A bientôt 31 ans, l’Azuréenne qui n’abdique jamais sur un court de tennis, a coché une nouvelle ligne dans la liste de ses rêves. Celle de publier un livre entièrement écrit de sa plume. « Sans compromis » est sorti le 9 septembre 2020 aux éditions Amphora. Un ouvrage à mi-chemin entre autobiographie et carnet de bord intime, qui nous invite dans le quotidien d’une athlète de haut niveau. Joueuse au caractère bien trempé sur le court et femme apaisée en dehors, Alizé Cornet a accordé à Women Sports un entretien exclusif. Elle nous dévoile sa personnalité singulière, sa passion pour l’écriture et revient sur sa carrière. PROPOS RECUEILLIS PAR BASTIEN GUY
Extrait du magazine WOMEN SPORTS N°19 de janvier-février-mars 2021.
WOMEN SPORTS : L’ÉCRITURE D’UN LIVRE TE TROTTAIT-ELLE DANS LA TÊTE DEPUIS LONGTEMPS ?
ALIZÉ CORNET : Oui ! Cela a toujours été un rêve depuis l’enfance que d’écrire quelque chose. L’écriture a toujours fait partie de ma vie. Je voulais d’une manière ou d’une autre plonger dans ce monde-là. Je ne savais pas que ça allait se traduire par l’écriture d’un livre comme celui-là, sorte d’autobiographie ou de journal de bord intime, je ne sais pas trop comment le définir tellement il est atypique. En tout cas, quand j’ai commencé à me lancer dedans, ça m’est apparue comme une évidence. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai écrit ce livre aussi vite. J’ai été envahie par l’inspiration, l’envie d’écrire mon histoire, de raconter aux gens l’envers du décor.
EN LISANT « SANS COMPROMIS », J’AI ÉTÉ MARQUÉ PAR LES NOMBREUSES CITATIONS QUI JALONNENT LES CHAPITRES ET LES PAGES. VIS-TU AVEC CES CITATIONS DANS UN CARNET QUI T’ACCOMPAGNE ?
J’ai effectivement un carnet dans mon sac où j’écris énormément de choses, évidemment reliées au tennis. Pas forcément les citations que j’ai utilisées dans le livre. J’écris sur com- ment je me sens, ce à quoi je dois penser en match, à l’entraînement, à des schémas tactiques, de la technique, des impressions… Dans ce carnet j’écris un peu tout ce qui me passe par la tête. Il m’est déjà arrivé lors d’un match de le sortir et d’écrire à un changement de côté (rires). Pour « Sans compromis », j’ai trouvé qu’il était sympathique de démarrer chaque chapitre par une citation, pour donner un indice au lecteur. Je me suis amusée à faire ces petites recherches, j’aime beaucoup ça. Je suis moi-même une personne à citations !
TOUJOURS À PROPOS DE CITATIONS, J’AI ÉTÉ MARQUÉ PAR CELLE QUI ABORDE LE CHAPITRE AUTOUR DE TES PERSONNALITÉS DE JOUEUSE ET DE FEMME : « QUAND UN SCHIZOPHRÈNE, L’AUTRE ACCÉLÈRE ». AU-DELÀ DU JEU DE MOTS, COMMENT EXPLIQUES-TU CETTE DOUBLE PERSONNALITÉ. CETTE ALIZÉ AU CARACTÈRE BIEN TREMPÉ SUR LE COURT ET CETTE FEMME APAISÉE ET ATTACHANTE EN DEHORS ?
Cela demanderait une psychanalyse assez importante (rires). D’où ça vient ? Je ne sais pas trop mais ce que je sais c’est qu’à force d’y penser, j’ai compris les mécanismes qui se mettaient en place chez moi sur le court. Evidemment, il y a cette haine de la défaite, l’envie d’être la meilleure. Il y a aussi par- fois, et j’en parle beaucoup dans le livre, cette identification de notre personnalité à notre vie d’athlète. On ne s’aime finalement qu’à travers notre carrière tennistique, nos réussites et nos succès. On a du mal à s’aimer en tant que personne et ce phénomène m’a poursuivie pendant de longues années. C’est pour ça qu’à chaque fois que je commençais à perdre un match où quand je ne jouais pas bien, en étant pas vraiment fière de moi sur le court, j’avais une colère vraiment incroyable à l’intérieur de moi. C’était assez dur à vivre. Et c’est peut-être pour ça que maintenant que j’ai passé 30 ans, je suis plus apaisée vis-à-vis de ça, j’ai appris à m’aimer indépendamment du tennis. On ne le dira jamais assez mais c’est hyper important, avant toute chose, de s’aimer soi-même.
