Lorsqu’elle est nommée à la tête de la Mission Sport du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en 2013, Christine Kelly découvre un « angle mort » : le sport féminin n’a pas la place qu’il mérite à la télévision. Corriger cette injustice deviendra l’une de ses causes. La journaliste est aujourd’hui une figure de proue du combat pour l’égalité hommes- femmes dans le sport, en tant que présidente de la Fondation Alice-Milliat ou marraine du Salon international du sport au féminin (SISAF). Pourtant, Christine Kelly affirme ne pas être « féministe ». Son crédo : « Oui au coup de projecteur, non aux quotas ». Explications.
PROPOS RECUEILLIS PAR DAVID TOMASZEK
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.9 de juillet-août-septembre 2018.
• Christine Kelly, lorsque vous êtes apparue à l’antenne de LCI en 2000, bous avez fait figure d symbole. Vous êtes devenue la première femme noire présentatrice d’un JT en métropole. Aujourd’hui, cet événement n’en serait plus un. Quand aurons-nous également franchi le cap de l’égalité hommes-femmes dans la société en général et dans le sport en particulier ?
L’enjeu est bien celui-là : il faut banaliser ! Je suis très contente de ne plus être cette référence de la journaliste noire. Je me suis fait cette réflexion dernièrement. Je suis passée à l’antenne de LCI en tant qu’invitée, et la journaliste qui m’interrogeait était noire. Cela ne fait plus débat depuis de longues années ! Pour la cause des femmes il faut agir de la même façon. Il ne faut pas stigmatiser, mais au contraire banaliser. Arrêtons la Journée de la Femme ! Je suis contre le féminisme dans la revendication négative, mais je suis pour la reconnaissance. Oui au coup de projecteur, non aux quotas ! Mettons en avant les sportives et les femmes dans le sport qui le méritent. Donnons-leur leur chance quand elles ont la compétence. N’allons pas les chercher si elles ne l’ont pas. Je me suis beaucoup bagarrée au CSA sur cette question : on parle plus des sportifs hommes même quand ils perdent que des femmes quand elles gagnent. C’est injuste, donc il faut corriger cette injustice. Mais ne procédons pas par victimisation. Les femmes ont leur place dans le sport. La place qui leur revient. Pas à l’ombre du sport masculin. Soyons positifs et constructifs. Je suis pour le partage, l’égalité, l’évolution ensemble, la main tendue !
• Vous avez découvert cette question sportive à travers votre action au sein du CSA, avec notamment la création des « 24 heures du sport féminin ». Racontez-nous cet épisode.
Je ne connaissais rien au monde du sport avant que le président du CSA ne me propose la mission sport. Je l’ai presque vécu comme une punition (rires). A l’époque, il m’a dit « Mme Kelly, vous avez tellement bien réussi les temps de parole des politiques pendant la Présidentielle que je vous donne le sport ! » Cette mission apparaissait beaucoup moins prestigieuse que d’autres, « sur le papier ». Mais il avait raison. Il y avait TOUT à faire en la matière. Je me suis attelée à ce dossier, comme une journaliste. J’ai enquêté. J’ai frappé à toutes les portes. J’ai accumulé des centaines d’heures d’audition de tous les acteurs du dossier. Les présidents de fédérations étaient ravis : c’était la première fois qu’un membre du CSA les contactait ! Au fil de mes rencontres, j’ai ouvert les yeux sur plusieurs problèmes. La question très technique des brefs extraits a occupé une bonne partie de mon énergie. Mais j’ai aussi découvert un « angle mort » : rien n’était fait sur la question du sport féminin. Alors j’ai fait ce que je pensais être le plus efficace : fédérer. J’avais appris à faire cela sur d’autres dossiers comme la lutte contre l’obésité. J’ai mis tous les acteurs autour de la table : les instances sportives, les chaînes de télévision, les collectivités… Et nous avons créé les « 24 heures du sport féminin ». Il y a eu un avant et un après. Aujourd’hui, la question de la promotion du sport féminin est devenue l’affaire de tous.
