de la fréquentation des salles pour les matchs de la Ligue féminine (LFH) ou pour ceux de l’équipe de France, il faudra en revanche être beaucoup plus patient pour voir une augmentation conséquente du nombre de licenciées. Et pour cela encore une fois, il faudra que les filles gagnent. Pas seulement une fois, il faudra que ce soit régulier. On l’a vu avec les garçons : il a fallu attendre qu’ils soient multi-titrés pour que partenaires, médias et spectateurs commencent à s’intéresser à eux. Evidemment qu’organiser un Championnat d’Europe féminin à domicile va avoir un effet dynamisant. Mais il ne faut pas s’attendre à un effet révolutionnaire non plus : on ne va pas tout d’un coup avoir 45% de femmes parmi nos licenciés. Autrement dit : on peut en organiser des Euros avant d’avoir un réel effet positif sur la pratique !

WS : Si la pratique féminine handballistique est constante depuis quelques années, la représentation des femmes dans les instances, elle, a bien progressé. Qu’en est-il à la Fédération française de handball ?
Béatrice Barbusse : La FFHB a plutôt bien travaillé en matière de féminisation des instances dirigeantes. Elle est allée plus loin que la loi de 2014 qui impose un minimum de 40% de femmes dans les conseils d’administration des fédérations sportives qui comptent plus de 25% de licenciées. Cette loi ne s’applique normalement qu’aux fédérations nationales mais notre président a choisi de l’élargir aux régions et départements. Maintenant, cela ne veut pas dire qu’on a tout réussi : aujourd’hui, s’il y a des femmes au sein des instances, rares sont celles qui occupent des postes stratégiques. Nous devons désormais leur donner envie de se manifester pour prendre des fonctions plus décisionnaires.
« Il ne faut pas s’attendre à un effet révolutionnaire ! »
WS : En président l’US Ivry Handball pendant cinq saisons (2007-2012), vous êtes devenue l’une des premières femmes en France à prendre la tête d’un club de sport professionnel masculin. Pensez-vous avoir ouvert la voie à d’autres femmes ?
Béatrice Barbusse : La problématique de la féminisation du sport, on s’en moquait complètement à cette époque. Ce n’est devenue une priorité du ministère qu’en 2012. Je n’étais pas visible en dehors du monde du handball, et encore ! Si les gens savent que je fais partie des premières dirigeantes de clubs en France, c’est parce que j’ai publié l’ouvrage «Du sexisme dans le sport» (éditions Anamosa) en 2016. Depuis, effectivement, je reçois beaucoup de témoignages de femmes qui me remercient, qui me disent que mon parcours, quelque part, les inspire. Certaines présidentes de clubs actuelles me téléphonent pour me demander quelques conseils. J’ai aussi des hommes qui me remercient de leur avoir ouvert les yeux sur le sexisme vécu par les femmes dans le monde du sport au travers d’anecdotes et de souvenirs racontés dans mon livre.

WS : Selon vous, la politique des quotas est-elle une bonne solution pour plus de femmes dans les instances ? Peut-on imaginer la même chose pour une meilleure couverture médiatique du sport au féminin ?
Béatrice Barbusse : La politique des quotas dans la gouvernance des femmes a permis de faire un énorme bond en avant, en très peu de temps. On a gagné presque 10 ans ! Pour la médiatisation du sport féminin, il faudra être plus patient. On ne peut pas imposer des quotas de sujets en lien avec le sport au féminin aux médias et entreprises privées. En revanche, des initiatives comme les « 24h du sport au féminin » peuvent amener une prise de conscience. On le voit d’ailleurs puisqu’il y a de plus en plus de sportives qui font la Une des journaux sportifs tels que L’Équipe. Mais l’évolution est somme toute assez lente et mince. Personnellement, je ne vais pas m’en contenter et j’espère que le monde sportif, les sportives en premier, ne s’en contenteront pas non plus et qu’elles continueront à réclamer une meilleure visibilité médiatique de manière légitime puisque, quand elles gagnent, il n’y a aucune raison qu’elles n’en bénéficient pas.
« Avec la politique des quotas, on a gagné presque 10 ans à la Fédération française de handball ! »
WS : Quels sont les grands défis du sport au féminin pour ces prochaines années ?
Béatrice Barbusse : Il faut continuer de progresser sur la médiatisation du sport féminin, la structuration des clubs féminins et la féminisation des instances dirigeantes. Plus de femmes dirigeantes, c’est plus de décisions prises en tenant compte de l’avis des femmes. Ce qui pourrait éviter quelques problématiques telles que les récentes polémiques liées aux vêtements dans le milieu du tennis. Il faudrait également que des hommes rejoignent le combat. Notre président Joël Delplanque a d’ailleurs justement fait remarquer en conseil d’administration que l’enthousiasme n’était pas le même pour le Mondial masculin 2017 que pour l’Euro féminin 2018. Bizarrement, il y a moins de bonne volonté de la part des hommes quand il s’agit de mettre en place des initiatives locales de promotion du handball féminin. Ce serait bien aussi de voir des femmes porter des événements de sport masculin et des hommes présider des événements de sport féminin. Par exemple, cela aurait été bien que Sylvie Pascal-Lagarrigue préside le Mondial messieurs en 2017 et qu’un homme soit président de l’EHF EURO 2018. C’est ça, la vraie mixité. On est toujours dans la séparation. Il y a encore beaucoup de travail sur les mentalités !
Billetterie officielle :
https://tickets.fra2018.ehf-euro.com/fr
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