Du 7 juin au 7 juillet 2019, la France accueillera un événement exceptionnel : la 8e édition de la Coupe du monde féminine de football. Organisée dans neuf villes de l’Hexagone, la compétition ambitionne d’être une belle fête populaire où les Bleues tenteront de décrocher un premier titre international. Vice-présidente de la Fédération française de football et du Comité d’organisation local de la Coupe du monde de la FIFA, France 2019™, Brigitte Henriques a répondu à nos questions.
PROPOS RECUEILLIS PAR FLORIANE CANTORO
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N.9 de juillet-août-septembre 2018.


• Women Sports : Comment s’est dessiné le projet de candidature pour accueillir la Coupe de monde de la FIFA, France 2019™ ?
Brigitte Henriques : C’est le président de la Fédération française de football (FFF), Noël Le Graët, qui en est à l’initiative. Il est arrivé en Comité exécutif un jour en disant que c’était le moment pour nous d’accueillir le Mondial, que nous étions prêts pour ça. Nous avions un bilan plus que positif sur le football féminin. Nous étions cette fédération de 2 millions de licenciés dont seulement 3% de féminines qui, tout d’un coup, avait permis une réelle ouverture d’esprit et fait de la place aux femmes. Sur les terrains comme dans les instances. Tous les voyants étaient au vert. À nous de les rendre lumineux !
• Que représente l’organisation d’un tel événement pour le pays et plus largement pour le football féminin ?
Avec la Coupe du monde 2019, nous sommes engagés dans une cause qui dépasse largement le football, qui est la mixité des genres. C’est plus qu’un événement sportif, c’est un événement sociétal. Nous sommes conscients, depuis quelques années, que la FFF devient une véritable locomotive sur ces sujets-là. C’est une énorme responsabilité mais si le football, par le biais de cette Coupe du monde en France, pouvait donner cet exemple d’évolution, ce serait formidable ! Après évidemment, nous savons l’effet «booster» que peut avoir ce genre d’événement, surtout lorsqu’il est organisé à domicile. La France pourrait devenir la nation de référence du football féminin.
« La France pourrait devenir la nation de référence du football féminin »
• Quelle stratégie avez-vous en place pour faire de la Coupe de monde de la FIFA, France 2019™ une belle réussite ?
Nous avons défini quatre critères pour faire de la Coupe du monde un succès : la réussite sportive, la résonance nationale d’une fête populaire, le remplissage des stades et l’héritage. Nous avons compris qu’il fallait rapidement mettre en place une stratégie pour mobiliser les territoires. Pendant deux ans, de 2015 à 2017, nous avons plusieurs fois rendu visite aux villes candidates afin de solliciter les élus politiques locaux, aussi bien dans le domaine du football que dans les municipalités et les collectivités de la région. Nous leur avons fait comprendre qu’il ne fallait pas voir la Coupe du monde comme un simple événement sportif mais comme une réelle possibilité de dynamiser leurs territoires, de booster leurs politiques publiques, de valoriser leurs populations et d’en tirer des bénéfices. C’était le seul moyen pour qu’il y ait une véritable mobilisation populaire.

• Où en êtes-vous dans la préparation de l’événement à moins d’un an du coup d’envoi ?
Aujourd’hui, le gros travail de mobilisation est fait. Bien sûr, nous continuons de faire la promotion de la Coupe du monde dès que possible ! Nous sommes très satisfaits car les neuf villes que nous avons choisies [ndlr : Paris, Valenciennes, Le Havre, Reims, Rennes, Lyon, Grenoble, Montpellier et Nice] sont très impliquées dans le projet. Par exemple, cet été, elles mettront tous leurs événements estivaux aux couleurs de la Coupe du monde, pour sensibiliser les populations. Les comités de pilotage locaux continueront quant à eux de préparer le terrain. Aujourd’hui, on travaille plus sur des aspects techniques : en décembre, il y a eu le lancement médiatique de la Coupe du monde ; puis la présentation de la mascotte Ettie, fille du légendaire Footix, en avril ; et, enfin, le lancement du programme Volontaires en mai (2.500 bénévoles attendus). Les prochains rendez-vous seront l’ouverture de la billetterie mi-septembre (*) avec des tarifs accessibles pour un public familial et le tirage au sort à la «Seine Musicale» à Paris le 8 décembre. Entre temps, la Bretagne accueillera la Coupe du monde des U20 cet été (5-24 août), une sorte de répétition générale pour l’année prochaine.
« La Coupe du monde ne peut être réussie que si les stades sont remplis »
• La FFF parle également de laisser un «héritage» pour le football français en général et féminin en particulier. De quel héritage parte-t-on ?
