Bernard Lapasset est une sommité dans le monde du sport ! Il est le plus grand dirigeant français de l’histoire du rugby mondial, principal artisan de l’intégration du Rugby à 7 au programme des Jeux olympiques. L’équipe de France de Rugby à 7 féminin, quant à elle, a été sacrée vice-championne du monde cet été à San Francisco ! Women Sports a organisé une rencontre exclusive à l’INSEP. L’occasion pour Bernard Lapasset de féliciter les filles et pour nous de découvrir ce groupe attachant dont le surnom est sans équivoque : «Les Enragées» !
Propos recueillis par Laurie Champin
Reportage exclusif à L’Insep – Photos : Jean-Baptiste Autissier / Panoramic

WOMEN SPORTS : Les épisodes alarmants qu’a récemment traversés le rugby à XV chez les garçons posent la question de l’intégrité physique des joueurs et joueuses. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Bernard Lapasset : Le monde du rugby a besoin aujourd’hui de repenser un nouveau cadre chez les hommes comme chez les femmes face à l’évolution des gabarits des sportifs, notamment préparer les féminines au monde professionnel. C’est une nécessité d’accompagner ces sportifs et sportives dans les meilleures conditions pour être à la hauteur des enjeux du rugby au niveau national et international.
WS : Peut-on imaginer dans l’évolution de ces réflexions qui ont trait à l’intégrité physique, qu’il y ait rapidement une meilleure protection des joueurs et joueuses qui tende vers une consolidation de leur sécurité, vers plus d’intégrité physique ?
Bernard Lapasset : J’ai parlé récemment de cette question avec les responsables de World Rugby (ndlr, la Fédération internationale). Ils ont pris la mesure de la situation. Il est important de mener ce travail de manière ouverte pour que chacun des acteurs en responsabilité puisse participer et contribuer à l’évolution des règles et à une meilleure intégrité des athlètes de haut-niveau. Je suis certain qu’il y aura rapidement des changements dans les règles et dans la préparation des sportifs. Du reste, il faut éviter la suspicion, le choc émotionnel. Le plus important est d’agir rapidement face à ces événements, d’anticiper et de fixer le bon cadre. C’est la raison pour laquelle ces questions sont à l’ordre du jour.

WS : Abordons plus directement le rugby à 7 féminin dans le contexte international. Dans le cadre du développement de sa politique de féminisation, la World Rugby a installé des femmes en gouvernance Depuis novembre dernier, un quota impose un tiers de femmes au conseil. Vous avez vous-même été président de World Rugby. Quels sont les enjeux de ces nouvelles dispositions ?
Bernard Lapasset : L’enjeu de la mixité est crucial et reconnu dans tous les domaines. Il est important pour nous à Paris 2024, de voir que le sport, et le rugby notamment, s’engage de façon très ouverte sur cet enjeu. Les instances sportives et les organisateurs, ceux qui ont la responsabilité des grands événements, sont proactifs. Il est important que nous puissions contribuer à accélérer ce mouvement. On a la chance avec Paris 2024, d’œuvrer à une organisation sportive mixte plus large.
« Avec le rugby féminin, on est en train d’apporter une nouvelle façon d’exprimer le rugby à 7 »
WS : Peut-on en déduire que le développement du rugby, notamment en France, passe prioritairement par les femmes ?
Bernard Lapasset : Le mouvement est engagé depuis plusieurs années. Pendant le mandat que j’ai exercé à la Fédération ou auprès de World Rugby, les choses avaient commencé à évoluer. La Fédération française de rugby (FFR) et, de manière générale, les fédérations en France, reconnaissent à la pratique sportive féminine un progrès très important. Il est important que nous continuions dans cette voie, de façon à ce que très rapidement, le rugby féminin puisse se développer, que ce soit dans le rugby à 7, le rugby à XV, le rugby à 5. Il est possible aujourd’hui d’adapter les sports de façon à ce qu’il y ait à chaque fois une référence féminine. Quel sera son positionnement par rapport au XV, par rapport à d’autres cultures dans d’autres pays ; ce sont autant de questions sur la table. Tout doit être inventé et la dynamique existe. Le sport féminin connaît une évolution de plus en plus forte et de plus en plus large.

