Lenaïg Corson, vous connaissez forcément son nom. Joueuse de rugby française de 33 ans, elle a notamment évolué en France dans les clubs du Stade Rennais Rugby et du Stade Français Paris. Après avoir joué 10 ans avec les Bleues, la jeune femme est aujourd’hui sur tous les fronts, et notamment celui de l’environnement. Engagée, Lenaïg Corson veut faire bouger les choses, et surtout faire bouger les mentalités. Entretien inspirant.
WS : Comment vous est venu cet engagement pour l’environnement ?
Lénaïg : Mon engagement vient tout d’abord de mon éducation. J’ai vécu à lacampagne avec des parents très attentifs aux ressources qu’on pouvait utiliser. Si on ne mangeait pas tout ce qu’il y avait dans notre assiette ils pouvaient nous laisser des heures devant jusqu’à ce qu’on la termine. Quand on se lavait les dents, on devait faire très attention à l’eau… J’ai donc rapidement compris l’importance de protéger nos ressources.
Le deuxième déclic s’est fait à l’âge de 20 ans, quand je suis arrivée à Rennes pour y faire mes études. J’ai découvert à ce moment-là le rugby, mais aussi l’engagement citoyen en association. Je me suis investie chez Greenpeace, et Eau et Rivières de Bretagne, deux associations très actives sur le terrain. J’ai notamment compris par le biais de cette deuxième association l’origine des algues vertes qu’on voit en Bretagne depuis 40/50 ans. Tout le monde est au courant de ce problème et on sait tous qu’il y a des gens et des animaux qui sont morts sur nos plages. On est aussi dans l’obligation de ramasser des tonnes et des tonnes d’algues à chaque marée. Des algues nauséabondes et qui dégagent un gaz toxique… En m’engageant dans des associations, en étant très curieuse de ce qui m’entourait, en échangeant avec des experts, j’ai compris le pouvoir des lobbies agricoles en Bretagne. Voilà pourquoi nous sommes toujours en train de gérer les conséquences de ces algues vertes en Bretagne depuis 50 ans. Les politiques ne sont pas assez efficaces, les réglementations insuffisantes et la pression des lobbies trop forte. Je suis triste de constater que nous n’arrivons toujours pas à arrêter ce fléau mais heureusement des personnes s’engagent dans des associations et permettent des avancées même si le problème persiste toujours.

Je ne tire pas la pierre aux agriculteurs.rices car pendant des années on leur a dit de produire pour nourrir la France. La Bretagne est une région de base très pauvre qui a vu dans l’agriculture un moyen de survivre. Ils ont été enrôlé par un système où ils se sont retrouvés prisonniers du rendement et où l’on finit par ne plus rien maitriser. L’agriculture intensive a fait d’énormes dégâts : on a détruit les talus et couper les arbres, on a agrandit les fermes dans des tailles démentielles, on a utilisé des produits phytosanitaires sur les terres ultra nocifs pour notre terre, nos rivières, nos abeilles et notre santé … Les agriculteurs.rices sont des amoureux de la terre et de leurs animaux. J’ai vraiment envie que des solutions soient trouvées en bonne intelligence et que nos politiques prennent des décisions qui aillent dans le sens de la protection de la biodiversité et de notre santé sans pour autant perdre sur le volet économique. Ecologie n’est pas incompatbile avec économie. Ces engagements dans les associations m’ont permis d’avoir une vraie crédibilité à parler de ces sujets-là et de défendre ce qui pour moi est de plus précieux.
Enfin, mon dernier déclic a eu lieu lors du confinement dû au Covid-19. Mon père a perdu 5 de ses ruches pendant le confinement, ça m’a terriblement peinée et mise en colère. L’arrivée des frelons asiatiques à cause de la mondialisation et les néoticonoïdes « tueurs d’abeilles » ont ravagé nos ruches. J’ai assisté impuissante à ce massacre.
C’est à ce moment-là que vous avez pris la parole sur vos plateformes…
En ayant perdu ces 5 ruches, je me suis demandée ce que je pouvais faire ? Comment je pouvais dire ce qu’il est en train de se dérouler en silence ? Comment transformer mes émotions de ne pas pouvoir agir et d’assister sans rien faire à la mort de nos abeilles ? J’ai décidé d’en parler publiquement sur mes réseaux sociaux. Etant donné que tout le monde passait son temps sur les réseaux pendant le confinement, je me suis dit que c’était peut-être le moyen d’alerter sur le sujet des abeilles.
