Valenciennes en France, Ekaterinbourg en Russie, Uncasville dans le Connecticut, Fenerbahçe en Turquie et Los Angeles en Californie… le parcours sportif de Sandrine Gruda ressemblerait presque à un tour du monde ! Basketteuse aux quatre coins de la planète, l’intérieure de 30 ans, star de l’équipe de France, conjugue son sport sous toutes les cultures. Pour Women Sports, la globe-trotteuse du basketball nous livre ses découvertes.
Propos recueillis par Floriane Cantoro
Cette année, pour la première fois depuis neuf ans, vous avez joué sous d’autres couleurs que celles d’Ekaterinbourg (Russie). Comment s’est passée votre intégration à Fenerbahçe ?
Mon intégration au sein de l’équipe s’est très bien passée. On avait une équipe jeune et ambitieuse. Malgré des hauts et des bas, nous avons été présentes en finale de l’Euroligue [perdue contre le Dynamo Koursk, ndlr] et du championnat turc [perdue contre Yakin Dogu, ndlr]. J’ai vraiment passé de très bons moments dans cette ligue. D’un point de vue plus personnel, je me suis sentie très à l’aise en Turquie grâce au climat et à la gentillesse des gens. J’y ai découvert avec plaisir une certaine forme d’autonomie par rapport à la Russie où les joueuses sont extrêmement chouchoutées.
En Russie, le cadre était dont tout autre ?
En Russie, le club est aux petits soins de ses joueuses : on avait un chauffeur personnel, on voyageait en jet privé… Tenez, par exemple, lorsque nous étions en déplacement, en plus du logement et des repas pris en charge par le club (comme c’est le cas partout en Europe), on nous donnait également à chacune une somme d’argent pour pourvoir s’acheter un café ou manger quelque chose dans la journée. La première fois, j’ai été très surprise parce qu’ils nous ont donné un billet de 100€. Je me suis dit « Waouh, pour s’acheter un café c’est quand même beaucoup d’argent ! ». Aux États-Unis, ce procédé est justifiable car les joueuses doivent se débrouiller pour manger. Mais là, sachant que nos repas étaient déjà pris en charge par le club, c’était vraiment démesuré.
Qu’en est-il de la vie de basketteuse américaine ?
Aux États-Unis, on est en pleine immersion dans la culture américaine. À côté du basket, c’est tout un spectacle qui se déroule. Ils font tout pour qu’il y ait une ambiance de folie dans la salle. En Turquie aussi il y avait de l’ambiance parce qu’on avait un gros fan club qui nous supportait mais ce n’est pas pareil. Aux States, c’est un véritable show : il y a des danseurs, des jeux… plein de choses pour attirer, occuper et divertir le public pendant le match.
Existe-t-il des différences également au niveau du jeu ?
Ce sont deux styles de jeu différents. Le basket « à l’américaine » est plus individualiste ce qui permet de renforcer ses acquis, d’améliorer ses techniques et d’être plus fort dans les « 1 contre 1 ». En Europe, il est davantage tourné sur le collectif, sur la compréhension et la lecture du jeu. Le mariage des deux est le meilleur combo pour une basketteuse. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours voulu mener ce double challenge de jouer aussi bien en Europe qu’aux États-Unis.

Vous avez voyagé aux quatre coins du monde grâce au basket et ainsi découvert de nombreuses cultures. Laquelle vous a le plus marquée ?
J’aime beaucoup la mentalité des États- Unis. Là-bas, le sportif est admiré, chéri. Par exemple, quand on parle avec un Américain et qu’on lui dit qu’on a fait les Jeux Olympiques, tout de suite il écarquille les yeux : « Oh my God, I’ve an Olympic with me ! ». En France ou en Europe, on ne voit pas ce genre de réaction. Les Américains prennent la mesure de la compétition. Quand ils regardent les sportifs, ils voient des perspectives d’avenir, de la fierté… En fait, le sportif a une vraie place dans la société et ce, même après sa carrière.
Et la place de la « sportive », comment l’estimez-vous aujourd’hui ?