« Je suis contre le féminisme dans la revendication négative, mais je suis pour la reconnaissance. Oui au coup de projecteur, non aux quotas ! »
• Vous avez ensuite assumé ce nouveau rôle d’égérie de la promotion du sport féminin en devenant présidente de la Fondation Alice-Milliat. Quel est le rôle de cette institution ?
Il s’agit de la première et unique fondation européenne consacrée au sport féminin. Le but est de promouvoir le sport féminin, le financer, attirer l’attention, le tout au niveau européen. On avance tranquillement mais sûrement. Cette fondation est encore très jeune. Nous l’avons lancée durant l’Euro 2016, en présence du président François Hollande. Lorsque l’on agit au niveau européen, les délais sont très longs, notamment pour les dossiers de collecte de fonds. Nous allons progressivement monter en puissance!
• Quelle est votre analyse du rapport des femmes au sport ?
Encore aujourd’hui, un jeune garçon va plus spontanément faire du sport qu’une jeune fille. Le sport est plus éloigné d’elle. Il faut que le monde sportif soit plus inclus dans la vie des femmes. Ce dont je rêverais, c’est d’emmener ma fille de 4 ans assister à une compétition sportive dans mon quartier, aussi simplement que l’on va assister à un spectacle ou participer à un atelier cuisine… Il y a un truc à faire dans la société qui transcende la question du sport. Ce concept d’une sortie en famille, c’est aussi encourager une équipe de quartier, susciter des vocations de sportives chez les jeunes filles… Tout est lié ! Par la promotion du sport dans la vie des femmes, on peut contribuer à l’amélioration de la société.
« Par la promotion du sport dans la vie des femmes, on peut continuer à l’amélioration de la société »
• Une question d’actualité pour conclure. Comment jugeriez-vous le bilan de Laura Flessel en tant que ministre des Sports ?
C’est une extrême fierté pour moi qu’elle ait été choisie ministre. Quand on dit « une sportive au sport » ça me révolte. Elle est LA sportive. Elle a été dans toutes les ins- tances du sport. Elle sait de quoi elle parle. Elle sait ce qu’est la détermination. C’est une femme engagée. Elle a beaucoup d’énergie. Elle est une spécialiste de tous les rouages du monde sportif (moi j’ai découvert tout ça au CSA, elle le connaît par coeur). Elle avait été marraine des « 24h du sport féminin ». Et en plus, elle est une vraie fierté pour la Guadeloupe !
L’hyperactive Christine Kelly
Pour réaliser une interview de Christine Kelly, il faut être noctambule ou matinal ! « Vous pouvez m’appeler cette nuit à 2h30 du matin, à 6h30 demain matin ou lundi à 22h ». Chers lecteurs je vais vous faire une confession : j’ai opté pour le troisième choix. L’emploi du temps de Christine Kelly est incroyable. Elle est très présente sur les plateaux de télévision et sur les ondes de radio. Notamment en tant que chroniqueuse dans l’émission Touche pas à mon poste mais aussi en tant qu’invitée sur les chaînes infos, en sa qualité d’experte de plusieurs sujets ou d’auteure d’essais à succès, comme cette récente biographie de François Fillon. Pourtant, c’est hors antenne que la vie professionnelle de Christine Kelly est plus active encore ! Présidente de musée, administratrice de fondations, chargée de mission, présidente de jury… On ne compte plus les « casquettes » de Christine Kelly. Mais sa préférée reste celle de maman. « Je suis heureuse d’être utile partout où c’est possible. Mais j’ai une fille de 4 ans et c’est ma priorité ! »
RUN FOR ALICE, l’événement-phare de la Fondation Alice-Milliat
Alice Milliat est au sport féminin ce que Pierre de Coubertin est aux Jeux Olympiques. Si le Baron a ressuscité les JO, les femmes n’y étaient pas les bienvenues. Alors Alice Milliat s’est battue ardemment pour que cela change. Grâce à son combat sans précédent, les femmes furent progressivement autorisées à participer à des épreuves olympiques. Pour mettre en valeur le sport féminin, la Fondation Alice-Milliat organise du 20 août au 20 septembre 2018 son grand défi solidaire. En 2017, le challenge connecté Alice-Milliat avait rassemblé 11.200 participants autour d’une cause : l’égalité dans le sport.