WS : Peut-on observer que l’élan de féminisation impulsé par World Rugby puis suivi par la FFR, permet aujourd’hui sinon d’en récolter les fruits, d’en ressentir les premiers effets ? Je pense notamment à World Rugby avec la libération de financements ayant favorisé le recrutement de femmes à des postes en gouvernance et d’encadrement technique ; à la campagne proactive de la FFR qui a investi de nombreux champs de la féminisation avec pour objectif ambitieux son plan de réforme 2018-2022… ?
Bernard Lapasset : L’important aujourd’hui est de confirmer un accompagnement par le monde dirigeant, par le monde médical et celui de la préparation physique, par l’environnement économique de la féminisation du rugby à la fois dans la recherche de performance et le développement de la pratique sportive féminine. La dynamique a déjà bien commencé et grâce à cela le rugby féminin fait partie intégrante de l’expression d’une nouvelle forme de rugby au niveau international.
WS : Vous aviez à coeur, lorsque vous présidiez la World Rugby, de réintroduire le Rugby à 7 aux JO après 92 ans d’absence. Peut-on imaginer que le rugby à XV intègre à son tour le programme olympique ?
Bernard Lapasset : Le choix du CIO sur notre proposition était très net. Le mouvement olympique international souhaitait développer une stratégie de rugby à 7, masculin et féminin, avec une référence sportive qui obéit à l’esprit des Jeux. L’important est que l’on garde ce principe en vue. Il faut stabiliser et pérenniser cette lecture d’un rugby qui est un rugby de liberté, d’expression d’espace, qui forme la dimension la plus ouverte à toutes les possibilités de création que l’on peut connaître dans un sport. Cet élément-là correspond tout à fait à la dimension du rugby à 7. Il serait trop tôt, aujourd’hui je crois, de vouloir modifier la stratégie du XV qui ne porte pas les mêmes références, la même expression de liberté sur les volumes d’espace. Le rugby à 7 reste «LA» référence qui porte les valeurs de l’olympisme au plus haut niveau.
« L’enjeu de la mixité est crucial »
WS : On a observé une montée en puissance de l’attention des médias sur le rugby féminin, portée par les excellents résultats du 7 féminin avec l’équipe de France des «Enragées» ayant obtenu le titre de vice-championne du monde 2018. Relevons la très belle audience de diffusion, qui a eu pour conséquence directe, une augmentation significative des licences à 20.000, objectif qui était attendu fin 2018 par la FFR. Comment l’analysez-vous ?
Bernard Lapasset : La première chose que l’on doit signaler aujourd’hui, c’est que le rugby à 7 féminin apporte une bouffée d’oxygène extraordinaire dans la lecture même du jeu. C’est important de voir qu’avec le rugby féminin, on est en train d’apporter une nouvelle façon d’exprimer le rugby à 7. Il y a une dimension qu’expriment les filles aujourd’hui qui est extrêmement forte et différente de ce que peuvent apporter les garçons. C’est un élément supplémentaire dans la reconnaissance des valeurs du rugby à 7 vis-à-vis du CIO.

WS : Vous dites par-là, président, qu’il y aurait comme un supplément d’âme chez les filles ?
Bernard Lapasset : Oui il y a un supplément d’âme et une spontanéité qui rappellent l’essence même de ce jeu de ballon. Il y a une anticipation de jeu qui se voit sitôt que la balle est entre les mains de la personne qui dirige le jeu, comme chez les garçons, mais la conduite du jeu est beaucoup plus intuitive dans l’action. Je trouve que les femmes sont beaucoup plus expressives sur le terrain : «comment porter un ballon», «comment le distribuer», «comment le faire vivre». Chez les hommes la pratique a évolué, s’est professionnalisée et le calcul, la maîtrise peuvent parfois supplanter une certaine forme de spontanéité.
WS : L’enseignement qui est dispensé par l’encadrement masculin aux joueuses est-il rigoureusement le même que celui dispensé aux garçons ou y-a-t-il des aménagements spécifiques de genre ?
Bernard Lapasset : Il y a certainement de la part des entraîneurs une volonté d’exprimer au mieux ce que peut apporter le XV féminin par rapport à ce que peut apporter le XV masculin. Il ne s’agit pas de les opposer. Il y a deux expressions différentes du mode de jeu qu’est le rugby. Alors que les modes d’enseignement sont les mêmes, il peut y avoir quelques nuances de la part des entraîneurs vis-à-vis de la personnalité de telle ou telle équipe féminine, par rapport à la personnalité de telle ou telle équipe masculine. C’est quelque chose qui s’exprime naturellement. Aujourd’hui par exemple sur le terrain, les trois joueuses que j’ai vues ont chacune d’entre elles des registres de jeu extrêmement forts. Ce sont trois créatrices.
WS : Certains clubs «Élite 1», le championnat de première division féminin de rugby à XV, offrent des primes de matches aux joueuses. C’est le cas par exemple du Montpellier RC et du Stade Toulousain. Sommes-nous en marche vers une professionnalisation du rugby féminin ?
Bernard Lapasset : Le rugby féminin est aujourd’hui en train de se développer, de se structurer. Il progresse avec de plus en plus d’adhérentes, de médiatisation et de partenaires qui viennent accompagner les clubs. On sent une réussite, et tant mieux, du rugby féminin et il est clair qu’un jour, viendra la question de la professionnalisation. Il ne s’agit pas d’avancer les yeux fermés mais bien d’analyser les opportunités qui existent en matière économique. C’est l’équivalent de ce que l’on a fait avec les garçons. Ça a pris du temps, demandé beaucoup d’exigence et beaucoup de précision dans la manière d’aborder la professionnalisation.