DANS LES MOMENTS FORTS DE TON LIVRE, TU ÉVOQUES CETTE POLÉMIQUE GÊNANTE À L’US OPEN EN 2018 OÙ TU AVAIS CHANGÉ UN T-SHIRT QUE TU AVAIS MIS À L’ENVERS. CE GESTE T’AVAIT VALU D’ÊTRE SANCTIONNÉE PAR UN JUGE POUR « COMPORTEMENT ANTI- SPORTIF ». HEUREUSEMENT, LE TOURNOI S’ÉTAIT EXCUSÉ PAR LA SUITE. TU PEUX REVENIR SUR CET ÉPISODE ?
Je l’ai vécu comme un scénario de mauvais film. Je ne comprends vraiment pas ce qu’il se passe. En plus, j’avais perdu ce match en question sous une fournaise pas possible, il faisait 45 degrés à New York, j’avais complètement explosé physiquement au troisième set. Alors il y a cette histoire où je ressors des toilettes au début du troisième set, j’avais mis mon t-shirt à l’envers. Tout naturelle- ment, je me tourne, je l’enlève et je le remets en une demi-seconde. J’avais ma brassière en dessous, pas de soucis. Et là en fait, l’arbitre a paniqué. Il m’a mis un code violation pour comportement anti-sportif. Sur le moment je ne comprends pas mais je me dis que ça ne sert à rien de s’attarder dessus. Après le match j’ai vu les proportions que ça avait pris sur les réseaux sociaux avec ces ré- actions des quatre coins du globe accusant l’arbitre d’avoir eu une attitude sexiste à mon égard. Je me rends compte de l’absurdité de la situation quand on voit tous ces garçons qui se changent sur le terrain, qui se mettent torse nu et qui se pavanent parfois sans problème. Moi, on avait vu un petit bout de mon dos pendant un quart de seconde et ça a fait disjoncter l’arbitre. C’est là où on voit à quel point il y a deux poids deux mesures entre les filles et les garçons. J’ai fait profil bas, je ne savais pas trop comment gérer cette médiatisation forcée. Mais ce dont je suis fière et j’en parle dans le livre aussi, c’est que depuis cet épisode, une nouvelle règle a été ajoutée au code des Grand Chelem. Les femmes ont maintenant aussi le droit de se changer sur le court. Les consciences évoluent enfin et je me dis avec le recul que c’est une bonne chose que ce soit arrivé.
EVOQUONS CETTE ÉTRANGE ANNÉE 2020 QUE NOUS VENONS DE TRAVERSER. COMMENT AS-TU VÉCU LE PREMIER CONFINEMENT ?
Ce premier confinement a été étrange, comme pour tout le monde. Beau- coup de temps à la maison, très peu de sorties. J’ai de la chance, je n’habite pas loin de la mer à Cannes donc je pouvais aller me promener un peu le long de la plage. J’ai beaucoup lu, beaucoup écrit et fait beaucoup de sport. Pas de tennis parce que je n’avais pas le droit et je n’avais pas de courts à proximité. Mais j’ai fait énormément de gym avec les moyens du bord, avec des packs d’eau, des cordes à sauter, TRX, élastiques en tout genre… Je m’étais créée ma propre petite salle de gym. Finalement j’ai bien aimé ce premier confinement, ça m’a permis de faire un break, chose que je ne m’étais pas permis en quinze ans de carrière.
ES-TU SATISFAITE DE TES RÉSULTATS EN CETTE SAISON RACCOURCIE ? JE PENSE NOTAMMENT À CE TRÈS BEAU 1/8ÈME DE FINALE À L’US OPEN.
Globalement satisfaite de cette année 2020 que j’ai très bien commencée. Je trouvais que mon jeu avait vraiment évolué, j’étais sur une super dynamique et j’avais vraiment hâte de participer à Indian Wells suivi de Miami mais c’est pile à ce moment-là qu’on a été coupé dans notre élan donc c’était forcément frustrant. Mais après j’ai quand même réussi à bien rebondir en faisant une bonne tournée américaine avec un troisième tour à Cincinnati et un huitième à l’US Open, le seul huitième qui manquait à mon palmarès.
