Sarah Abitbol fait son retour sur la glace. La patineuse française de 47 ans rechausse les patins à l’occasion d’Holiday on Ice, trois ans après avoir dévoilé avoir été victime de violences sexuelles dans son enfance, par son entraîneur. Une renaissance, certes, mais qui ne met pas son combat entre parenthèses. Entretien. PROPOS RECUEILLIS PAR VANESSA MAUREL. Extrait du WOMEN SPORTS N°28.
WOMEN SPORTS : VOUS ÊTES SORTIE DU SILENCE EN 2020, EN DÉVOILANT AVOIR SUBI DES VIOLENCES SEXUELLES À L’ADOLESCENCE PAR VOTRE ANCIEN ENTRAÎNEUR. QUEL A ÉTÉ LE DÉCLIC POUR EN PARLER PUBLIQUEMENT ?
SARAH ABITBOL : Ça a été une longue thérapie avant de pouvoir poser les mots justes. J’ai vu le film « La consolation », sur la vie de Flavie Flament. Des images m’ont choquée et m’ont propulsée dans ma propre histoire. J’étais très proche de Bruno Solo, ambassadeur de « La voix de l’enfant », à ce moment-là. Je lui ai demandé de me mettre en relation avec Flavie. J’ai fait un FaceTime avec elle, et elle m’a présenté Emmanuelle Anison, grand reporter de l’OBS. Les premières paroles avec Emmanuelle ont été difficiles, même si je sentais que c’était quelqu’un de très ouvert et d’humain. Elle m’a proposé de débuter une enquête afin de retrouver d’autres victimes du même agresseur. Et moi, qui écrivais mes cauchemars sur un cahier, j’ai eu l’idée d’écrire mon livre au même moment pour « avoir un support ». Tout est parti de ça. J’ai enfin réussi à poser le mot « viol », trente ans après ce que j’ai subi.
QUEL EST LE BUT DE VOTRE LIVRE « UN SI LONG SILENCE » ?
Même si je l’ai aussi écrit dans l’objectif de guérir, je l’ai surtout fait dans un but commun en me disant que je voulais aider les autres, en les poussant à sortir du silence. Et ça a été le cas, puisqu’il y a eu de nombreux retours, sur les réseaux sociaux, à mon domicile, ou même à ma maison d’édition. Certains m’ont remerciée d’avoir parlé, certains sont même allés jusqu’à porter plainte avec mon livre entre leurs mains… c’est énorme pour moi. Ça prouve que l’ouvrage a servi à beaucoup de monde, que ce soit dans le sport, avec 50 fédérations touchées et 900 cas avérés aujourd’hui, mais aussi et plus largement pour toutes les personnes qui auraient vécu la même chose que moi.
LES RETOURS QUE VOUS AVEZ REÇUS SUITE À SA PUBLICATION RENFORCENT VOTRE COMBAT ?
On a tous une mission dans la vie. Évidemment, j’aurais préféré ne pas subir ce que j’ai subi, mais ma mission aujourd’hui est d’aider les autres. En recueillant leur parole, avec mon association La Voix de Sarah, mais aussi en continuant la prévention. Dénoncer c’est bien, mais continuer le combat, c’est mieux.
VOUS NOUS PARLEZ DE VOTRE ASSOCIATION LA VOIX DE SARAH, QUEL EST SON RÔLE ?
L’association a pour but de sensibiliser, de continuer la prévention et de protéger la nouvelle génération. On est sur le recueil de la parole, et on essaye aussi d’orienter les victimes vers des psychologues, des psychiatres ou encore vers des avocats. Je prends tout ce qui a pu m’aider (même de la méditation, de la sophrologie…) et je les guide pour qu’ils s’en sortent. On organise aussi des conférences sur la prévention, la reconstruction…
Ça fait un an que j’ai créé l’association. Nous sommes deux à la composer pour l’instant. J’aimerais évidemment qu’il y ait plus de soutien, de dons, et de moyens pour pouvoir aller davantage sur le terrain et être plus à l’aise car on a beaucoup de demandes.
VOUS ÊTES ÉGALEMENT À L’ORIGINE D’UNE EXPOSITION PHOTOS NOMMÉE « CRI D’ALERTE ».
Le côté artistique des photos est très intéressant pour engager les conversations sur les violences sexuelles. Ici, on met en avant des photos très touchantes et poignantes réalisées par Tom Bartowicz, avec des phrases types comme « Ma plus belle victoire c’est d’avoir parlé », pour légender une photo de moi avec tous mes trophées. Ce n’est jamais facile de parler de ce sujet, mais via ces photos, on peut plus facilement en discuter avec un enfant de 7/8 ans, ou même un grand-père. Cette exposition à l’Insep est une lecture narrative pour toutes les générations.
COMMENT FAIRE EN SORTE QUE CE GENRE D’ACTES NE SE REPRODUISENT PLUS ?
Il faut que les parents en parlent à leurs enfants dès le plus jeune âge, avec des mots adaptés. À ma fille, je lui ai dit que ses parties intimes étaient ses petits trésors et qu’un adulte n’avait pas le droit d’y toucher. On ne pense pas toujours à leur en parler, parfois même on se dit que ça arrive qu’aux autres. Mais non.
SI VOUS AVIEZ UN MOT À PASSER AUX JEUNES SPORTIVES VICTIMES, QUEL SERAIT-IL ?
Il faut en parler, il faut briser ce silence. Il y a un numéro d’appel pour les victimes : le 119. Plus tôt on parle, mieux on se sent. J’ai mis 30 ans à parler, mais si j’avais pu en parler avant, je l’aurais fait. Il faut que la honte et la culpabilité changent de camp.
PARTICIPER À HOLIDAY ON ICE, EST-CE UNE RENAISSANCE ?
«Totalement. J’ai l’impression que c’est la vraie Sarah qui va se produire sur la glace. La Sarah qui, de nouveau, reprend goût à la vie, même si je ne suis pas guérie à 100 %. Le fait de rechausser les patins sur un nombre de spectacles important (80/82), ce n’est pas rien, physiquement et psychologiquement. Cela fait un an que je m’entraîne.
En première partie, on a la Sarah flamboyante qui patine en solo, et ensuite on a les lumières qui commencent à se fermer, avec une musique mystérieuse. Vingt patineurs arrivent avec des élastiques, et je vais être enfermée dans une toile d’araignée, avant d’essayer de m’en sortir.
La deuxième partie sera sur la chanson « Relève toi », de Lara Fabian. Je patinerai avec un tissu en forme de fumée noire, avant de m’envoler avec mes deux partenaires. C’est très symbolique. Je ne pouvais simplement pas revenir sur scène sans avoir ces deux tableaux qui retracent mon histoire.
Je veux continuer la prévention et la sensibilisation aux violences sexuelles sur la glace. Le fait qu’Holiday On Ice défende ce combat est honorable. Et surtout, c’est la première fois qu’une artiste sur glace va défendre la cause des violences sexuelles dans un numéro chorégraphique. »
SOUHAITEZ-VOUS VOUS EXPRIMER SUR LA MORT DE VOTRE ANCIEN ENTRAÎNEUR ? COMMENT VOUS SENTEZ-VOUS ?
Le fait qu’il n’y ait pas de procès est quelque chose de très difficile pour toutes les victimes de ce même agresseur. C’est une information qu’on doit digérer. L’instruction a duré trois ans et nous n’avions pas de réponse. C’est un temps long, très long. La justice est longue. Tout ce que je peux conclure, c’est que Dieu en a décidé ainsi et qu’il faut continuer le combat, personnellement avec mon association, et protéger la nouvelle génération.