Emblématique organisateur du tournoi féminin de tennis de Strasbourg, Denis Naegelen est un acteur de l’explosion du circuit WTA, qu’il a vu naître au début des années 1970. Lui-même ancien joueur de tennis professionnel, il est un témoin privilégié de la prise de pouvoir des femmes dans le monde autrefois très masculin de la petite balle jaune. PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID TOMASZEK. Extrait du WOMEN SPORTS N°26.
WOMEN SPORTS : ANCIEN PRO DE TENNIS ET ORGANISATEUR DE NOMBREUX ÉVÉNEMENTS TENNISTIQUES, COMMENT EN ÊTES-VOUS VENU À REPRENDRE LES INTERNATIONAUX DE STRASBOURG (IS) ?
DENIS NAEGELEN : J’ai été un joueur pro dès mes 20 ans. J’ai alors quitté mon Alsace natale pour vivre près de « l’usine », c’est-à-dire aux abords du Stade Roland-Garros, à Paris. J’ai voyagé dans le monde entier et j’ai notamment assisté à la petite révolution provoquée par Billie Jean King. Le match de la bataille des sexes, je l’ai vécu depuis les États-Unis. Cela m’a marqué. J’ai pris conscience du potentiel gigantesque du tennis féminin. A l’issue de ma carrière de joueur, avec mon partenaire de double, Patrice Dominguez, je me suis lancé dans l’organisation d’événements. Je vous passe les détails, mais par exemple, pour l’inauguration du Palais omnisports de Paris-Bercy (devenu Accor Arena), on a fait venir McEnroe, Edberg, Noah et Leconte ! La Fédération française de tennis s’est rendue compte du potentiel de créer un tournoi indoor en plus de Roland-Garros. Quelques années plus tard, j’ai été victime de trois tumeurs au cerveau. J’ai survécu à un protocole lourd, qui m’a éloigné de mon activité professionnelle pendant plusieurs mois. Cette expérience douloureuse a évidemment modifié mon regard sur le monde. J’aspirais à faire des choses utiles et durables. C’est à ce moment de ma vie que l’opportunité de reprendre le tournoi féminin de Strasbourg s’est présentée. C’était en 2009. J’y ai vu l’occasion de retrouver ma région d’origine et de mettre en œuvre ma nouvelle philosophie.
QU’EST-CE QUI FAIT DE CE TOURNOI UN ÉVÉNEMENT DIFFÉRENT DE CEUX QUE VOUS AVEZ ORGANISÉS PAR LE PASSÉ ?
Ce tournoi était cédé par la Fédération française de tennis. Pour le reprendre, j’ai donc dû en passer par un appel d’offres. Outre les éléments techniques dans mon projet. Premier point : changer la réputation de l’événement en faisant venir de grandes joueuses. Deuxième point : en marge du tournoi, faire la promotion de la place de la femme dans la société, à travers des colloques. Troisième point : en faire un événement éco-responsable. À l’époque, c’était complètement novateur. On ne parlait pas du tout d’écologie ! En 2010, l’impact de l’événement, qui accueillait alors 5 000 spectateurs, était de 600 tonnes équivalent carbone. En 2020, avec cinq fois plus de spectateurs, il n’était plus que de 254 tonnes. L’objectif du zéro carbone sera atteint lors de la prochaine édition, avec un plan de reforestation de 3 000 arbres pour compenser ce que l’on n’arrive pas à annuler. Le transport en tramway est gratuit pour les spectateurs. Le partenaire BMW nous avait mis à disposition ses premiers prototypes de voitures électriques, là en- core bien avant que ce type de véhicule soit à la mode…
EST-CE À DIRE QUE LES ÉVÉNEMENTS DU SPORT FÉMININ DOIVENT SE DISTINGUER DES ÉVÉNEMENTS MASCULINS ?
Pas forcément. Mais pour ma part, j’ai pensé qu’il fallait faire autrement que le modèle masculin. Cette éco-responsabilité et cette exemplarité sociétale me paraissaient cohérents. Il y a 20 ans, organiser un événement de sport féminin pouvait apparaître comme une contrainte pour certains organisateurs : attirer des spectateurs… Aujourd’hui, c’est un atout marketing. Les marques adhèrent à l’idée d’un événement qui défend la place de la femme et est éco-responsable. Le tennis féminin à le vent en poupe. Je reviens de New York pour des réunions avec la WTA : tout est orienté vers la parité, notamment des prize money. C’est déjà le cas dans les Grand Chelem. Cela le sera progressivement pour tous les tournois