C’est historique. Cette année, le Tour de France aura une version féminine, qui aura lieu du 24 au 31 juillet. Marion Rousse, d’abord championne de cyclisme puis consultante sur France Télévisions, mais aussi directrice adjointe du Tour de La Provence, a grimpé les échelons pour être nommée directrice de la Grande Boucle féminine. Ses sensations, le prochain parcours, ses attentes… Marion Rousse se confie pour Women Sports. PROPOS RECUEILLIS PAR VANESSA MAUREL. Extrait du WOMEN SPORTS N°24.
WOMEN SPORTS : VOUS AVEZ ÉTÉ NOMMÉE DIRECTRICE DU TOUR DE FRANCE FEMMES, ON IMAGINE QUE ÇA A ÉTÉ UNE GRANDE FIERTÉ…
MARION ROUSSE : Complètement, et cela l’est encore. Fière est un bien faible mot pour décrire ce que je ressens. J’ai toujours été dans le cyclisme. J’ai commencé le vélo et la compétition à 6 ans. Alors je pense qu’on peut dire que c’est toute ma vie. Le Tour de France est la plus grande compétition dans le monde. Quand Christian Prudhomme m’a parlé de ce projet, j’ai d’abord été troublée. Je me suis vue toute petite, allant m’adonner tous les dimanches à ma passion du vélo. Je me suis rendue compte du chemin parcouru.
COMMENT ÊTES-VOUS ARRIVÉE JUSQU’À CE POSTE ?
ASO (Amaury Sport Organisation) s’est penché sur mon profil parce que j’avais été directrice adjointe pendant des an- nées sur le Tour de Provence. On n’organise pas une course du jour au lendemain, il faut des bases, du savoir-faire. Mon parcours était un gros argument. J’ai d’autres casquettes qui les ont intéressés. Je connais le vélo, du fait de mon parcours de cycliste professionnelle, mais je connais aussi les médias, via mon travail de consultante. Christian Prudhomme m’a appelée, pour un sujet tout autre, puis, avant de raccrocher, il m’a glissé : « Tu as dû entendre parler du retour du Tour de France femmes. Alors réfléchis à savoir si tu pourrais accepter le rôle de directrice. Laisse germer cette idée et on reparle. »
AVEZ-VOUS ACCEPTÉ TOUT DE SUITE SA PROPOSITION ?
Sur le coup, j’ai été très surprise. C’est un poste à haute responsabilité. Le Tour de France femmes sera la plus belle course féminine au monde. J’ai aussi évidemment été touchée que Christian et ASO pensent à moi. Cela montre que le travail que je fais est regardé et reconnu. Quand j’ai raccroché, j’en ai parlé avec Julian (Alaphilippe, son compagnon, NDLR) et avec toute ma famille. Puis, j’ai rapidement accepté.
QUEL EST VOTRE RÔLE EN TANT QUE DIRECTRICE ?
Il faut tout superviser. Je suis là à chaque réunion, présente pour chaque prise de décision, sur le parcours ou sur l’organisation. Mon rôle est aussi d’être au contact des cyclistes et des équipes.
LORSQUE VOUS AVEZ ÉTÉ NOMMÉE, VOUS AVEZ ÉCRIT SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX : « QUAND J’ÉTAIS PETITE FILLE, JE REGARDAIS LE TOUR DE FRANCE À LA TÉLÉ AVEC ADMIRATION ET LORSQUE J’AI COMMENCÉ MA CARRIÈRE, JE ME DOUTAIS QUE JE N’ALLAIS JAMAIS AVOIR L’OCCASION DE LE COURIR ». VOTRE BUT EST-IL DE PERMETTRE AUX JEUNES CYCLISTES DE POUVOIR ACCOMPLIR LEUR RÊVE ?
Quand j’étais devant la télévision, plus jeune, je me sentais comme un petit qui regarde le Tour de France. Après la course, je montais sur mon vélo, j’allais m’entraîner, et j’avais l’impression de revivre l’arrivée de l’étape du jour. Je m’identifiais aux grands cyclistes de l’époque, comme Alberto Contador. Mais je n’avais pas de modèles féminins, parce qu’on n’en voyait pas au petit écran. Mon inconscient de petite fille ne réalisait pas encore que je ne pourrais pas y participer. Mais maintenant, quel bonheur de se dire que toutes les petites filles vont pouvoir s’identifier à leurs modèles et de se dire que dans dix / quinze ans, elles pourront elles aussi y participer !