Je me suis dit que c’était une vraie prise de position car je rendais mon engagement auprès de l’environnement visible de tous. Sachant que je suis une sportive et que je suis « juste » reconnue pour faire du sport, c’était un risque à prendre. D’ailleurs, mes parents n’étaient pas forcément pour. Ils m’ont dit qu’ils ne me conseillaient pas de le faire, que j’allais être vue comme une écolo ou une « bobo », ou comme quelqu’un de trop engagé à qui on met rapidement une étiquette sur le front. Mais je leur ai dit que certes j’étais une sportive, mais que c’était des problèmes qui nous concernaient tous et que je me devais de prendre la parole. Les abeilles ce n’est pas un problème qui touche que les écolos et les « bobos ». Demain, si on n’a plus d’abeille on ne mange plus sur terre. Les abeilles ne nous fournissent pas que du miel. Si aujourd’hui on a des légumes et des fruits c’est grâce à elles. J’avais donc, selon moi, le rôle d’informer ma communauté.
Et je n’ai pas du tout regretté mon choix. J’ai même été assez étonnée de voir l’engouement qu’il y avait, et que les gens s’y intéressaient. Je me suis dit que finalement j’étais plus qu’une sportive, que j’avais aussi mon mot à dire sur des sujets autre que le sport et que justement le sport était un moyen pour faire passer un message et impulser le changement.
Pensez-vous que les sportifs doivent prendre la parole en ce qui concerne la problématique environnementale ?
En ce moment je suis en train de créer mon association dans le monde du sport et de l’environnement. Elle aura pour but de pousser l’engagement de chacun. Je pense que le sport est un moyen très vertueux pour éveiller les consciences. Le sport rassemble, le sport fédère, le sport à le pouvoir de faire vibrer. C’est une excellente fenêtre de visibilité pour parler de sujets qui nous tiennent à cœur. Je suis certaine que des sportifs qui ont une plus grosse influence que moi comme les footballeurs ont un impact énorme ! Je pense à Kylian Mbappé qui rigolait face à une question d’un journaliste sur le fait de prendre l’avion pour se déplacer à Nantes. Ça prouve que certains sportifs sont complètement déconnectés de la réalité. Mais si demain on les éveille sur les problèmes liés à l’environnement et sur comment on peut tous agir ensemble et que leur parole peut être un moyen de faire changer les comportements, je pense qu’ils ne porteront plus le même regard sur ces questions posées par les journalistes. C’est une vraie volonté de ma part, de me dire que demain il n’y ait pas que moi qui prenne la parole, mais aussi d’autres sportifs. Les sportifs sont vus comme des modèles dans la société. Autant profiter de cette visibilité et de cette écoute pour faire passer des messages impactants et bénéfiques pour tous.
Pensez-vous que les mentalités évoluent ?

Je pense qu’il y a eu un déclic post confinement. Les gens se sont rendus compte que nous étions vraiment en train de flinguer notre santé et notre environnement. Avant 2020, nos élus.es ont rarement inclus les questions environnementales dans leurs plans d’actions. Lors de l’élection présidentielle de cette année, j’ai été très étonnée de voir qu’Emmanuel Macron lors du deuxième tour avait axé sa campagne sur l’action climatique. Sujet qu’il avait très peu évoqué et il avait pris très peu de décisions pour agir pour la protection de l’environnement jusque-là.
J’ai apprécié que la nouvelle ministre Amélie Oudéa-Castera priorise l’action climatique dans son mandat en sortant notamment les 40 mesures de sobriété dans le monde du sport. En 2 ans, j’ai vu énormément de choses évoluer et se structurer. J’avais plus ou moins créé mon poste de chargée de mission RSE au Stade Français Paris en 2020. Depuis, plusieurs clubs ont suivi et embauche sur ces thématiques. C’est très positif et on voit une accélération dans tous les secteurs d’activité, innover dans ce secteur de la RSE. Parfois, avec une vraie démarche sincère et un vraie engagement pour faire bouger les lignes de l’entreprise et parfois avec simplement l’envie de communiquer car c’est dans l’air du temps.
Tout le monde doit se saisir et s’accaparer de ce défi climatique quinous concerne tous. On ne peut plus se permettre d’avoir des conférence de presse où l’on se moque d’une question d’un journaliste pour un Paris-Nantes en train. Mais pour que ça cesse il faut encore une fois être informé et comprendre l’urgence climatique. Il faut aussi avoir davantage de vraies actions qui puisent se mettent facilement en place dans notre quotidien perso et pro. Ça sera aussi l’objectif de mon association. J’aimerais en faire une asso qui soit un média positif, qui montre en avant toutes les actions positives qui existent et qui doivent nous inspirer pour donner les clés pour agir.
Une association qui ne se veut pas moralisatrice car aujourd’hui, on le sait, tout le monde pollue mais on pollue tous à des échelles différentes. Mais se soucier de l’environnement est notre enjeu de survie à tous. Je souhaite vraiment impulser le changement et embarquer un maximum de monde dans le combat majeur de notre vie. Quand j’entends qu’en 2050 il n’y aura plus d’eau potable au robinet, que nos océans auront davantage de plastiques que de poissons, c’est alarmant. On est en 2022. 2050 c’est demain. Pour ça, il faut agir aujourd’hui et vite.