À 10 ans, Kim Eun-hee est violée pour la première fois par son entraîneur de tennis. Aujourd’hui retirée de la compétition, la Sud-coréenne de 27 ans sort du silence et de l’anonymat pour dénoncer les abus sexuels et physiques subis dans l’impunité par les sportives de son pays.
Kim Eun-hee a 10 ans lorsqu’elle violée pour la première fois par son entraîneur de tennis. Elle est très jeune, ne sait pas encore ce que sont les relations sexuelles, mais connaît déjà la peur, la douleur et l’humiliation. « Il m’a fallu des années pour réaliser que c’était un viol », confie-t-elle à nos confrères de l’AFP. Et de poursuivre : « Pendant deux ans, il n’a pas cessé de me violer. Il me disait que c’était un secret entre lui et moi », évoquant aussi les coups qu’elle reçoit régulièrement dans le cadre de sa « formation ».
Aujourd’hui âgée de 27 ans, Kim Eun-hee parle pour la première fois de son histoire à un média international. Elle sort de l’anonymat pour dénoncer les agressions physiques et sexuelles infligées aux sportives sud-coréennes dans le huis clos des entraînements.
La réussite sportive à n’importe quel prix
Connue pour ses technologies dernier cri, la Corée du Sud est aussi une puissance sportive. Elle est l’un des rares pays d’Asie à avoir accueilli les Jeux Olympiques d’hiver et d’été (Séoul en 1988 puis PyeongChang en 2018), figure régulièrement dans le tableau des dix premières nations médaillées aux Jeux et domine de très nombreuses disciplines telles que le tir-à-l’arc, le patinage de vitesse sur courte distance [ndlr, short track], le taekwondo et le golf. Dans cette société où la réussite sportive est placée plus haut que tout, nombreux sont les jeunes athlètes sud-coréens qui renoncent à l’école et à leurs foyers respectifs au profit de centres d’entraînement spécialisés où ils évoluent aux côtés de leurs coachs, vivant pendant des années dans des dortoirs. Ce système de l’éloignement favorise les abus. « L’entraîneur était le roi de mon monde, se souvient Kim Eun-hee, il dictait tout de ma vie quotidienne, de la façon de faire les exercices au moment où je devais dormir et ce que je devais manger. »
Dans ces conditions, difficile de parler : cela signifierait renoncer aux rêves de devenir des champions de leur discipline. En 2014, une étude du Comité olympique et sportif sud-coréen montrait qu’une sportive sur sept avait subi des abus sexuels l’année précédente mais que 70% n’avaient pas demandé d’aide. « [Les victimes] qui parlent sont ostracisées et harcelé en tant que « traîtres » qui ont couvert le sport de honte », explique à l’AFP Chung Yong-chul, professeur de psychologie du sport à l’Université de Séoul. Même les parents, lorsqu’ils sont mis au courant, renoncent à porter plainte de peur de gâcher l’avenir sportif de leur rejeton.
De l’autre côté, les instances de direction feignent l’ignorance. « Les associations sportives ferment les yeux tant que les agresseurs parviennent à produire des athlètes performants, dans cette quête aveugle de la médaille avant tout. Leurs abus sont considérés comme un prix insignifiant à payer », précise Chung Hee-joon, commentateur spécialisé dans les questions sportives. Par exemple, quand des parents ont commencé à porté plainte pour « comportement suspect », l’agresseur de Kim Eun-hee a simplement été muté dans un autre centre. De la même manière, l’ancien champion de short-track devenu entraîneur Lee Joon-ho a reçu une simple amende pour avoir peloté à répétition les patineuses de la ville de Hwaseong et harcelé sexuellement une enfant de 11 ans.
Le haut-niveau pas épargné
Les violences affectent également les plus hauts échelons du sport sud-coréen. Et les cas sont nombreux. Accusé de harcèlement par ses joueuses, l’entraîneur de l’équipe nationale féminine de curling des Jeux Olympiques de Sotchi en 2014, Choi Min-suk, a présenté sa démission… avant d’être embauché dans une autre équipe. La star locale de short-track Shim Suk-hee, quadruple médaillée olympique, a elle aussi subi les violences de son entraîneur et dit avoir été frappée des dizaines de fois. Elle a même dû recevoir des soins médicaux pendant un mois pour se remettre de l’un des coups qu’elle avait reçus. Une accusation reconnue par le principal intéressé, Cho Jae-beom, et justifiée par le simple fait d’améliorer les performances.
« Ça sert à quoi de remporter des médailles olympiques et de devenir une célébrité s’il faut être frappée et agressée pour y parvenir ? », s’interroge Kim Eun-hee. Aujourd’hui retirée de la compétition, l’ancienne championne donne des cours de tennis à de jeunes enfants. En octobre dernier, son entraîneur de l’époque a été condamné à 10 ans de réclusion après qu’elle ait porté plainte, avec quatre de ses amies également victimes du bourreau. Quand elle voit ses jeunes élèves sourire et s’amuser, cela l’aide à guérir. « Je veux qu’ils soient des sportifs heureux, pas comme moi », conclut-elle.
Avec l’AFP.