Je pense que les sportives occupent une trop petite place dans les esprits. Nous faisons une activité professionnelle qui demande de relever tous les challenges qu’un homme doit relever. Nous défendons les couleurs de la France dans le monde, au même titre qu’eux. Nous gagnons des trophées et détenons des records, au même titre qu’eux. Pourtant, nous n’avons pas la même médiatisation qu’eux, ni la même reconnaissance. Je trouve ça un peu dommage.
Est-ce la même chose pour toutes les cultures au sein desquelles vous avez été immergée ?
Non. En Turquie, par exemple, les basketteuses sont plus médiatisées. Cela s’explique par une différence de fonctionnement des clubs : en France, nous sommes sur des bases associatives alors qu’en Turquie ce sont des clubs privés qui, pour bon nombre d’entre eux, sont omnisports. Par conséquent, ils sont beaucoup plus présents dans le paysage sportif. Par exemple, Fenerbahçe est une structure énorme : le club a sa propre télévision, sa propre radio, son propre journal… Il a mis les bouchées doubles pour médiatiser ses joueurs. Et, en plus de ça, les grosses chaînes sportives turques diffusent nos matches en direct, même celles qui ne sont pas spécialisées dans le basket. C’est comme si, en France, une grosse chaîne de sport généraliste diffusait du basket féminin. Or, ça n’existe pas.
Au moins de mai, vous avez reçu votre bague de championne WNBA avec les Sparks de Los Angeles des mains de Magic Johnson. Vous êtes la première « Frenchie » à décrocher ce titre. Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?
J’ai ressenti beaucoup de joie parce je joue en WNBA depuis 2008 et gagner un titre dans cette ligue a toujours été un objectif. Je suis très contente et très fière de l’avoir atteint. Je suis également très fière de pouvoir ouvrir la voie à d’autres jeunes, à d’autres joueuses qui pourraient avoir envie de faire carrière aux États-Unis et de gagner un titre là-bas.
Est-ce le plus beau trophée de votre carrière ?
Esthétiquement, oui c’est le plus beau (rires). Les Américains ne font pas dans le détail !! La bague est vraiment très belle. Mais ce n’est pas « le » plus beau trophée de ma carrière en soit. Disons plutôt qu’il rejoint un lot de titres que j’affectionne énormément et qui ont de belles significations pour moi : le titre de championne d’Euroligue avec Ekaterinbourg en 2013, le titre de vice-championne olympique avec les Bleues à Londres en 2012 ou encore celui de championne d’Europe en 2009.
Cette année, vous n’avez pas participé à l’Euro 2017 sous le maillot des Bleues.
Non, car cet été, je me marie en Martinique. Avec l’âge, je me rends compte qu’il y a des choses tout aussi importantes que le basket dans la vie. Bien sûr, cela n’a pas été une décision facile car je porte le maillot de l’équipe de France depuis 10 ans maintenant et il est très cher à mes yeux. Mais l’équipe de France je lui dis seulement « à l’année prochaine » !
SANDRINE GRUDA, en bref
Née le 25 juin 1987 à Cannes, Sandrine Gruda grandit en Martinique avec ses sœurs et son père, Ulysse, ancien pivot international qui lui transmet la passion du basket. À 15 ans, elle regagne la métropole, fait halte à Toulouse avant de filer à l’INSEP. En 2005, la majorité tout juste en poche, elle fait ses premiers pas dans le championnat professionnel avec Valenciennes et devient très vite un élément majeur de l’effectif. Après deux saisons dans le club du Nord, elle suit son entraîneur Laurent Buffard recruté par le club russe d’Ekaterinbourg. Elle passe neuf saisons sous ce maillot, et remporte six fois la Superligue russe et un titre de championne d’Euroligue en 2013. Parallèlement à ses saisons en Europe, Sandrine Gruda intègre le championnat américain de WNBA chez les Sun du Connecticut d’abord (de 2008 à 2010) puis les Sparks de Los Angeles avec lesquels elle remporte le titre de championne WNBA en 2016. Cette même année, elle quitte Ekaterinbourg pour rejoindre le club turc de Fenerbahçe où elle dispute deux finales en une saison. En sélection tricolore depuis 2006, elle participe au sacre européen des Bleues en 2009 et à la médaille d’argent des Jeux de Londres en 2012.