Catherine Tanvier a connu une carrière fulgurante dans l’univers du tennis. Numéro 1 française et 20e mondiale dans les années 80, médaillée aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984, elle est aussi devenue la plus jeune joueuse professionnelle d’Europe à 15 ans. Après une retraite précoce, elle s’est tournée vers la littérature avant de vivre une parenthèse cinématographique inédite sous la direction de Jean-Luc Godard. Entretien. PROPOS RECUEILLIS PAR RUBEN DIAS. Extrait du WOMEN SPORTS N°36.
WOMEN SPORTS : VOUS AVEZ ÉTÉ UNE GRANDE JOUEUSE DE TENNIS DANS LES ANNÉES 80. QUELS SONT VOS PLUS BEAUX SOUVENIRS DE CETTE ÉPOQUE ?
CATHERINE TANVIER : J’ai eu de très bons résultats, notamment à Paris et à Melbourne. Je n’ai jamais bien joué en Amérique, mais atteindre les huitièmes de finale reste un bon souvenir. Et puis, bien sûr, il y a la médaille olympique. C’était une compétition en démonstration, mais nous avions toutes moins de 21 ans, et Steffi Graf l’a emporté. Je me souviens de mon premier match contre une Américaine à Los Angeles : j’ai compris que ce n’était pas une simple exhibition, mais un vrai tournoi avec une intensité folle.
VOTRE CARRIÈRE S’ARRÊTE BRUTALEMENT À 26 ANS À CAUSE D’UNE BLESSURE. COMMENT AVEZ-VOUS VÉCU CETTE TRANSITION ?
Cela a été difficile. Le tennis était toute ma vie. Mais très tôt, je me suis passionnée pour la littérature. J’avais arrêté les études à 14 ans, alors j’avais soif de lecture. Céline, Diderot… Ces auteurs m’ont aidée à traverser cette période et m’ont
donné envie d’écrire.
VOUS N’AVEZ PAS POURSUIVI DE CARRIÈRE DANS LE TENNIS APRÈS VOTRE RETRAITE ?
Non, je ne voulais pas devenir entraîneure. Je donne quelques cours, mais sans ambition de faire carrière là-dedans. J’aime observer l’évolution du jeu, suivre les nouveaux joueurs, mais mon chemin était ailleurs.
ET PUIS, IL Y A EU LE CINÉMA. COMMENT JEAN-LUC GODARD EST-IL ENTRÉ DANS VOTRE VIE ?
Un jour, mon éditeur me dit que Jean-Luc Godard veut me rencontrer après avoir lu mon livre. Je suis sidérée.
VOTRE PREMIER LIVRE, « DÉCLASSÉE », EST UN TEXTE TRÈS FORT. RUINE MORALE ET FINANCIÈRE, SENTIMENT DE « VIE VOLÉE », UN TRAUMATISME QUI VOUS A CONDUIT À UNE TENTATIVE DE SUICIDE…
Oui, ce livre est le résultat de ma colère. Mon parcours a été rude. À 15 ans, j’étais joueuse professionnelle et soutien de famille. J’ai connu des moments très durs, malgré mes résultats. « Déclassée. De Roland-Garros au RMI » est un livre violent, mais j’avais besoin de poser ces mots. Le texte est émouvant, poignant, dur, cruel mais bien réel.
VOUS ACCEPTEZ ALORS DE JOUER DANS «FILM SOCIALISME». POURQUOI AVOIR DIT OUI ?
Parce que c’était Jean-Luc Godard ! J’étais fascinée par sa manière de travailler. Il ne cherchait pas une véritable actrice. D’ailleurs, quand je lui ai dit que je n’étais pas actrice, il m’a répondu : « Qui vous demande de l’être ? » Il avait vu, lu, quelque chose en moi. Et moi, je voulais surtout jouer pour lui, pas pour le cinéma. C’était un cadeau qu’il me faisait. Il m’a accueillie chez lui à Rolle, en Suisse. C’était un monde à part, une bulle hors du temps.
COMMENT S’EST PASSÉ LE TOURNAGE ? VOUS AVEZ MÊME PU TESTER JEAN-LUC AU TENNIS !
Très bien. Jean-Luc était surprenant, prévenant, joueur. L’ambiance était studieuse, mais pas pesante. Ce n’était pas un tournage « classique », on se laissait porter par sa vision, son regard. J’ai adoré. Il connaissait parfaitement l’histoire du tennis et on en parlait souvent. C’est ça la force du sport, c’est que ça rapproche les gens. Comme deux camarades nous allions jouer au tennis et ça donnait une autre tournure à notre relation. On a eu un rapport ouvert, presque familier. Les autres professionnels et acteurs n’ont pas forcément eu cette chance. Ils n’ont pas connu Jean-Luc comme moi je l’ai connu. C’est ce que le tennis nous a apporté. Et d’ailleurs il se débrouillait très bien sur le court.
VOTRE LIVRE «UN FILM À ROLLE» RACONTE CETTE AVENTURE. POURQUOI L’ÉCRIRE MAINTENANT ?
C’est cette proximité que j’essaie de re- transcrire. Quand Jean-Luc est décédé en septembre 2022, mon éditeur m’a dit : « Écrivez sur votre rencontre avec Godard. » Ça ne m’avait jamais traversé l’esprit. C’était une période heureuse de ma vie, alors les mots sont venus très naturellement. Les souvenirs sont revenus très vite et une fois lancée, l’écriture a été très fluide.
VOUS AVEZ DÉJÀ ÉCRIT PLUSIEURS LIVRES. EN AVEZ-VOUS D’AUTRES EN PROJET ?
Pas pour le moment. Ce dernier est mon cinquième livre, et c’était un exercice différent. Mais qui sait ? L’écriture vient quand elle veut. Aujourd’hui, ma vie est simple, comme celle que menait Jean-Luc Godard, d’ailleurs. Avec « Un film à Rolle », j’espère surtout donner envie aux gens de redécouvrir son œuvre. Ses oeuvres.

Un film à Rolle Catherine Tanvier
En Exergue Editions 2025, 136 p.
17,90 €