VOULEZ-VOUS FAIRE DE CET ÉVÉNEMENT UN « INCONTOURNABLE », COMME L’EST LA GRANDE BOUCLE MASCULINE ?
Le Tour de France par définition reste dans l’inconscient la plus belle course au monde. Cela dépasse le cadre sportif. Dans le monde entier, on connaît cet événement, grâce aux paysages, aux émotions sportives, aux caravanes… Les gens s’attendent à voir le même spectacle que lors de la course masculine. D’ailleurs, ASO met la course féminine sur le même piédestal que la course masculine. L’organisation n’a pas décidé de créer le Tour de France femmes par pression sociale ou pour une question de quotas masculins/ féminins. Heureusement d’ailleurs ! Car si j’avais ressenti que l’arrivée du TDF féminin était »simplement » par intérêt, je n’au- rais pas accepté le poste.
EN TANT QUE DIRECTRICE, QUE PENSEZ-VOUS DU PARCOURS DU TOUR DE FRANCE FÉMININ 2022 ? EST-IL À LA HAUTEUR DE VOS ATTENTES ?
Il me plaît énormément car il correspond à des tas de profils différents, que ce soit aux sprinteuses, aux puncheuses ou même aux grimpeuses. On a eu des retours qui reprochaient au parcours de ne pas com- prendre les Alpes. Mais le Tour de France femmes ne dure que huit jours. On voulait absolument partir de Paris pour faire le relais avec les hommes, donc on n’allait pas faire de transfert jusque les Alpes, et faire huit heures de route. Pour moi, l’arrivée de la dernière étape au Planche des Belles Filles n’a rien à envier aux Pyrénées ou aux Alpes, on aura du spectacle.
LA COURSE A DÉJÀ EXISTÉ PUIS S’EST ESSOUFFLÉE ET A DISPARU… QUELLES SONT LES CLÉS POUR FAIRE PERDURER CE NOUVEAU TOUR DE FRANCE FEMMES ?
On ne va pas se le cacher, économique- ment, il faut que ça tienne la route. Chez les hommes comme chez les femmes, lorsque l’on crée un événement, si au bout de deux trois ans on perd de l’argent, cela ne va pas perdurer. Il faut construire un équilibre avec les médias, les sponsors, etc. C’est un cercle vicieux dont le cyclisme féminin a pâti pendant des années. Lorsque l’on n’est pas retransmis à la TV, qu’il n’y a pas de retombées, ça ne tient pas.

SELON VOUS, QUELS SONT LES AXES À TRAVAILLER POUR FAIRE EN SORTE DE POPULARISER LE CYCLISME FÉMININ ?
Voir du vélo, partout, tout le temps. Oui, il y a le Tour de France femmes qui va arriver, certes. Mais tout au long de l’année je commente du cyclisme féminin. Le public commence à accepter l’idée qu’il y a aussi des femmes qui font du vélo ! La première édition du Pa- ris-Roubaix féminin a été un carton, on s’est éclaté. Maintenant, tous les ingrédients sont réunis pour que le cyclisme féminin avance.
PENSEZ-VOUS QU’IL Y AURA UN AVANT ET UN APRÈS TOUR DE FRANCE FEMMES 2022 ?
Je l’espère, bien entendu. Mais ça fait quelques années maintenant que le cyclisme féminin évolue. La marche a été enclenchée, à nous de poursuivre.
QUELLE RELATION ENTRETENEZ- VOUS AVEC LES CYCLISTES ACTUELLES ? AVEZ-VOUS DES CHOUCHOUTES ?
Évidemment que c’est plus spécial avec les Françaises. Je les regarde plus sou- vent. Je vois la relève arriver, forcément j’ai un oeil attendri envers elles. Dans le peloton, il y a aussi des filles avec qui je courais, donc que je connais personnellement… Forcément, il y a une proximité.
Mais comme chez les garçons, lorsque je commente, je ne fais aucun favoritisme. Je reste dans mon rôle.
QUELLES SONT VOS PRONOSTICS POUR CE TOUR DE FRANCE 2022 ?
Il y a bien des noms qui ressortent déjà, même si c’est un peu tôt pour se positionner car il y a toujours des révélations pendant la saison. Mais évidemment, la Néerlandaise Anna van der Breggen, qui a remporté le Giro et qui est actuellement à son apogée, fait partie des grandes favorites