L’important est de pouvoir accueillir et fidéliser les licencié(e)s post-Mondial. Pour cela, nous allons aider les clubs au niveau des infrastructures, qui sont souvent citées comme un frein à l’accueil des jeunes footballeuses (manque de terrains et de vestiaires). Aussi, les dispositifs du Fonds d’Aide au Football Amateur (FAFA), destinés aux 13 Ligues, 90 Districts et 17.000 clubs en France, seront revalorisés de 20% pour les projets qui s’inscrivent dans ce programme Héritage. Ensuite, nous voulons mettre le paquet sur l’encadrement. Nous allons faire exactement la même chose que pour l’Euro 2016 en créant des bons de formation à retirer auprès des districts. Cela permettra aux clubs qui souhaitent encadrer leurs structures féminines de former leurs équipes (diplômes d’entraîneurs, d’éducateurs). Des formations d’arbitres et de dirigeantes seront également disponibles. Enfin, des dotations matérielles seront également fournies : buts, terrains réduits, ballons, chasubles, etc.
• En 2011, vous êtes choisie par Noël Le Graët pour le poste de Secrétaire générale de la FFF en charge du football féminin. Sept ans après, le bilan de votre mission est plus que positif !
Le président Le Graët m’avait fixé comme objectifs d’atteindre les 100.000 licenciées, d’augmenter le nombre de femmes dans toutes les branches du football et, bien sûr, de gagner un titre avec l’équipe nationale et les sélections de jeunes. De 2011 à 2018, nous sommes passés de 53.000 à 130.000 joueuses ; de 28.000 à 35.000 dirigeantes ; de 700 à 900 arbitres ; et de 1.000 à 3.000 éducatrices. En tout, la FFF compte 165.000 licenciées aujourd’hui. Le nombre d’équipes féminines a également augmenté de manière significative, passant de 3.000 à 6.000, et 80% des clubs nationaux (hors Ligue 1 et Ligue 2) possèdent une section féminine contre seulement 44% en 2011. Nous avons atteint presque tous les objectifs, sauf le titre avec l’équipe première qui est quand même passée de la 9e à la 3e place au classement FIFA en quatre ans (actuellement 5e), ce qui reste un bilan plus que satisfaisant.
« La FFF compte aujourd’hui 130.000 joueuses licenciées, contre 53.000 en 2011 »
• Malgré ces belles avancées, il reste encore des combats à mener pour les femmes dans le milieu du football, notamment sur les postes de direction. Selon vous, faut-il en passer par des quotas pour faire avancer les choses ?
Sur le premier mandat (jusqu’en 2017), ma mission était quantitative. Il fallait créer un réservoir de femmes dans toutes les catégories du football car nous étions vraiment en retard par rapport aux autres nations. Nous parlions alors de « féminisation ». Aujourd’hui, nous sommes plus sur de la « mixité ». La loi 2014 sur l’égalité hommes-femmes portée par Najat Vallaud-Belkacem a permis à encore plus de femmes de prendre des responsabilités de haut-niveau dans les instances, les directions d’institutions, de clubs ou de ligues. Mais nous ne sommes pas pour imposer des quotas. Le choix doit se faire en fonction des compétences, pas du genre. Là où le président Le Graët donne l’exemple c’est que lui, à compétences égales, il choisit une femme. C’est ce qu’il a fait en me nommant secrétaire générale en 2011 – ce qui n’était jamais arrivé auparavant ! – puis vice-présidente en 2016, mais également avec Marie Barsacq (ancienne directrice générale adjointe en charge du football amateur), Florence Hardouin (directrice générale) et Corinne Diacre (sélectionneure de l’équipe de France féminine).
« La FIFA attend une audience d’un milliard de téléspectateurs pour la Coupe du monde »
• La féminisation du football avance, cela ne fait aucun doute. Mais on peut également y ajouter une médiatisation en constante progression.
Les choses progressent effectivement. On l’a vu récemment avec l’Olympique lyonnais féminin qui a fait la « une » du quotidien L’Équipe pour son record de cinq titres en Ligue des Champions. C’est quelque chose qui est de plus en plus fréquent. L’année prochaine, tous les matchs de D1 féminine seront diffusés sur Canal + le samedi à 14h30 avec en plus un multiplex. Les chaînes se sont battues pour décrocher cet appel d’offres ! [ndlr : M6 a hérité des matchs de l’équipe de France jusqu’en 2023, tandis que TF1 avait déjà acheté les droits de la Coupe du monde 2019]. Tout le monde a compris qu’il y avait un marché et qu’il ne fallait pas rater le train en marche. Sans cette médiatisation, nous n’aurions pas 165.000 licenciées à la FFF aujourd’hui. C’est de bon augure pour atteindre le milliard de téléspectateurs annoncé par Gianni Infantino pour la Coupe du monde 2019.

