Cet article fait suite à notre dossier Les femmes sont-elles plus dopées que les hommes ?
Le dopage n’est pas que l’apanage des champions. Ces dernières années, les affaires de dopage de sportifs amateur ont fait grand bruit. Ils sont accros au sport mais pas seulement. Ils veulent pouvoir se dépasser et atteindre le niveau de leurs idoles, parfois au péril de leurs vies.
Nous débutons notre enquête dans la salle de sport du quartier. Le gérant bodybuildé réagit de prime abord de façon convenue : «pas de dopage ici, que de l’entraînement tous les jours». Mais Saïd, un membre de la salle, nous rattrape à la sortie : «Si, si ça se dope ici, les muscles de certains ce n’est pas que de l’entrainement.» Il s’amuse à nous préciser que «pour les garçons encore ça passe, c’est discret, mais les filles quand tu passes de Barbie à Schwarzie, là il y a pas de doute». Et s’il y a bien un sujet tabou dans le sport, c’est le dopage. Après plusieurs refus de coachs ou de sportives de nous répondre, certaines ont accepté de nous raconter leur histoire sous couvert d’anonymat (les prénoms et photographies ont été volontairement modifiés).
Temoignages recueillis par camille Journet
Julie, athlète : «Mon coach m’a dit : “Tout le monde le fait”»
Julie, 25 ans, a fait de l’athlétisme pendant 5 ans, s’est dopée pendant 4 ans.
« Le dopage, c’est un mot doux. Je me suis dopée, ça fait moins trash. Les sportifs se dopent ? Non, on se drogue ! Faut mettre les bons mots sur ce qui est. Je déteste parler de cette période car je n’en suis pas fière du tout. Le dopage pour moi ça n’a pas été un parcours de santé, loin de là. Je faisais de l’athlétisme. Mon frère était un champion de sport, l’enfant idéal pour ma mère, et moi j’étais derrière, la fille qui n’est pas capable et qui joue à la poupée. Mon frère lui me disait de ne pas prendre en compte les remarques et plutôt de profiter de mon adolescence, que le sport ce n’est pas la vie. Mais moi je voulais montrer ma valeur. Être l’Usain Bolt au féminin. J’avais 16 ans et en moins de 6 mois, mon coach m’a dit «tu veux réussir ? Alors fais ce qu’il y a à faire, tout le monde le fait». On a envie de satisfaire tout le monde, on fait les compétitions mais on a le droit au regard du «c’est tout ? J’attendais mieux de toi». Alors tu prends. J’ai eu des injections et des pilules: glucocorticoïdes (cortisone), amphétamine, éphédrine. Tout ça je le prenais à l’entraînement pour faire des cures, jamais avant une compétition au cas où. On se sent plus forte, on éclate nos scores mais on remarque très vite quand un produit nous va pas, crampes, blessures types lésion, alors on change de programme. Je ne m’en occupais pas, le coach le faisait à ma place. J’en voulais toujours plus et lui me disait d’y aller mollo. C’était sûrement mieux que ce soit lui qui gère. Et puis il y a eu 2011, mon frère était las du sport et a envoyé ma mère balader. Et miracle, je suis devenue le centre de l’attention. Si j’avais su… Elle a viré mon coach et a commencé à jouer les petits chimistes. Trois mois plus tard, je faisais un malaise cardiaque. J’étais à peine remise que ma mère voulait que j’y retourne. J’ai coupé les ponts, et mon ancien coach m’a trouvé un endroit pour faire mon sevrage. J’ai laissé les baskets pour la natation et là c’est pour le plaisir. A part le cœur, pour le moment je n’ai rien, je pense que les dégâts, je les sentirai en vieillissant. »
Elina, danseuse : «J’aurais pu mourir»
Elina, 28 ans, fait du ballet depuis l’enfance, a utilisé des produits dopants pendant 8 ans.
« Je fais du ballet depuis l’enfance. Mes parents se sont démenés pour m’offrir les meilleures formations. Il a fallu attendre le collège pour que je sente une certaine pression de leur part. Ma mère était confrontée au club des mamans, des femmes sévères avec leurs enfants qui en font des petites filles hautaines mais compétentes, vous voyez le genre ? Car dans le ballet il y a une très forte compétition entre filles. Un jour vous êtes amies, le lendemain c’est la guerre, car « tu lui as piqué sa place alors que tu es bien moins bonne qu’elle ». Je précise bien « entre filles », car chacun a sa place dans une troupe, et tu ne vas pas prendre celle d’un garçon ou inversement.
Tout ça pour dire qu’en danse on subit beaucoup de pression, le respect du poids, de lourds entraînements répétitifs, le regard des parents et des professeurs, il faut avoir du caractère pour tenir. J’ai commencé je devais avoir 16 ans, je suivais ce que vous appelez en France une formation sport-école. On sortait du 3eme entraînement de la journée, je crois, et j’étais épuisée. Une fille est venue me voir et m’a dit «si tu commences déjà à être fatiguée tu ne tiendras jamais». Le lendemain, elle m’a donné un sachet avec plusieurs pilules, je devais en prendre trois et ça irait. Quand j’y repense je ne sais toujours pas ce qu’il y avait dedans, sûrement des stimulants, mais j’étais fatigué et après les avoir prises j’aurais pu courir un marathon. Au début c’est les copains qui fournissent puis très vite, on traite directement avec le fournisseur. On en prend pour contrer la fatigue, puis pour la concentration, puis la maîtrise du poids, puis contre la douleur, enfin on trouve toujours une nouvelle excuse. On monte vite en grade, après des petites soirées, alcool, cocaïne. On ne mélangeait jamais les deux sinon tu es bonne pour une overdose, et c’est entre quatre planches que tu finis, pas dessus. Par contre, il y avait un cocktail que je faisais très souvent pour perdre du poids : alcool, coupe faim et diurétique. Mes reins aujourd’hui ne me remercient pas. J’ai très vite eu le sentiment que dès que je n’en prenais pas, mon niveau baissait. C’était une illusion. Je suis à peu près sûre que certains professeurs savaient que certains se dopaient, mais fermaient les yeux. Par contre, quand quelqu’un se faisait prendre tu fermais ta gueule et tu faisais le mort quelques jours, car là c’est la psychose pendant un bon bout de temps. Il ne faut pas généraliser: tout le monde ne se dope pas. Les trois quarts ont une vie « saine », un peu d’alcool peut-être, mais leur hygiène de vie est telle qu’ils n’ont pas besoin de ces saloperies. Il faut dire qu’aujourd’hui les compagnies et les écoles font bien plus attention et on est vite repéré. Pour moi quand on se dope, c’est un manque de confiance en soi. Je me suis arrêtée le jour où j’ai compris que ça me faisais plus de mal que de bien, quand un médecin m’a annoncé que je risquais de ne pas pouvoir avoir d’enfants. J’ai annoncé à mes parents que je me dopais. J’ai cru qu’ils allaient avoir une attaque. Mon père m’a installée de force dans la voiture et m’a déposée dans un centre, et je le remercie. J’ai arrêté après une cure de 9 mois. Avec le recul je me rends compte à quelle point ce que j’ai fait est grave. J’aurais pu mourir! Je m’en suis sortie assez vite mais je suis une exception. Certains sortent d’un an de cure et il leur faut moins d’une semaine pour se retrouver avec une aiguille dans le bras. Moi aussi, parfois, je me pose des questions, est-ce que je vais faire une rechute? »