À 29 ans, Margot Garabedian court, nage, pédale – mais surtout, elle construit des ponts. Entre deux pays, deux cultures, deux rêves. Triathlète professionnelle, championne du monde d’aquathlon en 2021, elle a choisi en 2023 de défendre les couleurs du Cambodge, terre d’accueil qui lui a offert une nouvelle vie et une mission qui dépassent le sport. PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS N°38.
« J’étais nageuse surtout à la base, raconte-t-elle. Puis au lycée j’ai eu la possibilité de tester le triathlon. Le fait de pouvoir pratiquer plusieurs disciplines en une, d’être encore plus polyvalente, j’ai trouvé ça génial. À partir de la fac, le triathlon a pris presque toute la place. »
À force de travail, la Française d’origine arménienne se forge un palmarès solide et atteint un premier sommet : un titre mondial d’aquathlon en 2021. « Un premier très gros accomplissement, qui m’a confirmé que j’avais choisi la bonne voie. »
Le choix du Cambodge : courir pour un rêve
Jusqu’en 2022, Margot porte le maillot tricolore. Mais en 2023, elle prend une décision radicale : représenter le Cambodge.
« La volonté pour moi était surtout de poursuivre mon rêve. Ils m’ont proposé un très beau projet, et j’ai accepté. Je voulais pouvoir courir tous les jours, m’entraîner et viser une qualification aux Jeux Olympiques. Ils me le permettent. » Un choix d’abord sportif. Certes. Mais très rapidement c’est l’humain qui l’a marqué. « La première fois que je suis allée au Cambodge, j’ai été marquée par la générosité des gens. C’est souvent ceux qui ont le moins qui donnent le plus. Dès la première semaine passée avec l’équipe, certains se sont mis à pleurer au moment de me dire au revoir. Ils étaient réellement tristes. Je me suis sentie tellement bien accueillie que j’ai eu envie de leur rendre. »
« Porter ce drapeau, c’est aussi donner de la visibilité au triathlon »
Rapidement, Margot se rend compte que le sport au Cambodge reste un privilège. « Ce n’est pas une priorité, lance-t-elle. L’accès au triathlon, et même au sport en général, est surtout réservé aux plus aisés. » Alors, par des gestes concrets, elle s’engage. « Au lieu de revendre mes affaires d’entraînement, je les donne. Et même si je n’ai pas le temps de créer une association, j’essaye de m’impliquer dans celles qui existent déjà, notamment pour promouvoir le sport auprès des femmes et des jeunes filles. Cela passe par des choses très simples : montrer qu’une fille peut faire du sport pendant ses règles, que c’est possible, que rien n’est interdit. Si ne serait-ce qu’une jeune cambodgienne tente l’aventure, j’aurais réussi. »
Dans un pays encore marqué par le poids de son histoire, notamment le génocide des Khmers rouges, son rôle dépasse le cadre sportif. « Porter ce drapeau, c’est aussi donner de la visibilité au triathlon et aider, à mon niveau, au développement d’infrastructures ou à l’accès au matériel. J’ai par exemple créé le compte Instagram de la fédération cambodgienne de triathlon. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est un début pour faire connaître cette discipline. »
L’or historique des Jeux d’Asie
Et cet amour, Margot l’a transformé en performance. Mai 2023 reste sans doute la date la plus marquante de sa jeune carrière cambodgienne. Lors des Jeux d’Asie du Sud-Est, organisés à domicile, Margot décroche la première médaille d’or de l’histoire de la Fédération cambodgienne de triathlon. « C’était un moment incroyable. Je savais que j’avais de vraies chances, mais il fallait le faire. Surtout à domicile, avec autant de public. Voir toutes ces personnes à l’arrivée, dans les rues, partager cette joie immense parce qu’une athlète avec le maillot du Cambodge venait de gagner… C’était super émouvant. Ça me marquera pour toujours. »
Objectif Los Angeles
L’avenir, elle le trace avec lucidité. « À partir de mai 2026 commencent les qualifications olympiques pour Los Angeles. Et mon objectif, c’est clairement d’en être. » Entre la France et le Cambodge, entre l’effort et l’engagement, Margot Garabedian écrit une trajectoire singulière. Celle d’une femme qui court pour son rêve, rattrapée par l’émotion et l’humain. « Repousser mes limites, c’est ce qui m’épanouit le plus. Mais si au passage je peux inspirer d’autres, notamment des jeunes filles cambodgiennes, alors mon parcours prend tout son sens. »