• Que ressentez-vous aujourd’hui, lorsque vous voyez les stades remplis, les joueuses reconnues, adulées et suivies par des millions de personnes sur les réseaux sociaux ?
C’est un pur bonheur évidemment. Je passe mon temps à filmer l’entrée des joueuses sur la pelouse des stades remplis où les drapeaux s’agitent dans tous les sens. J’en ai rêvé en tant que joueuse quand on partait aux États-Unis pour les matchs internationaux : c’était le paradis du football pour les filles là-bas, les stades étaient pleins. Nous nous demandions quand est-ce que nous allions vivre ça en France. Et aujourd’hui c’est le cas. Avec toutes les générations d’internationales, nous savons que nous avons contribué à cette histoire et c’est merveilleux. Avec la Coupe du monde de la FIFA, France 2019™, nous allons vivre quelque chose d’extraordinaire.
(*) Les billets pour la Coupe du monde de la FIFA, France 2019™ pourront être achetés sur le site FIFA.com à partir de mi-septembre.
Une vie dédiée au football
Joueuse, entraîneure, secrétaire générale puis vice-présidente de la Fédération française de football : depuis toujours, Brigitte Henriques consacre sa vie au football. Retour sur un parcours jamais bien loin des terrains !
• Comment vous est venue la passion du ballon rond ?
Je suis la cadette et la seule fille d’une famille de six enfants où tout le monde jouait au football. C’est donc tout naturellement que j’ai attrapé le virus familial ! Ça a commencé par des concours de jonglage dans le garage avec mes frères. Puis, vers 7-8 ans, j’ai voulu m’inscrire dans le club où jouaient mes aînés, dans les Yvelines, mais il ne prenait pas les filles. J’ai dû attendre qu’on déménage à Poissy pour pouvoir m’entraîner en club. Là-bas, il y avait une structure féminine qui existait déjà avec une soixantaine de licenciées. J’avais 12 ans.
• Quel a été votre parcours footballistique ensuite ?
J’ai joué à Poissy pendant presque 10 ans. Ensuite, j’ai intégré le club de Juvisy avec lequel j’ai remporté trois titres de championne de France en 1992, 1994 et 1996. Puis, comme j’étais très amie avec Corinne Diacre avec qui je jouais en équipe de France depuis mes 17 ans, j’ai terminé ma carrière par deux saisons à Soyaux (1997-1998 et 1998-1999).
• Quel souvenir gardez-vous de cette époque ?
Depuis l’âge de 8 ans, je réclamais de pouvoir faire comme mes frères : jouer en club, m’entraîner et faire des tournois. À partir du moment où ça a été le cas, c’était juste extraordinaire. J’ai vécu des choses fabuleuses grâce au football, notamment avec Juvisy. On avait une équipe formidable. On était un peu l’Olympique lyonnais de l’époque : on gagnait tous nos matchs. Porter le maillot bleu a également été un immense bonheur. Au-delà du sport, le football m’a permis de créer des liens qui ne se sont jamais dénoués. C’est une grande famille.
• Comment êtes-vous passée de joueuse à vice-présidente de la FFF ?
En 1999, j’ai arrêté le haut-niveau car j’avais envie de fonder une famille. Ça n’a pas été facile. C’est sans doute pour cela que je suis très rapidement revenue dans le giron du football. En 2003, je suis allée toquer à la porte du District 95, dans le Val-d’Oise, en demandant d’encadrer une sélection départementale ou régionale de jeunes filles puisque, en même temps que j’étais joueuse et professeure d’EPS, j’avais passé mes diplômes d’entraîneure. Très vite le président du District m’a demandé d’intégrer la commission technique, puis le comité directeur, ce qui m’a permis d’avoir une première expérience politique. Je suis restée dans ce District de 2004 à 2010. Dans le même temps, Gérard Prêcheur m’avait confié le poste d’adjointe au Pôle France de Clairefontaine où j’ai eu la chance d’encadrer la génération dorée de Camille Abily, Laure Boulleau, Sabrina Delannoy ou encore Sarah Bouhaddi. J’ai également accompagné la section féminine du PSG de 2008 à 2010. Puis, en janvier 2011, Noël Le Graët m’a téléphoné pour me demander de le rejoindre sur sa liste. C’est comme ça que l’aventure FFF a commencé.