En 2022, Elodie Bonafous est devenue la deuxième femme, après la Britannique Clare Francis en 1975, à monter sur un podium de la prestigieuse Solitaire du Figaro. La Finistérienne du groupe Quéguiner – La Vie en Rose ne cesse de repousser les limites de son corps. Ses difficultés, ses exploits, la skipper est revenue sur ses plus grands souvenirs de voile. PROPOS RECUEILLIS PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS N°30.

WOMEN SPORTS : COMMENT AVEZ- VOUS DÉCOUVERT LA VOILE ?
ELODIE BONAFOUS : J’ai un papa passionné de voile amateur. Il avait un tout petit bateau. Quand j’étais petite, je le voyais charger l’annexe. Alors, je mettais mon imper, mes bottes et j’allais me cacher dans la voiture dans l’espoir qu’il m’amène avec lui. Nous faisions des petites croisières en famille, sur un voilier qui n’avançait pas du tout (rires). J’ai directement accroché à la sensation de navigation, la liberté que cela procure d’être en mer.
ET AUJOURD’HUI, COMMENT SE DÉROULE VOTRE PRÉPARATION ?
Toute la trêve hivernale, nous la passons hors de l’eau, à s’occuper de la partie technique. La course au large reste un sport matériel, dans lequel celui ou celle qui a le mieux entretenu son bateau performera mieux. L’hiver, c’est aussi le moment de revoir des formations. La météo par exemple. Une fois en mer, nous n’avons pas de prévisions. Nous faisons les nôtres en fonction du peu d’éléments visuels que l’on a afin d’axer au mieux notre stratégie. Il faut être le plus autonome possible. Même sur les outils de calculs, les logiciels, les formations techniques comme de savoir réparer une voile. Si nous nous blessons, il faut aussi réussir à se soigner…
QUEL EST VOTRE ADVERSAIRE NUMÉRO 1 ?
L’ennemi numéro un du skipper, c’est souvent lui-même. Nous sommes au contact des autres bateaux, nous voyons leurs résultats, leur vitesse en temps réel. C’est prenant mentalement. Puis il y a la fatigue. Lors d’une course comme la Solitaire du Figaro, nous sommes 5 jours d’affilée en mer, 24h/24. Le temps d’une sieste est de 20 minutes. J’essaye d’en faire au moins 4 ou 5 par tranche de 24h. Sur l’étape entière, nous ne dormons même pas l’équivalent d’une nuit à terre. On arrive à s’entraîner pour être au top techniquement, mais lorsqu’on y ajoute la fatigue et la météo, cela change complètement la physionomie de la course.
VOUS EST-IL DÉJÀ ARRIVÉ DE TOMBER DE FATIGUE ?
Cela arrive souvent oui. J’ai des petits black-out de 5-10 minutes où je tombe et me réveille. Sans conséquence. Mais il y a des marins qui s’échouent à ce moment-là. Avec l’expérience, j’arrive à m’écouter et à me reposer au bon moment. C’est le jeu de la ligne rouge.

« J’AI DES PETITS BLACK-OUT DE 5-10 MINUTES OÙ JE TOMBE, ET JE ME RÉVEILLE. SANS CONSÉQUENCE. »
AVEZ-VOUS DÉJÀ FRANCHI CETTE FAMEUSE « LIGNE ROUGE » ?
Oui… C’était à la fin de ma deuxième Solitaire du Figaro. Lors du tout dernier jour, la fatigue était intense, il faisait chaud. J’ai atteint un niveau d’épuisement tel qu’il s’est vraiment passé des choses bizarres. D’un coup, je ne contrôlais plus rien. Je suis entrée dans un état de transe. Je tremblais, je n’avais plus le contrôle. J’étais assise à la barre du bateau et j’ai ressenti comme une espèce de chorégraphie musicale. Mon corps faisait les choses tout seul. Je paniquais dans ma tête : ‘Je ne contrôle plus rien’. Cela a duré deux heures, et quand cela s’est terminé je me suis allongée. Je pensais sincèrement que je n’allais pas me réveiller, que j’allais mourir.
FINALEMENT AVEC L’ADRÉNALINE VOUS AVEZ TERMINÉ LA COURSE, C’ÉTAIT UNE EXPÉRIENCE TRAUMATISANTE ?
Non justement. J’allais vraiment vite, je gagnais des places, la chorégraphie bizarre n’était pas désagréable sur le coup. Je me suis endormie à l’hôtel et le lendemain je me suis réveillée avec des crises d’angoisse. C’était un besoin de retrouver l’état dans lequel j’étais la veille. Je n’avais rien à faire dans cette chambre. Il fallait que je retourne en mer. La course ne pouvait pas être finie, cela n’avait aucun sens. J’étais perdue.
VOUS AVEZ AIMÉ ?
J’avais l’impression d’avoir reçu une immense dose de dopamine. Oui j’ai aimé. C’était particulier et flippant mais tout coulait naturellement. C’est la fois où je me suis poussée le plus loin dans mes retranchements. Mon corps et mon esprit s’étaient dissociés pour puiser le fond de l’énergie qu’il me restait…
VOUS AVEZ AUSSI VÉCU DES MOMENTS EXTRAORDINAIRES ?
J’ai vu une baleine l’année dernière en remontant du Portugal. J’ai attendu ce jour presque toute ma vie. Parfois nous avons du mal à nous détacher du rythme de la course. Mais quand on voit ça, il n’y a pas le choix. Les couchers et levers de soleil, les paysages, sont des moments majestueux.
« J’irai au Vendée Globe pour gagner »
Compétitrice dans l’âme, Elodie Bonafous a, avec Quéguiner – La Vie en Rose, « lancé un projet Vendée Globe 2028 avec la construction d’un bateau ». À bord d’un voilier « neuf et très performant », la Bretonne va réaliser un rêve de petite fille. «En 2001, à 6 ans, il y avait Ellen MacArthur, une Anglaise, qui avait terminé sur le podium. J’ai suivi tout cela avec tellement d’admiration », explique Élodie. À presque 30 ans, la skipper aura donc la possibilité de faire « comme » son idole, voire mieux : « J’irai pour gagner ».