WS : En fait président, si je résume, vous dites de façon réservée qu’il faut y aller «step by step». Et vous dites encore : laissons chaque étape du processus trouver sa maturité dans le temps jusqu’au jour où la question surgira d’elle-même. Nul ne sait encore à quelle date, mais on y répondra parce que nous seront nous-mêmes mieux armés.
Bernard Lapasset : Vous le dites mieux que moi et les dirigeants du rugby sauront conduire cette réflexion.
« Il est clair qu’un jour viendra la question de la professionnalisation »
WS : Ne pensez-vous pas toutefois que devant les excellentes audiences que réalise déjà le rugby féminin, ce processus vers la professionnalisation pourrait être plus rapide pour les femmes qu’il ne le fut pour les hommes ?
Bernard Lapasset : L’enchaînement des performances et des audiences peut accélérer les choses, bien sûr.
WS : Existe-t-il une demande sur le rugby féminin ?
Bernard Lapasset : Oui, c’est certain. Elle existe réellement parce qu’on a préparé, que ce soit la Fédération française de rugby ou World Rugby, des compétitions qui le permettent, à un bon niveau, avec des calendriers qui sont adaptés aux conditions de préparation et de compétitions sur l’ensemble de l’année. Cela ne se décrète pas la veille pour le lendemain mais on sent que cette évolution est en train de se mettre en place et permet de progresser. Plus la pratique se développera plus elle aura de chance de séduire des diffuseurs et de trouver son public.
WS : Il y a aujourd’hui clairement un nouvel engouement des femmes sur les sports collectifs qui s’accompagne d’un effet éducatif sur les femmes. J’en réfère aux résultats d’audience sur la Coupe du monde de football 2018 où la présence des femmes devant le petit écran a été aussi remarquée que probante. Pensez-vous que cette évolution soit comparable dans le rugby féminin tout autant que le basket ou le hand, par exemple ?
Bernard Lapasset : En effet oui, parce la médiatisation n’est concevable pour les diffuseurs que dans sa dimension large. Une médiatisation uniquement centrée sur l’événement ne suffit pas. Il faut qu’elle s’accompagne de tout un dispositif qui va avec. Les sports ne peuvent être reconnus sur le long terme que s’il y a un accompagnement de fond. Les publics comprennent, s’adaptent et évoluent avec les nouvelles formes d’expression de jeu. Le rugby à 7 à Rio a notamment été un déclencheur. Chez les garçons, c’était un exploit extraordinaire, une présence inouïe de voir comment le 7 a pu s’épanouir. Et je ne parle pas uniquement de l’équipe de France. Je parle des Fidjiens ou de l’équipe néozélandaise. Toutes les grandes équipes étaient présentes et elles ont fait faire un bond en avant au rugby à 7. Et quand je vois quelque temps après les jeunes tricolores en moins de 20 ans remporter la médaille d’or des Jeux Olympiques de la jeunesse face aux grandes équipes qui étaient opposées, c’est fabuleux. On a le sentiment que cette émulation se développe, se cristallise. Il y a des éléments qui vont réapparaître demain en 2020 à Tokyo et là, ça y est, les équipes se préparent déjà.
Ajoutons à cela que le terrain de l’INSEP est fabuleux. Pour la préparation des équipes c’est l’un des plus beaux stades que l’on puisse proposer aux athlètes. Le rugby à 7 féminin a et bénéficie encore des équipements et du personnel qui est en place ici. Ce sont des conditions extrêmement positives et très satisfaisantes pour faire évoluer le rugby, dans une approche tout à fait ouverte telle qu’elle est donnée par l’administration de l’INSEP, et par les équipements qui sont à notre disposition. C’est quelque chose d’important pour la marque France. C’est enfin très important d’avoir cette lecture d’un sport, en l’occurence le nôtre, qui bénéficie comme tous ceux qui l’ont été avant nous, d’une préparation unique à l’INSEP.
WS : Un mot sur Paris 2024 ?
Bernard Lapasset : Je dirai simplement que ma présence aujourd’hui avec l’Equipe de France 7 Féminine, à l’INSEP, c’est pour moi peut-être, la plus belle satisfaction que je peux avoir en préparant Paris 2024. Ces Jeux vont marquer l’histoire d’un pays inspiré depuis un siècle par Coubertin. Paris 2024 ce sera de nouveaux sports mais aussi un accélérateur, notamment sur l’héritage. Paris 2024 c’est le projet d’une génération, celle qui invente un nouveau modèle du sport. Ma présence ici ne fait que renforcer la mission que l’on doit à tous les sports et aux meilleurs sportifs et sportives, de faire valoir les plus belles compétitions dans toutes les disciplines. Ici, mon rôle est de montrer que le rugby à 7 féminin participe à un éclairage très fort, pour l’intérêt des Jeux de Paris 2024.