PARMI LES TRÈS GRANDS MOMENTS DE TA CARRIÈRE, IL Y A CETTE ÉDITION 2005 DE ROLAND- GARROS. TU TE FAIS REMARQUER PAR LES ORGANISATEURS QUI T’ATTRIBUENT UNE INVITATION. A 15 ANS, TU ES LA JOUEUSE LA PLUS JEUNE DU TOURNOI. TU PASSES LE PREMIER TOUR SANS ENCOMBRE AVANT DE T’OFFRIR LE LUXE D’AFFRONTER TON IDOLE AMÉLIE MAURESMO SUR LE LENGLEN. EN TERMES D’ÉMOTIONS ET DE SOUVENIRS, OÙ PLACES-TU CETTE RENCONTRE ?
C’était un début en fanfare ! C’était une première confrontation avec Amélie qui était magique. Du haut de mes 15 ans, j’avais fait le « job » en gagnant mon premier tour. Personne ne m’attendait à ce stade de la compétition ! Et là affronter sur le Lenglen ma référence au niveau français, numéro 3 mondiale à l’époque donc le haut du panier, c’était fou ! Et en même temps, j’avais vrai- ment envie de le gagner ce match, j’étais en mode « je peux le faire, je peux créer l’exploit ! ». Au final, je me suis bien fait doser (rires), j’ai pris une petite correction (ndlr : 6-0, 6-2) mais c’était hyper instructif !
LA VICTOIRE EN FED CUP EN 2019 EN AUSTRALIE À LAQUELLE TU AS CONTRIBUÉ FIGURE AUSSI PARMI LES MOMENTS TRÈS FORTS DE TA CARRIÈRE. DÉCRIS-NOUS LE SENTIMENT QUE CELA PROCURE.
C’était très fort en émotions, encore plus pour moi étant donné que je suis rentrée en équipe de France en 2008 à 18 ans. Cela avait toujours été mon rêve de gagner la Fed Cup. En plus j’ai tellement eu de hauts et de bas dans cette compétition. Là, c’était juste la récompense de toutes ces années de travail et de cohésion avec mes copines, Kiki, Caro, Pauline… Fiona un peu moins parce qu’elle est arrivée juste l’année dernière mais c’est vrai que les trois autres ça a été vraiment la consécration de toutes ces années où on est passé par tous les états. Pouvoir gagner la Fed Cup à l’autre bout du monde en Australie contre la numéro un mondiale, après une superbe campagne, c’était tout simplement incroyable.
QUELLES SONT TES IDOLES DANS LE TENNIS ?
Alors il faut savoir que j’ai changé plein de fois d’idole tout au long de ma carrière (rires). A l’heure actuelle, mon modèle c’est Rafael Nadal. C’est mon exemple, le joueur que j’apprécie le plus et qui me fait le plus rêver.
QUELLE EST TA DEVISE DANS LA VIE SI TU EN AS UNE?
J’en ai une parce que c’est la seule que j’arrive à retenir (rires). C’est ma mère qui me l’a enseignée quand j’étais toute petite. Elle a guidé mes pas pour toujours continuer à travailler plus. Elle n’est pas hyper mélodieuse ni littéraire mais elle est efficace : « Quand on travaille, on n’est pas sûr d’y arriver. Mais quand on ne travaille pas, on est sûr de pas y arriver. » Elle me correspond bien car j’ai toujours été une grande bosseuse.
QUEL EST TON PÉCHÉ MIGNON ?
Le chocolat sans hésiter !
TA PLAYLIST DU MOMENT ?
Alors en ce moment, j’écoute que du Ben Mazué, c’est un chanteur qui fait de la variété française. Je l’ai découvert grâce à Fiona Ferro d’ailleurs l’année dernière en Fed Cup. C’est un magicien des mots, des textes et des mélodies. C’est un super chanteur, je l’écoute en boucle depuis pas mal de temps et je ne m’en lasse toujours pas !
UN PETIT MOT QUI TE TIENT À CŒUR POUR CONCLURE ?
J’espère que l’année prochaine on aura la possibilité de faire une belle saison. Nous les filles on a été un peu frustrées par rap- port à notre fin de calendrier puisque les garçons ont eu beaucoup plus de tournois. J’espère que la saison prochaine on arrive- ra à trouver un équilibre en étant autant valorisées que les garçons. Le sport a besoin du sport féminin !

« Sans compromis » Alizé Cornet
Éditions Amphora, 2020 271 pages, 19,50 €