Karine Joly et Greg Crozier, partenaires dans les airs comme dans la vie, comptent plus de 6 000 sauts et un palmarès à couper le souffle. Véritable star de Freefly (« chute libre »), le couple a mis du temps avant de se faire une place au sein de cette communauté. Rencontre avec Karine Joly, auteure du livre « La liberté de gagner ». Cette femme qui a cassé les préjugés pour devenir incontournable dans son sport…PROPOS RECUEILLIS PAR ARIS DJENNADI. Extrait du WOMEN SPORTS N°23.
WOMEN SPORTS : C’EST UN MILIEU ASSEZ MASCULIN, D’AILLEURS VOUS ÊTES LA 3E FEMME À REMPORTER LE TITRE MONDIAL. COMMENT VOUS ÊTES-VOUS FAIT VOTRE PLACE ?
KARINE JOLY : Je dirais « C’était un mi- lieu très masculin », puisqu’il a évolué ces dernières années. Aujourd’hui, nous avons 30 % de femmes adhérentes et pratiquantes régulières. Selon les disciplines, il est possible d’avoir une majorité d’hommes. Si l’on prend le Freefly, il y a encore trop peu de femmes car ça demande énormément d’efforts avant d’arriver à un niveau de maîtrise et certaines n’ont pas l’envie nécessaire pour l’atteindre. En 2004, lorsque j’ai commencé, j’ai été la cible de quelques remarques sexistes mais je ne pense pas que le but était de me blesser. Ils étaient plutôt mal à l’aise de voir des femmes faire mieux qu’eux. J’ai pris ça comme de la maladresse. Heureusement, aujourd’hui, je n’en n’entends plus.
QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE UN DUO MIX ET 100 % MASCULIN ?
Dans la catégorie Freefly, un duo masculin réalise des mouvements avec de la force en utilisant physique et puissance, tandis que les femmes apportent plus de la poésie, de douceur à la discipline.
LORSQUE VOUS AVEZ DÉMARRÉ, IL N’Y AVAIT PAS DE MODÈLE FÉMININ. AUJOURD’HUI, SERIEZ-VOUS PRÊTE À ASSUMER CE RÔLE POUR CELLES QUI SOUHAITENT SE LANCER ?
Je pense que cela m’aurait bien aidé au démarrage d’avoir des conseils de femmes, notamment lorsque j’ai pris des cours de techniques car notre musculature est différente des hommes. Aujourd’hui, je suis prête à assumer ce rôle. Je commence déjà en donnant des cours avec Greg dans des simulateurs de vols.

VOUS AVEZ REMPORTÉ DE NOMBREUSES COMPÉTITIONS AVEC GREG CROZIER. POURQUOI EST-CE UN DUO QUI MARCHE SELON VOUS ?
Nous avons transformé notre faiblesse en force. Pour la chute libre, lorsque deux personnes ont le même gabarit, il est beaucoup plus facile de se retrouver au même niveau dans le ciel. Cela demande moins d’adaptation. Or, nous sommes un duo mixte avec 20 kg d’écart ! Il a notamment fallu que j’apprenne à accélérer, Greg à freiner. Nous avons utilisé les forces de chacun pour créer des figures qui sont devenues des signatures.
VOUS ÊTES EN BINÔME AVEC LA PERSONNE QUI PARTAGE VOTRE VIE. PAS TROP DIFFICILE À GÉRER AU QUOTIDIEN LA VIE SPORTIVE ET LA VIE PERSO ?
Nous nous connaissons par cœur Greg et moi. On sait reconnaître lorsque l’un de nous a besoin de respirer. Tout se passe pour le mieux. Cependant, je comprends que, pour notre analyste vidéo, la situation soit compliquée par moment.
DANS LES AIRS, COMMENT AVEZ-VOUS RÉUSSI À TROUVER UNE ALCHIMIE ?
Nous avons effectué de nombreux sauts pour répéter. Nous avons la chance de pouvoir utiliser des simulateurs de chute libre (« wind- tunnel »). Il y en a un peu partout en France mais ça ne remplace jamais les sauts à partir d’un avion.
QUEL EST LE SECRET DE VOTRE LONGÉVITÉ ?
L’envie et le mental. Nous avons eu un par- cours compliqué car nous sommes arrivés dans les compétitions en ne connaissant pratiquement personne. Il a été difficile de faire notre place dans cette communauté. On a vécu quelques injustices comme de nous avoir empêché de participer à des compétitions pendant cinq ans.
VOUS N’AVEZ JAMAIS DOUTÉ, EU ENVIE DE TOUT ARRÊTER ?
L’avantage d’être en binôme, c’est l’entraide. On s’encourage lorsque l’un faiblit sur le plan mental. Plusieurs fois, je me suis dit que ça ne servait à rien, que ce n’était pas l’idée que j’avais du parachutisme, mais Greg a toujours trouvé les mots pour me motiver, jusqu’au moment où nous avons rem- porté le championnat du monde…
LE FREEFLY EST UNE DISCIPLINE DANGEREUSE. VOUS PENSEZ AUX RISQUES AVANT LES COMPÉTITIONS ?
Il y a différentes phases. Lorsque l’on dé- bute, on se demande si l’on va survivre mais avec l’expérience, on estime que les compétitions sont suffisamment sécurisées. À partir de ce moment-là, on gagne un peu en sérénité. On a pleinement conscience du danger, ce qui nous permet de pouvoir réagir en cas de problème. Aujourd’hui, la discipline est extrêmement encadrée, surtout en France.
APRÈS TANT D’ANNÉES DE VOL ENSEMBLE, QU’EST-CE QUI VOUS PLAIT TOUJOURS AUTANT ?
On ne se lasse pas de se jeter d’un avion. C’est la magie du parachutisme, chaque saut est différent car les conditions ne sont pas identiques. C’est palpitant car une fois que l’on ouvre la porte de l’avion nous sommes sur un coussin d’air et c’est à nous de jouer.

VOUS COMPTABILISEZ PLUS DE 6 000 SAUTS, CERTAINS SONT INOUBLIABLES ?
Nous avons eu la chance de faire des sauts spéciaux dans des endroits époustouflants comme au-dessus de la Grande Barrière de corail en Australie, sur les pyramides en Égypte. Ces moments restent gravés dans la tête, les yeux et le cœur.
QUELS SONT LES PROJETS POUR 2022 ?
2022 est une année riche en records du monde et de France. Au mois d’août à Chicago, on tentera de battre le record du monde de nombres de personnes en Freefly, on sera 200 ! Il y a également un record de France où nous seront plus de 50 parachutistes, une excellente nouvelle pour la discipline dans l’Hexagone ! Enfin, il y aura un record du monde féminin en Arizona à l’automne, où nous serons 102.
Dans trois ans, la ville de Paris accueillera les JO. Avez-vous une envie de voir le CIO intégrer votre discipline pour, pourquoi pas, remporter un jour l’or olympique ?
« Ce serait génial (rires) ! Effectivement, nous avons déjà essayé de présenter la soufflerie mais la discipline ne peut pas entrer dans le cadre olympique. On essaie de pousser pour le windtunnel. Nous allons à nouveau déposer des dossiers pour que cela se réalise, un jour… »