BERNARD LAPASSET
- Président de la Fédération française de rugby (1992-2008)
- Vice-président du Comité national olympique du sport français (CNOSF) et Membre de l’International Rugby Board (IRB) depuis 2008
- Coprésident du Comité de candidature aux Jeux Olympiques Paris 2024 depuis 2016,
- Président d’honneur statutaire du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 depuis 2018
- Décoration(s) : Commandeur de la Légion d’Honneur, Croix d’Officier de l’Ordre du Mérite néo-Zélandais.
- Distinction(s) : Médaille d’or de la Fédération française de rugby, Médaille d’or de la Jeunesse et des Sports (1993).
«Si les cariocas ont dansé la samba pour célébrer l’élection de Rio comme ville hôte des Jeux Olympiques de 2016, Bernard Lapasset a peut-être fait quelques mouvements de haka quand le CIO a confirmé sa décision d’intégrer le rugby à 7 dès les JO de RIO… Le président de l’IRB – l’International Rugby Board – a en effet largement contribué au retour du rugby dans la compétition olympique.»
Séance de récupération, détente
Régulièrement après les séances d’entraînement sur le terrain, le département médical de l’INSEP accueille les joueuses en séance de récupération. Elles viennent se détendre dans le cadre d’un «protocole de récupération» dédié et sous haute surveillance, qui intègre dans l’ordre :

1- Une séance de cryothérapie corps entier pendant laquelle les joueuses entrent dans une cabine et y restent 3 minutes, la température y étant à -110°. Le froid a un effet bénéfique sur les traumatismes et la cryothérapie agit à titre réparateur avec un effet conjugué anti inflammatoire et antalgique sur les douleurs elles-mêmes.
2- Les joueuses bénéficient ensuite d’une séance régénératrice appréciée, de lits à eau massant qui dure 15 à 20 minutes et dont le but est de détendre et relaxer les muscles du corps.
3- Enfin, la récupération se solde par une séance de balnéothérapie dont l’objectif est de créer un «choc thermique» cutané par convection avec la cryothérapie et par conduction avec la balnéothérapie avec des bains contrastés, provoqué entre deux bassins. L’un à 8°C, l’autre à 38°C, soit une trentaine de degrés d’écart, les joueuses alternant rapidement de l’un à l’autre plusieurs fois.

Faisons connaissance avec les «Enragées» !
Le préparateur physique Anthony Couderc nous révèle quelques surnoms et traits de caractères des joueuses de l’équipe de France de rugby à 7.
Marjorie Mayans, La Princesse du CrossFit
Camille Grassineau, Alias «Grassinator», branchée en permanence sur du 220 volts
Lenaïg Corson, Une grosse machine athlétique avec la tête en l’air
Shannon Izar, Branchée sur Camille et donc aussi en 220, avec un côté «designer» en plus
Jade Le Pesq, Dite «Jadon», le rugby ? Une passion !
Fanny Horta, La Capitaine. Déterminée et travailleuse. Miss «sourire»
Jessy Trémoulière, De la ferme familiale au terrain il n’y a qu’un pas…
Pauline Biscarat, Elle est la «Jacky muscu» : elle regarde une altère, elle prend des biceps…
Amédée Montserrat, Son physique d’ancienne gymnaste lui permet de réaliser les plus belles cabrioles
Lina Guérin, Celle qui n’aime pas le froid : souhaite déplacer le CNR à Tahiti
Remerciements – FFR : David Courteix, Anthony Couderc. INSEP : Patrick Roult, Dominique Delon, Jean-Robert Filliard. Pour en savoir plus : www.ffr.fr